village

Le réchauffement s’accélérait

Nous étions si fragiles…

    L’opinion publique était restée relativement indifférente à la question du climat jusqu’au moment où les dérèglements produisirent des effets si violents qu’ils balayèrent les doutes sur le réchauffement en cours. Car les climato-sceptiques n’avaient pas manqué de répandre de fausses informations prétendument scientifiques pour démolir le travail des chercheurs qui alertaient le monde depuis plusieurs décennies! D’année en année, les étés de plus en plus chauds faisaient tomber les records de température. La canicule européenne de 2003 avait provoqué en France une crise politique grave par manque d’anticipation des ministres partis tranquillement en vacances sans se préoccuper des conséquences de la chaleur excessive sur les écosystèmes et surtout sur la santé des personnes les plus fragiles, malades et population vieillissante. L’année 2010 avait été marquée par de multiples catastrophes survenues partout dans le monde, sécheresses, feux de forêts, cyclones, tsunamis. Les pluies torrentielles de la mousson avaient provoqué des inondations d’une ampleur inégalée depuis le Déluge biblique, et des millions de Pakistanais avaient dû évacuer leurs villages en marchant contre la force du courant, avec de l’eau jusqu’à la poitrine, dans les champs inondés à perte de vue, leurs pauvres baluchons portés à bout de bras! A Moscou, le ciel estival avait été plombé par les fumées toxiques de gigantesques feux de forêt qui rendaient l’air irrespirable. En France, une brusque montée des eaux provoquée par la tempête Xynthia et une marée haute exceptionnelle avait piégé les habitants de La Faute-sur-Mer, en Vendée, qui n’avaient pas eu le temps de fuir pour échapper à la noyade… A ces catastrophes dites naturelles alors que leur cause fondamentale était due à l’impact des activités humaines sur l’écosystème terrestre, s’ajoutaient de plus en plus fréquemment, avec des conséquences de plus en plus irréversibles, des cataclysmes d’origine industrielle, comme la marée noire qui avait dévasté le Golfe du Mexique en mai 2010, ou la fusion des coeurs de réacteurs et l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima en 2011… Le réchauffement s’accélérait et les ruptures d’équilibre dans les écosystèmes déstabilisaient partout l’équilibre fragile de la paix. Le contrôle de l’eau était devenu un enjeu plus crucial que jamais, capable de déclencher une guerre. La sécheresse contraignait les populations à quitter les terres qui ne les nourrissaient plus et le nombre toujours plus élevé de réfugiés climatiques s’ajoutait aux chiffres de l’exode provoqué par les guerres locales ou régionales. Les questions de survie à plus ou moins long terme provoquaient des réflexes identitaires, nationalistes ou pseudo patriotiques qui entretenaient un état d’esprit agressif non seulement dans les pays les plus touchés par les difficultés mais aussi dans les pays encore relativement protégés de l’Occident, prompts à dresser des murs pour se protéger de l’immigration. Le cynisme ou l’absence de courage de la plupart des responsables politiques les poussait à privilégier la recherche de boucs émissaires plutôt que de s’attaquer à la racine des problèmes. La France, ex-pays des Lumières, avait elle-même cédé assez facilement aux sirènes nationalistes.

Au nom de l’économie à flux tendu

Nous étions si fragiles…

    La panique désorganisait toute la vie économique du pays. Les magasins étaient vidés de leurs stocks et n’arrivaient plus à se réapprovisionner. La pénurie était plus grave à Paris qu’ailleurs sous les effets conjugués de la concentration de la population et des embouteillages gigantesques qui bloquaient les voies de communication et barraient la route aux camions de livraison. Les villes du Sud, plus éloignées du foyer radioactif que celles du Nord, n’échappaient pas à l’angoisse généralisée et aux réflexes d’accumulation de denrées propres aux populations qui se sentent en danger et accélèrent ainsi l’épuisement des stocks. Les campagnes ne craignaient pas moins que les villes la contamination radioactive amenée par le vent ou la pluie, au moins bénéficiaient-elles sur place des produits alimentaires de base, on y cultivait encore son jardin. On pouvait envisager d’y vivre dans une certaine autarcie sans attendre d’être ravitaillé par la route ou, peu vraisemblablement, par le train. Il y avait longtemps, en effet, que les lignes ferroviaires n’irriguaient plus le pays, que le moindre recoin et le plus petit village de France n’étaient plus desservis par une gare encore en fonctionnement à une distance raisonnable des territoires éloignés! Depuis que la vieille SNCF avait décidé, vers la fin du vingtième siècle, de tout miser sur les trains à grande vitesse et d’abandonner les lignes qu’elle ne jugeait pas rentables, en cessant d’entretenir, malheureusement, le réseau exceptionnel dont elle disposait jusqu’alors, et qui recouvrait autrefois le pays comme une toile d’araignée aux fils denses et resserrés, avec des ouvrages d’art incroyables qui franchissaient les obstacles des montagnes au mépris des lois de la pesanteur ou de la géographie grâce aux exploits techniques et humains des ingénieurs et des ouvriers qui les avaient édifiés! L’essentiel du transport de marchandises ne transitait donc pas par les chemins de fer, et, depuis des décennies, des files ininterrompues de camions circulaient jour et nuit sur les routes et les autoroutes en aggravant la pollution de l’air respiré par les riverains et en rejetant toujours plus de gaz à effet de serre. Cette fuite en avant engendrée par des politiques inadaptées menées de très longue date sans jamais de remise en cause sérieuse, au nom de l’économie à flux tendu, aboutissait en ce moment de crise aiguë à une situation surréaliste. Les camions d’approvisionnement alimentaire se retrouvaient immobilisés dans les engorgements qu’ils contribuaient eux-mêmes à provoquer, et non seulement les marchandises n’arrivaient plus à bon port dans les délais impartis, mais quand elles étaient enfin livrées, les denrées périssables étaient périmées!…

Gestes gratuits

     Isabelle Vrignod faisait sa promenade journalière autorisée dans un périmètre plus restreint que d’habitude, mais continuait de ramasser les marrons oubliés par les balayeurs municipaux. C’était un rituel aussi vieux que ses souvenirs d’enfant, tendre et doux, malgré la toxicité de ces châtaignes sauvages qu’il ne faut surtout pas manger comme inciteraient à le faire les crieurs de rue : « Chauds, les marrons! » devant leur brasero… (le rapport au réel n’est jamais simple… joie des enfants quand ils s’emparent de ces marrons non comestibles, qui pourraient les empoisonner, pour jouer ou en faire des ornements)… Ses méditations-rêveries l’emmenaient souvent sur les chemins de l’enfance… il lui semblait que les marrons qui alourdissaient ses poches ouvraient son cœur à elle ne savait trop quoi… une idée, une injonction, quelque chose de flou, de difficile à identifier, venant sans doute de très loin et pourtant si proche, de plus en plus troublant, de plus en plus impérieux… C’est en passant devant le jardin Anne Franck, après avoir déambulé du côté du marché des Enfants Rouges, que le projet commença de s’ébaucher… les passants qui découvriraient les assemblages ne pourraient être que sensibles, en souvenir de leur propre enfance, aux mots maladroits formés par les marrons cousus un à un sur des supports de carton, et devenus messagers… elle prendrait les montages en photo, scannerait, dupliquerait, imprimerait, distribuerait aux passants, collerait sur les façades la trace de ces œuvres innocentes que les ouvriers municipaux chargés du nettoyage de la ville auraient vite fait de jeter dans leurs grandes poubelles… la tentative de sauvetage serait dérisoire, les petits morceaux de papier collés ou distribués seraient jetés eux aussi dans les poubelles ou finiraient en lambeaux sur les trottoirs délavés par la pluie… car ainsi va le monde… seuls les gestes gratuits de l’enfance ou de l’art peuvent le sauver… SEULS LES GESTES GRATUITS DE L’ENFANCE OU DE L’ART PEUVENT SAUVER LE MONDE!

À suivre

   (Texte écrit dans le cadre des ateliers d’écriture de François Bon. Merci à lui!)

Tourner les pages

     La file d’attente était interminable. Élodie patientait devant le labo depuis déjà plus de deux heures. Elle avait fait la fête avec ses ami-e-s et se sentait visée par les campagnes d’information du ministère de la santé qui voulait sensibiliser les jeunes qui n’appliquaient pas les gestes barrières au danger que les personnes âgées de leur entourage ne développent une maladie grave en cas de contamination. Au vu du nombre de personnes qui stationnaient sagement devant elle, en respectant la distance physique recommandée, il se passerait encore au moins une bonne heure avant qu’elle ne soit admise dans le centre de dépistage. Alex avait de la chance, il n’était plus qu’à quelques mètres de la porte d’entrée. C’était un drôle de type. Quand on arrivait dans la salle de cours, on ne s’étonnait plus de le trouver royalement installé, les pieds sur une table et le dos bien calé contre le dossier de sa chaise, en train de se curer les ongles ou de jouer avec une petite balle en mousse, coiffé d’un Borsalino, d’un Stetson ou d’un Cordobes enfoncé sur les yeux ou tiré vers la nuque, au gré d’une humeur que personne ne parvenait à interpréter, et que seuls deux ou trois mystérieux et fugitifs acolytes, aperçus parfois aux abords de la fac, pouvaient peut-être déchiffrer. Il mâchait continuellement du chewing-gum et ne répondait jamais aux questions autrement que par des borborygmes accompagnés d’un regard froid et moqueur qui décourageait l’interlocuteur le mieux intentionné. Les professeurs n’essayaient plus d’en tirer des paroles construites mais l’interpellaient de temps en temps pour plaisanter et mettre les rieurs de leur côté. Il restait impassible, mais si la plaisanterie durait trop longtemps, il crachait son chewing-gum en décochant des regards que personne n’avait envie de soutenir… Sa présence dans la file d’attente pour se faire dépister ne cadrait pas avec le personnage, avec son indifférence aux autres, avec le mépris qu’il affichait pour tout ce qui relevait de la simple civilité… De loin, debout comme tout le monde et les bras ballants, il paraissait inoffensif, et d’apparence presque chétive…

     Écrire pour quitter le réel?… Fuir la dureté du réel pour l’adoucir par la fiction?… Pourquoi tenter de dérouler le papyrus du roman en train de s’écrire, pourquoi essayer de le sortir du néant?… Parce que le réel est trop lourd et qu’il faut l’alléger?… Parce qu’à travers le tamis des mots peut surgir de l’or?… Parce qu’un roman peut refaire le monde, non pas le dupliquer, mais le recréer comme si c’était le premier jour?… Les personnages prenaient corps en se nourrissant de son corps, qui semblait pouvoir se démultiplier à l’infini, devenir une multitude de corps, chacun possédant une parcelle d’elle-même, chacun d’eux vivant de sa vie passée et présente, avec ses rêves, ses doutes, ses peurs, ses espoirs et ses désespoirs, ses luttes, ses échecs, ses victoires, sa joie et son mal de vivre, ses renoncements, ses élans… Comment le dire?… Comment se dire sans le dire?… Écrire pour soi?… Pour essayer d’atteindre les autres?… Pourquoi cet effort sur le long terme, cette propension obstinée à former des alignements de phrases qui se poursuivent jusqu’à la fin d’un livre?… La pandémie faisait prendre à l’écriture une tournure inattendue, comme si la réalité dépassait la fiction… Personne n’avait imaginé cela, le monde entier retenant son souffle, les populations confinées, les télévisions publiant et commentant chaque jour les tableaux de bord de la contagion… Pourquoi en faire état?… La fin du monde n’était qu’une vue de l’esprit, la fin d’un monde était sans doute en train de se vivre… La crise sanitaire se doublait d’une crise économique, le cadre et les codes de la vie sociale volaient en éclats, les experts se chamaillaient, des gourous apparaissaient… À quelques semaines seulement de l’élection présidentielle qui devait décider du renouvellement ou non de son mandat, le président des Etats-Unis, qui se comportait souvent lui-même comme une sorte de gourou invincible, venait d’être hospitalisé… plus personne ne savait de quoi l’avenir serait fait… Évidemment, et heureusement, le pire n’était pas certain… Isabelle Vrignod s’agaçait… elle n’aimait pas ces formules toutes faites qui ne veulent rien dire… il y avait de par le monde des centaines de milliers, des millions, des centaines de millions de personnes pour lesquelles le pire était en train de se produire… Son projet de roman prenait l’eau… elle avait conscience de ses faiblesses… une sensibilité exacerbée qui l’empêchait de plonger dans ce qui faisait mal, de prendre à bras le corps la dure réalité, de mettre des mots sur les douleurs de ses personnages… en les tenant à distance pour éviter de souffrir, elle les enfermait dans un monde déréalisé qui manquait de chair et d’épaisseur… il faisait froid… tout était gris, le ciel, la route, les gens, la ville, la vie, tout était triste, comme déjà endeuillé… les phares des voitures parvenaient mal à traverser le crachin qui ne cessait de tomber depuis le début du jour… les vitrines des magasins, leurs enseignes lumineuses, entretenaient un air de fausse gaieté contredite par l’attitude des passants qui se dépêchaient d’atteindre leur destination… l’air, comme les cœurs, était lourd et faisait espérer la neige, qu’elle efface le trop de peine, qu’elle pardonne la noirceur du monde, qu’elle transfigure la réalité… ce serait une journée d’hiver, comme jadis… une journée qui aurait pu être banale, vécue comme la fin du monde… car le monde pouvait vraiment s’arrêter… il s’arrête en vérité à chaque fois qu’un drame survient ou qu’une vie s’essouffle… les images s’enfouissent alors au plus profond de la mémoire… on ne voit plus rien, ou presque plus rien… comme un rideau de pluie, une vague de brouillard, des ombres furtives, d’étranges lueurs, l’écran vide d’un cinéma inanimé… on essaie alors de saisir quelques bribes d’une pellicule fantôme… d’en faire un montage… de visionner en aveugle ce que l’on ne peut plus voir… ce serait un jour d’hiver… tout serait gris… François sans doute… Ali?… Élodie?… Alex?… le décor, les circonstances ne seraient pas les mêmes… mais ce serait, quel que soit le personnage mis en scène, un jour banal, devenant pour lui la fin du monde… 

     Ali n’était qu’un petit revendeur de cannabis mais il avait été pris dans une nasse avec des trafiquants de drogues dures et avait déjà fait de la taule… six mois ramenés à trois grâce à une remise de peine… pas envie de renouveler l’expérience… il continuait pourtant à dealer… la famille avait besoin de l’argent que son trafic rapportait… et qu’est-ce qu’il aurait pu faire d’autre?… son cinéma intérieur lui faisait miroiter une vie de rêve… il n’était pas devenu footballeur professionnel mais pouvait connaître la gloire comme batteur… le groupe venait à peine de se former, le nombre de vues sur YouTube ne cessait d’augmenter, les potes avaient des idées plein la tête, et lui, alors qu’il avait été le cauchemar de ses professeurs, il écrivait des textes qui accrochaient l’auditoire, et il aimait ça… il déversait sur les mots écrits comme sur ses instruments de percussion les flots d’émotions qui le submergeaient, c’était une sorte de shoot, il avait l’impression fabuleuse de décoller du réel… il n’avait jamais été du bon côté de la réalité… s’il était repris par la police, il serait épinglé comme récidiviste… il s’en foutait d’être considéré comme un délinquant, il en ressentait plutôt de la fierté, c’était son code d’honneur à lui et celui de ses potes, mais retourner en prison mettrait un terme à ses rêves actuels de batteur, un autre prendrait sa place dans le groupe, l’augmentation du nombre de vues sur YouTube ne le concernerait plus, et ça, c’était insupportable, c’était mortel… les drones au-dessus de sa tête le poursuivaient comme un essaim de guêpes… il avait rabattu sa casquette sur les yeux… jouer au chat et à la souris avec les keufs ne l’amusait plus, le jeu était devenu trop sérieux, il se sentait presque vieux, la prison l’avait plombé, il avait envie de tourner les pages d’un autre livre… il arpentait les rues de la ville comme s’il voyageait à travers l’histoire d’un homme qui serait lui et ne le serait pas… il n’était pas un habitant de cette ville, il habitait à côté, dans une banlieue… il avait envie de se nommer ainsi, l’homme d’à côté… il écrirait l’histoire de cet homme, une histoire qu’il voulait extraordinaire, l’histoire d’un percussionniste d’exception qui créait des tubes… le livre serait publié en même temps que le dernier succès du groupe, on ferait la fête, des producteurs de cinéma souhaiteraient faire un film sur lui et ses potes… 

     Les arbres verdoient sous l’eau bleue du ciel et la lumière rousse de l’automne, somptueuse… un vieil homme vêtu d’un manteau noir avance lentement avec un gros sac sur le dos, une grappe de ballons colorés prêts à s’envoler tire sur la ficelle qu’il retient de sa main droite… l’atmosphère semble festive, comme au printemps, quand la vie recommence… la ville a des airs de village… marcher sans se presser vers une station de métro ou un arrêt de bus est un plaisir rare… une cour, une impasse, une placette se découvrent au détour d’une rue fréquentée, les automobiles ignorent les petites rues adjacentes recouvertes des gros pavés d’autrefois, quand les roues des vieilles carrioles rebondissaient sur la chaussée… le nez en l’air, on se surprend à rêver, sans le souci de traverser dans les clous ou de se protéger des voitures sur les trottoirs étroits, entre les rangées des vieux immeubles placides de la ville ancienne… la ville se raconte de rue en rue et transmet des histoires… ici vivait Prosper Mérimée, là se perpétue le souvenir des Enfants Rouges… dans le Marais, on n’entend plus le roulement des valises traînées par les touristes venus visiter la capitale… des cyclistes passent en chuintant… on prend le temps, murmurent les roues, on prend le temps de se glisser dans la ville… des commerçants prennent l’air sur le pas de leur porte, des enfants jouent… leurs éclats de rire fusent loin des rumeurs de la cité… les dernières pluies ont laissé flotter un parfum d’humus, des marrons brillent au milieu des feuilles mortes, l’automne, ce jour, est ludique et paisible… Isabelle Vrignod ramasse quelques marrons et les essuie soigneusement pour les faire luire avant de les mettre dans ses poches… 

À suivre

   (Texte écrit dans le cadre des ateliers d’écriture de François Bon. Merci à lui!)

Que sont-ils devenus?

Nous étions si fragiles…

    Les lignes du paysage sont très douces et me font penser à la description faite par Martens au début de sa déposition, quand il évoquait presque avec tendresse ce petit village de l’Europe de l’Ouest qui fut l’écrin, sans doute, de ses dernières espérances en partage avec Walter, alors qu’ils se croyaient encore au début de leur grande aventure… Que sont-ils devenus? Et Sylvia, que Martens semblait chérir, n’était-elle qu’un personnage de fiction? Sont-ils réunis aujourd’hui dans ce mystérieux Etat auquel nous ramenait sans cesse le délire de Martens ou nos propres délires à son sujet? J’ai la sensation bizarre d’avoir été soustraite au continuum de l’Histoire humaine, comme si j’avais été propulsée avec mes compagnons d’infortune dans un monde parallèle, sous l’effet de dérèglements spatio-temporels qui auraient été déclenchés par les cataclysmes successifs qui ont frappé notre planète.

Fausses clartés

Nous étions si fragiles…

    Une vapeur dorée comme un voile de soie posé sur les collines, sur les feuillages des arbres, sur les chaumes, sur la terre brune et rose des champs déjà labourés, sur le clocher pointu d’un petit village de l’Europe de l’Ouest, niché dans l’échancrure d’une vallée… Nous sommes encore ensemble, Walter et moi… Chaque goutte de lumière réfracte l’univers entier, nous sommes tout juste au début de nos grandes découvertes… Non, ne rallumez pas. Je préfère la pénombre à vos fausses clartés ! Si ça ne tenait qu’à moi… Si vous étiez d’accord… Je resterais au chaud dans ma rêverie pendant que vous rédigeriez vos rapports, puisque vous savez presque tout et moi, presque rien…

Vent d’été

Atelier d’été Tiers Livre 2019

      J’ai six ans. Je ne connais pas bien ma grand-mère, je ne l’ai pas vue souvent. Elle nous a invités dans la maison de sa sœur aînée où elle habite depuis la mort de mon grand-père. Par la fenêtre ouverte, pendant le repas, j’écoute le doux frémissement des frondaisons associé pour toujours aux sensations inoubliables de ce jour-là. L’après-midi, les enfants filent dehors. Ivresse de se déployer dans les bois et dans les champs qui s’étendent au loin à perte de vue! Je découvre la vraie vie, à rebours des espaces étriqués et compartimentés de ma vie habituelle. La brise légère qui agite les feuillages joue une musique qui ne peut être que le murmure de l’Univers… La maison est située à l’écart du village, en haut d’une pente douce qui descend vers la plaine, sa position dominante fait de nous les rois du monde! Elle est plutôt basse et allongée mais de proportion équilibrée, sans doute avait-elle été le corps de logis d’une ancienne ferme. Ma grand-mère est visiblement heureuse d’être revenue vivre dans son village natal, qu’elle avait été obligée de fuir pendant la première guerre mondiale. Mais sa sœur, une très vieille dame impotente qui me fait un peu peur, meurt quelques mois plus tard. A nouveau sans domicile, ma grand-mère se résoud à venir habiter chez nous, dans notre toute petite maison. Je lis dans ses yeux la tristesse de ce nouvel exil et je ressens comme elle la nostalgie des vastes étendues de son enfance, auxquelles le vent d’été avait donné son tempo léger. Sur le bahut de la chambre où je vais la voir après l’école, trône un gros cylindre de cuivre que j’avais vu dans la maison de sa sœur. C’est une douille d’obus qui a été décorée par mon grand-père. Elle sert de vase.

Résister à la folie

   

     Jean-François Dutour m’avait confié: « J’ai eu le temps de réfléchir, n’oublie pas que je suis un témoin direct, j’affirme… mon intuition intime… je suis persuadé que la clé du puzzle… Oui, il a cherché Walter. Walter n’est pas un personnage de fiction, il n’aurait pas pu mentir à ce point, inventer certains détails, avoir certains regards, certaines expressions… l’intuition du policier, quand même, ça existe!… Il a cherché Walter… C’est dans la logique de son personnage, de cet attachement puissant qui le faisait parler si souvent de Walter d’une voix qui… Il a cherché Walter et cela n’empêche pas… mais je n’en sais pas assez pour conclure…

     Jean-Francois… la dernière fois que je t’ai vu, chez mon père… Etes-vous vivants ? Vous reverrai-je un jour ?… Dans ce lieu où nous avons trouvé refuge, sommes-nous à ce point coupés du monde que nous ignorons tout du sort réservé au reste de l’humanité alors que vous-mêmes auriez surmonté le pire et tenteriez de nous retrouver? Xavier pense que nous avons découvert un petit Éden. Il se montre optimiste pour « l’avenir » de notre petite communauté et rêve d’en faire une société idéale… Les mots ont-ils encore un sens? Nous n’avons plus d’avenir, seulement un futur proche qui consiste à essayer de subvenir à nos besoins les plus élémentaires. La flore est abondante et riche en espèces nourricières. Nous retrouvons sans doute les gestes de nos très lointains ancêtres cueilleurs. Nous nous habituons déjà à cette nourriture simple et frugale qui nous permet d’économiser le stock providentiel de conserves qui assure notre survie actuelle, sa date de péremption nous laisse un délai de quelques années, nous espérons mettre ce laps de temps à profit pour nous lancer dans l’agriculture. Sylvain explore chaque pouce de terrain à la recherche de graines qu’il fait germer ensuite dans le jardin qu’il a entrepris de cultiver. Les lignes du paysage sont très douces et me font penser à la description faite par Martens au début de sa déposition, quand il évoquait presque avec tendresse ce petit village de l’Europe de l’Ouest qui fut l’écrin, sans doute, de ses dernières espérances en partage avec Walter, alors qu’ils se croyaient encore au début de leur grande aventure… Que sont-ils devenus? Et Sylvia, que Martens semblait chérir, n’était-elle qu’un personnage de fiction? Sont-ils réunis aujourd’hui dans ce mystérieux Etat auquel nous ramenait sans cesse le délire de Martens ou nos propres délires à son sujet? J’ai la sensation bizarre d’avoir été soustraite au continuum de l’Histoire humaine, comme si j’avais été propulsée avec mes compagnons d’infortune dans un monde parallèle, sous l’effet de dérèglements spatio-temporels qui auraient été déclenchés par les cataclysmes successifs qui ont frappé notre planète. Pourquoi chercher aujourd’hui à essayer de déchiffrer ce passé récent auquel nous n’avions rien compris? A quoi se raccrocher pour lutter contre la folie qui nous guette? Nous ne savons même pas comment nous avons pu échouer ici, dans cette base américaine désertée que nous sommes incapables de situer sur une carte. Marceau et Nicolas, qui étaient tous les deux des collaborateurs de Jean-Francois Dutour, spécialisés dans la prospection stratégique, sont enclins à déduire de leurs observations que nous serions probablement dans une zone de territoire qui jouxterait l’Alaska. Je me sens incapable de me remémorer cet enchaînement incroyable d’événements tous plus apocalyptiques les uns que les autres qui nous ont fait fuir à sauve-qui-peut dans la panique et le désordre le plus total. Je ne le peux pas. Je ne veux pas me souvenir de toutes ces scènes d’horreur entrevues dans les villes et sur les routes, auxquelles je ne sais comment j’ai pu moi-même échapper. Pendant combien de temps serons-nous à l’abri dans notre refuge actuel? Louis est heureux d’avoir trouvé un piano, il joue à tous ses moments perdus. Marceau et Nicolas retrouvent leurs réflexes de professionnels pour établir une stratégie de survie. Tous, nous essayons d’oublier l’inimaginable et l’impensable que nous venons pourtant de vivre. Les mots étaient ma raison d’être, mais ils n’ont plus de sens puisque le monde autour de nous, qui leur servait d’écrin ou qu’ils enchâssaient comme un bijou, s’est écroulé. Pourquoi avoir entrepris d’écrire ces lignes? Pourquoi continuer? De nouveau me viennent à l’esprit les mots de Martens, ceux qu’il avait écrits au début de son journal. Écrire serait un acte de résistance? Pour lui, je n’en doute pas, il avait l’étoffe d’un héros, comme il aurait dit de son ami Walter. En ce qui me concerne, j’ai bien peur que l’acte d’écrire ne soit qu’un divertissement pour tuer le temps, pour empêcher que l’angoisse ne me submerge. J’essaie seulement de résister à la folie.

 

Accomplir la jonction?

LA REVENANTE

Atelier d’écriture de François Bon

Mes contributions

     Le retour serait une lente remontée des sensations autrefois ressenties, chacune d’elles suscitant une émotion partielle qui en réveillerait d’autres… L’ancienne ligne de bus entre la métropole et la ville a disparu, il semblerait cependant qu’une compagnie privée assure une fois par semaine pour deux euros seulement une liaison identique depuis le musée des Beaux-Arts ou la Préfecture, vers Saint-André et Lomme, en longeant la Deûle et la Citadelle sur quelques centaines de mètres… Attendre? Préférer le train?… Les navettes ferroviaires sont fréquentes, la décision peut se prendre à tout moment. Le trajet ne durerait qu’une quinzaine de minutes pendant lesquelles le contournement de la cité lilloise par le Sud et la remontée jusqu’à Lambersart avant une petite course à travers champs jusqu’à Pérenchies en prélude à la trajectoire finale qui mènerait aux abords de la ville natale, offriraient une vue panoramique sur des lieux qui avaient été d’une importance déterminante mais dont l’accès semblait avoir été mystérieusement interdit… Les rails qui se déploient en sortant de la gare vers Fives et le Mont de Terre amorceraient un lent virage mais le bâtiment emblématique de la Foire Internationale de Lille — démoli — n’apparaîtrait pas dans la courbure; les lettres géantes qui en surmontaient le toit et qui, autrefois, se détachaient en rouge et brillaient dans la nuit comme un signal au moment d’arriver au port après de grands voyages, ont été effacées… le sentiment de rentrer chez soi, privé de ses anciens supports, serait donc d’emblée altéré?… Le petit train continuerait la boucle commencée en se glissant sous l’autoroute du Nord dans la direction de Ronchin et passerait non loin du lycée Faidherbe et du Jardin des plantes où nichent des souvenirs d’émotions adolescentes, mais où sont aussi malheureusement embusqués des souvenirs funestes d’événements dramatiques… La remontée dans le couloir du temps se poursuivrait sur l’axe des voies de circulation qui coupent le quartier de Lille-Sud du reste de la ville, et le souvenir des confidences maternelles (trop rares) reviendrait en mémoire; elle allait souvent travailler à pied pour économiser le prix du tramway… souvenir de ce moment où elle se souvenait elle-même de ce trajet interminable qui la conduisait de la rue de l’Arbrisseau où elle habitait jusqu’à l’atelier de confection qui l’employait rue Neuve ou rue de Béthune!… souvenirs en abyme d’une silhouette qui longe le mur lugubre de l’immense cimetière du Sud et s’engage dans la longue rue du Faubourg des Postes qui devient rue des Postes en quittant le quartier périphérique pour pénétrer dans le cœur de la ville!… avancer avec la silhouette à la cadence de ses pas, entendre leur martèlement dans la nuit avant le lever du jour, sentir sa respiration décélérer un peu dans la rue Solférino à l’approche du Théâtre Sébastopol, choisir avec elle la rue Léon Gambetta plutôt que la rue d’Inkermann pour déboucher boulevard de la Liberté, traverser devant le Palais des Beaux-Arts, atteindre la place Richebé, guetter une pendule dans un café, pousser un soupir de soulagement, voler quelques minutes de répit en regardant une ou deux vitrines, se décider à franchir la porte de l’atelier!… Vite, passer vite devant le CHU et les mauvais souvenirs… Le petit train franchirait la Deûle à Haubourdin en jetant un pont vers d’autres souvenirs lointains d’amitiés paisibles et de moments festifs, avant de remonter vers la ville de Lambersart (inscrite comme lieu de naissance sur la carte d’identité maternelle et importante à ce titre, mais sans autres attaches que ces quelques syllabes associées à une date qui témoignent du début d’une existence) et de s’élancer vers Pérenchies. Ah, la route vers Pérenchies!… C’était un peu la route du père, l’un des endroits où il se rendait en Solex, le soir, après sa journée de travail à l’usine, pour donner des leçons ou faire répéter les membres d’une société de musique… Tous les trains ne s’arrêtent pas à Pérenchies, il faudrait choisir un horaire qui prévoie cette étape, un jour de soleil, car la fin du parcours, à huit ou neuf kilomètres de la destination finale, pourrait se faire à pied… En sortant de la gare et en prenant la direction de l’Epinette, il y aurait très vite, à trois ou quatre cents mètres, une rue portant le nom d’un membre de la dynastie Agache, Édouard… qui avait fait du village de Pérenchies la petite capitale de briques de son empire linier, et pendant un bon kilomètre, jusqu’au chemin de l’Oris, les rues aligneraient sur chaque trottoir de petites maisons ouvrières mitoyennes… Le chemin suivrait la voie ferrée à droite et serait encore bordé de maisons pendant une centaine de mètres sur le côté gauche, mais après le passage à niveau, sur le chemin de la Cœuillerie, le tissu urbain cèderait complètement la place à la terre agricole et la séparation serait nette. Le pas ralentirait mais le cœur battrait un peu plus vite, un sentiment étrange apparu au début du voyage, de joie et de tristesse mêlées, prendrait de l’ampleur, et le regard chercherait déjà au loin ce qu’il pourrait reconnaître… Après le hameau de la rue de la Bleue, le chemin de l’Epinette apparaîtrait en ligne droite à travers les champs comme une invitation à parcourir les derniers kilomètres qui assureraient la jonction avec la vie ancienne… Les promenades, les parties de pêche et les jeux d’aventure se faisaient le plus souvent dans un triangle dont la base allait du bas de la rue des Murets au chemin du Pont Ballot, les petits côtés se rejoignant à l’angle de la rue d’Hespel et de la rue Victor Hugo… La mémoire libèrerait des images, les souvenirs deviendraient plus précis, les premières maisons du hameau de l’Epinette déclencheraient un nouveau flot de réminiscences, l’air résonnerait de paroles complètement oubliées, encore quelques mètres et ce serait la ferme, le cœur alors se serrerait un peu trop fort… mais le chant des alouettes réveillerait les sentiments tout neufs de l’enfance, et les raisons qui avaient rendu le retour impossible, à l’inverse, s’effaceraient… Après un moment d’hésitation car le chemin de terre pris autrefois aurait disparu, la progression se poursuivrait à travers champs, le blé ne serait pas encore très haut, il serait possible d’avancer au jugé dans les sillons laissés par les roues des tracteurs jusqu’au chemin du Pilori et de continuer par le Pavé de La Chapelle, au carrefour de la D945… Un grand parc d’activités industrielles et commerciales brouillerait tous les repères, il faudrait le traverser ou le contourner par le sentier de Lille jusqu’à des jardins maraîchers, éviter sur la gauche un lotissement inconnu et prendre à droite un chemin de terre qui rejoindrait la rue du Bas Chemin, suivre celle-ci jusqu’au bas de la rue des Murets, accomplir la jonction…

Voyages

LA REVENANTE

Récit écrit au cours de l’été 2018

pour l’atelier d’écriture de François Bon sur Le Tiers Livre (suite)

     La vitre… la paroi de la vitre… entre le paysage extérieur qui s’éloigne à grande vitesse et les voyageurs assis sur leur siège le nez dans un journal ou les yeux dans le vague… les vitres froides… la condensation de l’haleine sur les vitres froides… la main qui essuie la buée, le front qui se penche, les yeux qui tentent de saisir des fragments de paysage… les pylônes strient l’espace ou l’effacent en brouillant la vue avec des effets stroboscopiques… le temps s’immobilise… plus rien n’a d’importance ou si peu… les gestes sont entravés, les activités du quotidien sont suspendues, les perceptions habituelles n’ont plus cours, l’esprit est vacant… vite, la vie va vite… derrière la vitre, la vie défile… les villes, de l’autre côté de la vitre, défilent… la vie, les vies dans les villes… sensation de vitesse presque imperceptible de ce côté-ci de la vitre, rideau… une main tire un rideau sur le monde extérieur qui disparaît à toute vitesse derrière la paroi de la vitre recouverte du rideau… la passagère du train se sent propulsée comme un projectile dans un espace-temps éternellement fuyant… vertige… images sans cohérence véhiculées par des bouffées de réminiscences… la césure du temps a figé les souvenirs… le voyage de retour se superpose à d’autres voyages et à d’autres retours qui s’inscrivaient, à l’époque, dans une suite d’actions fluides portées par la dynamique de la vie… l’enchaînement des faits s’est disloqué… ils ont sombré dans l’oubli ou se sont fixés de façon aléatoire dans une sorte d’album conservé par la mémoire, feuilleté distraitement et par intermittences…

     Autrefois, le rail caressait la courbure des villes et, même si le train ne s’y arrêtait pas, on avait le temps de lire leur nom affiché sur les quais, Béthune, Albert, Carvin, Cambrai, Douai, Hazebrouck… tout en saisissant du regard la silhouette des voyageurs en attente qui observaient le convoi. On identifiait quelques centaines de mètres avant l’entrée en gare, pendant que le train ralentissait, des éléments d’architecture ou de paysage urbain caractéristiques, vierge dorée sur un clocher, haute tour d’une église ou d’un beffroi, terril, cheminée d’usine, stade, enseigne lumineuse d’un entrepôt industriel, d’un nouveau centre commercial qui faisait penser à l’Amérique… Les trains à grande vitesse ne passent plus par les petites villes. On n’entend plus leur nom cité dans un toussotement de micros pour annoncer le prochain arrêt. Les voyages s’improvisent moins facilement. On n’achète plus son billet au dernier moment, on ne monte plus dans le train d’une grande ligne alors qu’il s’ébranle déjà, on ne peut plus suivre l’impulsion déclenchée par un désir instantané de voyage. La fréquence des trains sur les lignes dites secondaires s’est considérablement réduite, et comme au temps des diligences, avant d’atteindre la destination souhaitée, il arrive de se retrouver bloqué pour la nuit dans un coin de province que la raréfaction des trains a éloigné des grands axes de circulation. Euralille et Lille-Europe, à cette époque, n’existaient pas. De grands espaces inoccupés servaient de parkings aux automobilistes venus des communes voisines pour travailler ou prendre le train dans la métropole. Les façades de verre du nouveau quartier d’affaires défient les souvenirs. L’ancien monde, cependant, n’est pas loin. La gare qui vient d’accueillir l’Eurostar a été aménagée juste derrière la gare d’origine, qui porte désormais le nom de Lille-Flandres et n’accueille que les trains régionaux. Son bâtiment — celui de la première gare du Nord de Paris reconstruit pierre à pierre dans la cité lilloise — n’a pas changé. Le coeur bat un peu plus fort. Il faut contenir l’émotion. Marcher d’un pas tranquille de la rue Faidherbe à la place de la Déesse en passant par l’Opéra et la Vieille Bourse, admirer la splendeur et la richesse ornementale des façades rénovées, s’installer à une terrasse de café, commander une bière comme avant, comme jadis, comme si la vie, ici, n’avait jamais été interrompue et qu’il était possible de reprendre le fil comme si de rien n’était… On remontera ensuite vers la gare de Lille-Flandres par la rue du Molinel, à moins que les pas ne se dirigent plutôt vers la Préfecture pour prendre l’autobus. La navette ferroviaire est plus rapide, mais le bus pénètre dans le coeur des communes qu’il traverse en suivant la ligne de leurs rues. Il faudra faire le trajet plusieurs fois pour réveiller les sensations propres à chaque moyen de locomotion, et se rappeler le nom des villages qui se sont fondus dans l’agglomération. En été, Bois-Grenier était un but de promenade dominicale. On marchait nonchalamment pendant des heures au milieu des champs en s’amusant à reconnaître les clochers aperçus de loin dans un cercle qui allait de Fleurbaix à Frelinghien et de Prémesques à Nieppe, en passant par La Chapelle d’Armentiéres. Les noms de ces villages, hameaux ou lieux-dits apparaîtront sur les panneaux des abribus ou des petites gares qui jalonneront le trajet jusqu’à la destination finale. L’autobus s’arrêtera sur la grand-place de la ville-terminus où s’achèvera le périple, mais il sera possible de descendre un peu avant, dans le quartier Saint-Roch, avant qu’il ne s’engage dans la rue Deceuninck… La fin du voyage fera crisser les émotions… Difficile de ne pas revoir en pensée les proches venus autrefois accompagner ou accueillir celle qui partait ou celle qui revenait… Les souvenirs occultés se rebellent, des flots d’images rompent les digues de la mémoire sans avoir pour autant le pouvoir de ressusciter le passé, ni les personnes disparues… En quittant la terrasse du café, la revenante se dirige vers une librairie pour y acheter un carnet. Elle préfèrera sans doute à la trajectoire directe et plus rapide du train l’itinéraire sinueux et les lenteurs du bus…

L’ombre de la ville

LA REVENANTE

Récit écrit au cours de l’été 2018

pour l’atelier d’écriture de François Bon sur Le Tiers Livre (suite)

     De beffroi en beffroi, avec un ciel si bas qu’un canal s’est perdu, avec un ciel si gris qu’il faut lui pardonner, les villes du plat pays étalent leurs rues, leurs cours et leurs pavés dans l’indifférence de l’oubli… A quel prix le travail des prolétaires, à quel prix le travail de leurs enfants?… La brume des fumées a étouffé leurs cris, a effacé leurs souffrances, dans les vieilles cités horizontales aux longs murs de briques brunes ou rouge sombre creusés par des fenêtres en forme de meurtrières, que les seigneurs (saigneurs?!) ou capitaines d’industrie du dix-neuvième siècle avaient construites sur le même modèle dans toute l’Europe du Nord, de Lille-Roubaix-Tourcoing à Manchester, de Newcastle à Charleroi, de Düsseldorf à Valenciennes, de Londres à Flixecourt… Non loin de ces forteresses, les regards fatigués imaginent la mer et rêvent de grands voyages en suivant le cours de l’eau qui irrigue la plaine traversée de multiples canaux, dans les béguinages et les villages paisibles. A Bruges, on est un peu à Venise, et même au bord d’un simple ruisseau, en écoutant la pluie glouglouter dans un grossier caniveau, rien n’empêche d’imaginer le vent sur les voiles d’un bateau, de s’envoler vers le ciel, d’en contempler les reflets sur les rivières, de voir les campagnes onduler vers la mer, de se laisser bercer par le moutonnement des vagues, de perdre son regard dans l’horizon immense, de se sentir devant l’infini aussi petit-e, mais pas plus, qu’un-e bourgeois-e vêtu-e de beaux vêtements dans les pièces luxueuses de son château…

     Les rues changent parfois de nom mais sont plus pérennes que leurs habitants. La vie, là-bas, avait continué sans elle. D’autres vivaient dans le décor de son ancienne vie, d’autres flânaient dans la ville ou faisaient les courses à sa place (mais le marchand de légumes avait disparu), regardaient les mêmes rues, les mêmes briques, les mêmes façades, même si rénovées, repeintes, rejointoyées… Le lilas blanc déployait peut-être encore ses branches dans la cour, mais d’autres qu’elle profitaient de son ombre… La ville était devenue une entité abstraite, elle n’y connaissait plus personne, elle ne pouvait pas imaginer les vivants dans les rues devenues vides, ou plutôt désertées par ceux-celles qui avaient été ses proches… Souvent, dans une ville étrangère, elle avait le sentiment bizarre d’entrer par effraction dans un lieu où elle n’avait pas sa place, comme si la vie n’y était possible que par le biais de la procuration donnée par les morts… Dans les rues de la ville où plus aucune silhouette ne lui était familière, il lui semblait de la même façon qu’elle n’avait plus sa place. L’image de la ville restait fixée au fond de sa mémoire comme cette fausse cité italienne construite dans le seul but de fournir des décors aux cinéastes, mais il n’y avait plus de tournages, plus de films, plus d’acteurs, plus d’actrices, plus d’histoires vivantes à raconter. Un point aveugle altérait sa vision de la ville…

     Le gros oeil du beffroi, jaune dans la nuit bleue comme une deuxième lune, non loin du clocher effilé d’une église qui pointe le ciel au-dessus de la ligne des toits de tuiles rouges, parfois quelques ardoises, et de la frise limitrophe des cheminées découpées en ombres chinoises par la faible lueur des réverbères tout autour de la grand’place désertée, bordée par les rideaux de fer baissés sur les devantures des magasins du centre-ville endormi, avec quelques voitures immobiles et vides en stationnement le long des trottoirs… entre les grosses mailles de la grille qui protège la librairie du coin de la rue en face de l’Hôtel de Ville, sur la couverture à bords jaunes d’un album de bande dessinée posé verticalement sur un présentoir, l’image d’un beffroi dont l’horloge éclairée de l’intérieur brille dans l’obscurité comme une lune au-dessus de la ligne des toits qui se découpent dans la nuit en formant une frise d’ombres chinoises voilées de quelques nuages tout autour d’une place déserte… silence… l’ombre de la ville se recueille et se reflète dans les vitrines, dans les flaques, dans les rétroviseurs des voitures garées au bord des trottoirs et sur leurs carrosseries luisantes, distribue à l’infini ses parcelles de réalité que le gros oeil du beffroi recompose peut-être tout en haut de la ville, à quelques mètres seulement de la pointe effilée du clocher de l’église détruit comme lui puis reconstruit à plusieurs reprises au moment des guerres, ils n’en peuvent plus de trembler sur leurs bases…

Une lente remontée des sensations autrefois ressenties

Atelier d’écriture de François Bon

Mes contributions

     Le retour serait une lente remontée des sensations autrefois ressenties, chacune d’elles suscitant une émotion partielle qui en réveillerait d’autres… L’ancienne ligne de bus entre la métropole et la ville a disparu, il semblerait cependant qu’une compagnie privée assure une fois par semaine pour deux euros seulement une liaison identique depuis le musée des Beaux-Arts ou la Préfecture, vers Saint-André et Lomme, en longeant la Deûle et la Citadelle sur quelques centaines de mètres… Attendre? Préférer le train?… Les navettes ferroviaires sont fréquentes, la décision peut se prendre à tout moment. Le trajet ne durerait qu’une quinzaine de minutes pendant lesquelles le contournement de la cité lilloise par le Sud et la remontée jusqu’à Lambersart avant une petite course à travers champs jusqu’à Pérenchies en prélude à la trajectoire finale qui mènerait aux abords de la ville natale, offriraient une vue panoramique sur des lieux qui avaient été d’une importance déterminante mais dont l’accès semblait avoir été mystérieusement interdit… Les rails qui se déploient en sortant de la gare vers Fives et le Mont de Terre amorceraient un lent virage mais le bâtiment emblématique de la Foire Internationale de Lille — démoli — n’apparaîtrait pas dans la courbure; les lettres géantes qui en surmontaient le toit et qui, autrefois, se détachaient en rouge et brillaient dans la nuit comme un signal au moment d’arriver au port après de grands voyages, ont été effacées… le sentiment de rentrer chez soi, privé de ses anciens supports, serait donc d’emblée altéré?… Le petit train continuerait la boucle commencée en se glissant sous l’autoroute du Nord dans la direction de Ronchin et passerait non loin du lycée Faidherbe et du Jardin des plantes où nichent des souvenirs d’émotions adolescentes, mais où sont aussi malheureusement embusqués des souvenirs funestes d’événements dramatiques… La remontée dans le couloir du temps se poursuivrait sur l’axe des voies de circulation qui coupent le quartier de Lille-Sud du reste de la ville, et le souvenir des confidences maternelles (trop rares) reviendrait en mémoire; elle allait souvent travailler à pied pour économiser le prix du tramway… souvenir de ce moment où elle se souvenait elle-même de ce trajet interminable qui la conduisait de la rue de l’Arbrisseau où elle habitait jusqu’à l’atelier de confection qui l’employait rue Neuve ou rue de Béthune!… souvenirs en abyme d’une silhouette qui longe le mur lugubre de l’immense cimetière du Sud et s’engage dans la longue rue du Faubourg des Postes qui devient rue des Postes en quittant le quartier périphérique pour pénétrer dans le cœur de la ville!… avancer avec la silhouette à la cadence de ses pas, entendre leur martèlement dans la nuit avant le lever du jour, sentir sa respiration décélérer un peu dans la rue Solférino à l’approche du Théâtre Sébastopol, choisir avec elle la rue Léon Gambetta plutôt que la rue d’Inkermann pour déboucher boulevard de la Liberté, traverser devant le Palais des Beaux-Arts, atteindre la place Richebé, guetter une pendule dans un café, pousser un soupir de soulagement, voler quelques minutes de répit en regardant une ou deux vitrines, se décider à franchir la porte de l’atelier!… Vite, passer vite devant le CHU et les mauvais souvenirs… Le petit train franchirait la Deûle à Haubourdin en jetant un pont vers d’autres souvenirs lointains d’amitiés paisibles et de moments festifs, avant de remonter vers la ville de Lambersart (inscrite comme lieu de naissance sur la carte d’identité maternelle et importante à ce titre, mais sans autres attaches que ces quelques syllabes associées à une date qui témoignent du début d’une existence) et de s’élancer vers Pérenchies. Ah, la route vers Pérenchies!… C’était un peu la route du père, l’un des endroits où il se rendait en Solex, le soir, après sa journée de travail à l’usine, pour donner des leçons ou faire répéter les membres d’une société de musique… Tous les trains ne s’arrêtent pas à Pérenchies, il faudrait choisir un horaire qui prévoie cette étape, un jour de soleil, car la fin du parcours, à huit ou neuf kilomètres de la destination finale, pourrait se faire à pied… En sortant de la gare et en prenant la direction de l’Epinette, il y aurait très vite, à trois ou quatre cents mètres, une rue portant le nom d’un membre de la dynastie Agache, Édouard… qui avait fait du village de Pérenchies la petite capitale de briques de son empire linier, et pendant un bon kilomètre, jusqu’au chemin de l’Oris, les rues aligneraient sur chaque trottoir de petites maisons ouvrières mitoyennes… Le chemin suivrait la voie ferrée à droite et serait encore bordé de maisons pendant une centaine de mètres sur le côté gauche, mais après le passage à niveau, sur le chemin de la Cœuillerie, le tissu urbain cèderait complètement la place à la terre agricole et la séparation serait nette. Le pas ralentirait mais le cœur battrait un peu plus vite, un sentiment étrange apparu au début du voyage, de joie et de tristesse mêlées, prendrait de l’ampleur, et le regard chercherait déjà au loin ce qu’il pourrait reconnaître… Après le hameau de la rue de la Bleue, le chemin de l’Epinette apparaîtrait en ligne droite à travers les champs comme une invitation à parcourir les derniers kilomètres qui assureraient la jonction avec la vie ancienne… Les promenades, les parties de pêche et les jeux d’aventure se faisaient le plus souvent dans un triangle dont la base allait du bas de la rue des Murets au chemin du Pont Ballot, les petits côtés se rejoignant à l’angle de la rue d’Hespel et de la rue Victor Hugo… La mémoire libèrerait des images, les souvenirs deviendraient plus précis, les premières maisons du hameau de l’Epinette déclencheraient un nouveau flot de réminiscences, l’air résonnerait de paroles complètement oubliées, encore quelques mètres et ce serait la ferme, le cœur alors se serrerait un peu trop fort… mais le chant des alouettes réveillerait les sentiments tout neufs de l’enfance, et les raisons qui avaient rendu le retour impossible, à l’inverse, s’effaceraient… Après un moment d’hésitation car le chemin de terre pris autrefois aurait disparu, la progression se poursuivrait à travers champs, le blé ne serait pas encore très haut, il serait possible d’avancer au jugé dans les sillons laissés par les roues des tracteurs jusqu’au chemin du Pilori et de continuer par le Pavé de La Chapelle, au carrefour de la D945… Un grand parc d’activités industrielles et commerciales brouillerait tous les repères, il faudrait le traverser ou le contourner par le sentier de Lille jusqu’à des jardins maraîchers, éviter sur la gauche un lotissement inconnu et prendre à droite un chemin de terre qui rejoindrait la rue du Bas Chemin, suivre celle-ci jusqu’au bas de la rue des Murets, accomplir la jonction…

Dépaysement

Atelier d’écriture de François Bon

Mes contributions

     La perception de la ville ne peut pas être la même pour tous les habitants mais se module en fonction du quartier et de ce qu’il représente. La rue elle-même, dans tel quartier connoté, a ses particularités propres, sa physionomie, sa personnalité. Chaque trajet ou promenade se déroule comme un voyage ou une traversée initiatique qui révèle progressivement une part des mystères de chaque lieu. A deux pas de chez nous, les petits pavillons jumeaux de la rue Lavoisier, parallèle à la nôtre, avaient des airs de petites villas avec leurs façades mitoyennes d’un seul côté, leurs toits décrochés et leurs portes d’entrée protégées par un petit hall. Aller rue Jeanne d’Arc en passant par cette rue coupée à angle droit par la rue du Fort-Malakoff faisait presque traverser un autre monde, séparé de l’église voisine par un mur au-dessus duquel bruissait le feuillage des arbres d’un jardin qui était peut-être l’Éden; emprunter ces rues était la promesse d’un dépaysement associé à un sentiment de calme et de sérénité qu’il était bon de savoir renouvelé à chaque passage… En semaine, les trajets se faisaient dans le cadre resserré du quartier tandis que les promenades du dimanche donnaient une perception plus élargie de la ville. L’hiver, on en prenait le plus souvent le pouls dans les rues commerçantes du centre, mais on allait parfois jusqu’à l’école municipale de musique, rue Nationale, en passant par la rue Sadi Carnot, qui donnait envie de continuer un peu plus loin, jusqu’à l’église Notre-Dame, dans le quartier le plus bourgeois de la ville, dont les grandes maisons austères semblaient dégager un air de quant-à-soi hostile… L’été, on allait plutôt vers les confins, à la limite de la ville ou plus loin dans la campagne selon l’endurance des marcheurs. Plus on se rapprochait de la Belgique, plus l’habitat devenait net, neuf et moderne, au bord de larges avenues. Au Sud, les noms bucoliques des villages de Fleurbaix et de Bois-Grenier ouvraient des horizons séduisants mais un peu lointains. Le Pont de Nieppe faisait traverser les faubourgs ouvriers situés à l’Ouest de la ville, tandis que vers Houplines, à l’Est, on bifurquait souvent dans la direction des étangs du Pont Ballot ou de l’Épinette, en marchant à travers champs. La ville avait de multiples facettes et de multiples entrées que les promenades réitérées rendaient familières et qu’il était agréable d’identifier comme les éléments d’un univers dans lequel on avait soi-même une place reconnue. La connaissance globale de la ville acquise sur les chemins permettait d’en mémoriser une image sans doute analogue à celle des photos de satellite diffusées aujourd’hui sur Internet. La ville, à l’époque, était déjà en expansion, mais son tissu fluide se laissait encore traverser par de larges trouées vierges d’occupation, comme s’il fallait moins de pixels pour la représenter; vue du beffroi ou d’un clocher d’église, son emprise au sol paraissait sans doute moins dense et plus circonscrite…

Je ne veux pas me souvenir

 

    Jean-François Dutour m’avait confié: « J’ai eu le temps de réfléchir, n’oublie pas que je suis un témoin direct, j’affirme… mon intuition intime… je suis persuadé que la clé du puzzle… Oui, il a cherché Walter. Walter n’est pas un personnage de fiction, il n’aurait pas pu mentir à ce point, inventer certains détails, avoir certains regards, certaines expressions… l’intuition du policier, quand même, ça existe!… Il a cherché Walter… C’est dans la logique de son personnage, de cet attachement puissant qui le faisait parler si souvent de Walter d’une voix qui… Il a cherché Walter et cela n’empêche pas… mais je n’en sais pas assez pour conclure…

     Jean-Francois… la dernière fois que je t’ai vu, chez mon père… Etes-vous vivants ? Vous reverrai-je un jour ?… Dans ce lieu où nous avons trouvé refuge, sommes-nous à ce point coupés du monde que nous ignorons tout du sort réservé au reste de l’humanité alors que vous-mêmes auriez surmonté le pire et tenteriez de nous retrouver? Xavier pense que nous avons découvert un petit Éden. Il se montre optimiste pour « l’avenir » de notre petite communauté et rêve d’en faire une société idéale… Les mots ont-ils encore un sens? Nous n’avons plus d’avenir, seulement un futur proche qui consiste à essayer de subvenir à nos besoins les plus élémentaires. La flore est abondante et riche en espèces nourricières. Nous retrouvons sans doute les gestes de nos très lointains ancêtres cueilleurs. Nous nous habituons déjà à cette nourriture simple et frugale qui nous permet d’économiser le stock providentiel de conserves qui assure notre survie actuelle, sa date de péremption nous laisse un délai de quelques années, nous espérons mettre ce laps de temps à profit pour nous lancer dans l’agriculture. Sylvain explore chaque pouce de terrain à la recherche de graines qu’il fait germer ensuite dans le jardin qu’il a entrepris de cultiver. Les lignes du paysage sont très douces et me font penser à la description faite par Martin au début de sa déposition, quand il évoquait presque avec tendresse ce petit village de l’Europe de l’Ouest qui fut l’écrin, sans doute, de ses dernières espérances en partage avec Walter, alors qu’ils se croyaient encore au début de leur grande aventure… Que sont-ils devenus? Et Sylvia, que Martin semblait chérir, n’était-elle qu’un personnage de fiction? Sont-ils réunis aujourd’hui dans ce mystérieux Etat auquel nous ramenait sans cesse le délire de Martin ou nos propres délires à son sujet? J’ai la sensation bizarre d’avoir été soustraite au continuum de l’Histoire humaine, comme si j’avais été propulsée avec mes compagnons d’infortune dans un monde parallèle, sous l’effet de dérèglements spatio-temporels qui auraient été déclenchés par les cataclysmes successifs qui ont frappé notre planète. Pourquoi chercher aujourd’hui à essayer de déchiffrer ce passé récent auquel nous n’avions rien compris? A quoi se raccrocher pour lutter contre la folie qui nous guette? Nous ne savons même pas comment nous avons pu échouer ici, dans cette base américaine désertée que nous sommes incapables de situer sur une carte. Marceau et Nicolas, qui étaient tous les deux des collaborateurs de Jean-Francois Dutour, spécialisés dans la prospection stratégique, sont enclins à déduire de leurs observations que nous serions probablement dans une zone de territoire qui jouxterait l’Alaska. Je me sens incapable de me remémorer cet enchaînement incroyable d’événements tous plus apocalyptiques les uns que les autres qui nous ont fait fuir à sauve-qui-peut dans la panique et le désordre le plus total. Je ne le peux pas. Je ne veux pas me souvenir de toutes ces scènes d’horreur entrevues dans les villes et sur les routes, auxquelles je ne sais comment j’ai pu moi-même échapper. Pendant combien de temps serons-nous à l’abri dans notre refuge actuel? Louis est heureux d’avoir trouvé un piano, il joue à tous ses moments perdus. Marceau et Nicolas retrouvent leurs réflexes de professionnels pour établir une stratégie de survie. Tous, nous essayons d’oublier l’inimaginable et l’impensable que nous venons pourtant de vivre. Les mots étaient ma raison d’être, mais ils n’ont plus de sens puisque le monde autour de nous, qui leur servait d’écrin ou qu’ils enchâssaient comme un bijou, s’est écroulé. Pourquoi avoir entrepris d’écrire ces lignes? Pourquoi continuer? De nouveau me viennent à l’esprit les mots de Martin, ceux qu’il avait écrits au début de son journal. Écrire serait un acte de résistance? Pour lui, je n’en doute pas, il avait l’étoffe d’un héros, comme il aurait dit de son ami Walter. En ce qui me concerne, j’ai bien peur que l’acte d’écrire ne soit qu’un divertissement pour tuer le temps, pour empêcher que l’angoisse ne me submerge. J’essaie seulement de résister à la folie.

 

 

Fausses clartés

     J’étais loin de me douter… Je ne savais pas… Je ne savais rien. D’une certaine façon, j’étais comme tout le monde, sauf que… Cette rature sur le registre, ou plutôt ce gommage, cette surcharge d’encre blanche sous le libellé de mon nom… Oui, c’est comme cela que tout a commencé. Je ne pensais à rien, tout me paraissait normal dans ma vie, et puis tout à coup, ce rien, ce détail insignifiant comme le ver dans le fruit de mon imagination… J’ai commencé à m’interroger, à poser des questions aux autres. Walter, mon meilleur ami, me reprochait d’être devenu maniaque. Pour lui, tout était rigolade et bonheur de vivre. Pourquoi s’inquiéter? Et de quoi? C’était vrai que la vie pouvait paraître belle – maintenant je sais qu’il est possible de s’habituer à tout – mais soudain, là, sur le registre que j’avais dû consulter, cet accroc à la norme, cette boursouflure blanche qui paraissait cacher quelque chose sous les lettres noires qui composaient mon état civil, pourquoi? Et pourquoi moi? Je ressemblais tellement à tout le monde… J’étais comme le frère jumeau de Walter, en moins extraverti. Les marginaux n’existaient pas chez nous, l’originalité non plus, et c’est précisément ce qui me tracassait. Non, ne m’interrompez pas, le fil n’est pas très solide, vous savez… Du chantage? Les rôles seraient renversés? Mais c’est que je suis devenu malin! Je pourrais en profiter! Oui, messieurs, vous dépendez de ma mémoire, et du fil de la narration que je suis en train de vous faire avec mes pauvres moyens… Laissez-moi le temps, le temps de récupérer, de me remettre de tous ces chocs successifs… J’ai l’impression de rêver, je vais me réveiller en ayant tout oublié et je ne saurai pas que je suis redevenu amnésique…

     Jean-François Dutour accomplissait tranquillement son travail, en « pro ». Les cercles de qualité avaient introduit le concept du « zéro défaut » jusque dans les arcanes subtiles de la police secrète. La politique aussi frappait ses slogans au coin du syndrome de la perfection, à « zéro défaut » un écho répondait « immigration zéro »… Autrement dit, ça baignait. Même dans le sang. Les crises récurrentes, c’était comme les saisons. Le téléspectateur avalait ses corn flakes été comme hiver… Le risque, pour Jean-François Dutour, paraissait être seulement, si l’on peut dire après coup, que cette affaire dégénère en embrouille diplomatique. Il sauterait mais il y avait des fusibles bien plus gros que lui… En aucun cas… Sa vie professionnelle avait été jusque-là un sans-faute. Intelligence (au moins dans le cadre de ses fonctions), efficacité, un soupçon d’opportunisme, des succès couronnés par une carrière-éclair, à cinquante ans il était désormais le big boss, juste derrière les gros calibres politiques. Provocation diplomatique ou vaste canular? Martin avait l’air d’un grand gosse perdu… Maîtrise de l’espion au sommet de son art? Petit, gros gibier? Le faire parler, parler, la routine quoi, mais sans connaître l’enjeu. Jean-François Dutour jouait très gros, il ne savait pas à quel point…

     Quelques gouttes de soleil, une vapeur dorée, Walter est assis sur une pelouse, il éclate de rire, je ne vois plus que l’éclat de ses dents… Il se lève, me donne une grande claque dans le dos, m’entraîne dans son rire… Il vient de me confier une idée fabuleuse et nous planons au-dessus de la ville comme deux oiseaux migrateurs… Sans être différent des autres – puisque, je l’ai déjà dit, notre société était homogène – à mes yeux, Walter avait quelque chose en plus, une vitalité, un instinct, une allure, une façon à lui de se poser et parfois, sans doute, d’en imposer… Son ascendant sur moi était certain. Il me fascinait. C’était lui qui avait eu l’idée et, bien sûr, j’avais trouvé ça génial! La personnalité de Walter, d’ailleurs, avait été repérée par nos cadres. On l’avait déjà pressenti pour entrer dans la confrérie des grands officiers de l’Ordre. Walter… La dernière fois que je t’ai vu… Walter avait l’étoffe d’un chef mais c’était bien plus que ça… Soyez sympa, éteignez la lampe, ce filet de jour, là-haut, va filer et nous n’aurons pas vu la lumière du soleil faire valser les grains de poussière…

     Jolie jeune femme brune, un peu intello mais pas trop, Elsa gravitait dans le cercle des VIP, elle aimait ça. Études de lettres, journalisme, des entrées facilitées par un patronyme connu, la vie lui souriait, elle souriait à la vie. Parisienne, elle aimait rejoindre ses amis dans les bars branchés, faire la fête et, de sa vie, un objet qu’elle ambitionnait de réussir. A dix-sept heures, elle devait rencontrer Jean-François Dutour, un ami de son père. Il lui donnerait quelques informations précieuses au sujet d’une arrestation qui commençait à faire grand bruit. Sans doute une affaire d’espionnage. Elle abuserait de l’affection qu’il lui porte pour lui demander l’impossible, comme d’habitude. Elle espérait bien qu’il accepte de la laisser entrevoir le mystérieux prisonnier derrière le miroir sans tain de la pièce où il était interrogé.

     Une vapeur dorée comme un voile de soie posé sur les collines, sur les feuillages des arbres, sur les chaumes, sur la terre brune et rose des champs déjà labourés, sur le clocher pointu d’un petit village de l’Europe de l’Ouest, niché dans l’échancrure d’une vallée… Nous sommes encore ensemble, Walter et moi… Chaque goutte de lumière réfracte l’univers entier, nous sommes tout juste au début de nos grandes découvertes… Non, ne rallumez pas. Je préfère la pénombre à vos fausses clartés ! Si ça ne tenait qu’à moi… Si vous étiez d’accord… Je resterais au chaud dans ma rêverie pendant que vous rédigeriez vos rapports, puisque vous savez presque tout et moi, presque rien…

Récit en cours : Nous étions si fragiles…

Le bruit léger de mes pas

La campagne est silencieuse
et immobile, aucun souffle n’agite
les feuillages encore tendres
contre le front du ciel gris
si pâle aujourd’hui, tristesse
de la couleur absente, joie
de la marche libre, au coeur
de la vie qui bat, au loin
le clocher du village
et les maisons regroupées
sous les nuages bas
et lourds
bientôt, le crépitement de la pluie
accompagnera
le bruit étouffé de mes pas

11 personnages en trois phrases (ou presque)

Ma contribution à l’Atelier d’été de François Bon:

Une jeune femme fait du stop sur une route nationale. Ses cheveux blonds dépassent d’un fichu noir. Son regard bleu ciel est une vaste question silencieuse.

Le hall de l’hôpital est clair et convivial. Lieu d’orientation vers les salles de consultations, d’examens, d’opérations, de soins, endroit où l’on patiente aussi avant de se rendre vers les autres lieux d’attente prévus au détour des couloirs. On s’y repose un moment dans les fauteuils, on s’arrête devant le distributeur pour boire un café ou grignoter quelques biscuits, on échange quelques mots avec d’autres personnes. Destins croisés de gens de tous âges et aussi divers que dans la vie en bonne santé à l’extérieur. L’endroit est calme, on s’y déplace sans hâte, avec gravité, souvent avec difficulté. Beau visage d’une très jeune femme meurtrie dans sa chair.

Fête foraine. Une femme essaie d’échapper à un homme qui la suit et la harcèle. La foule reste passive.

Elle est à demi-allongée sur le trottoir, le dos appuyé contre la façade d’une agence bancaire, les vêtements chiffonnés. Elle semble dormir, elle est peut-être malade? Un sourire radieux s’affiche soudain sur le visage ravagé par les rides qu’elle tourne vers une passante qui vient de lui donner un peu d’argent en lui parlant gentiment.

Ils sont plusieurs dizaines devant la porte du recruteur, plusieurs dizaines pour un seul poste. Il ne se sent pas à l’aise. Que ressentent les autres? Les postulants entrent chacun à leur tour avec un air plus ou moins crispé ou faussement détendu (comment se sentir détendu quand l’enjeu est de gagner sa vie?). Ils ressortent le dos courbé et le regard fuyant…

On les appelle les Parisiens. Ils habitent pourtant dans le village depuis pas mal d’années. Ils retapent sans hâte les bâtiments d’une vieille ferme abandonnée et cultivent leur jardin. Les natifs trouvent qu’ils reçoivent des gens bizarres…

Les uns marchent d’un pas déterminé vers le quai où ils monteront dans un train qui partira bientôt, les autres attendent dans la gare en déambulant, boivent un café ou se restaurent. Un homme à la mine patibulaire cache un gros sac derrière un panneau publicitaire…

Une fourgonnette passe en trombe en grillant un feu rouge, suivie par une voiture de police. On a eu le temps d’apercevoir le bonnet noir enfoncé sur le front du conducteur en fuite.

Une petite gamine fait la manche et sans doute aussi les poches quand elle descend dans le métro. Elle est dans le collimateur des agents de surveillance. Qui la surveille et la protège?

Une petite vieille avance péniblement sur le trottoir en ralentissant les pas d’une jeune femme qui marche derrière elle et la reçoit dans ses bras juste au moment où la vieille dame trébuche.

Le train à destination de… va partir… Sa course est ralentie par la valise qu’elle traîne. Le train s’ébranle, elle arrive à la hauteur du dernier wagon, le temps s’étire, les secondes deviennent un monde parallèle où se joue son destin…

Eau-forte

Ce texte est ma contribution n°3 à l’atelier d’hiver de François Bon (suite…)

Le long silence de la neige

Ce texte est ma contribution n°1 à l’

Atelier d’écriture de l’hiver 2016 de François Bon sur Tiers Livre

     La terre est rarement très sèche; les véhicules creusent des ornières qui se remplissent d’eau; il faut marcher sur les côtés, poser les pieds sur des touffes d’herbe, s’efforcer de tenir en équilibre de l’une à l’autre en évitant que la boue gluante asperge les habits au moindre faux-pas; le chemin monte  jusqu’aux remparts de l’ancienne forteresse, puis il cède la place à une chaussée étroite faite de gros pavés inégaux sur lesquels rebondissent les carrioles; de toutes petites maisons construites dans le mur d’enceinte encadrent l’entrée du village en forme d’arche; elle habite dans l’une d’elles, désormais vieille et seule; lui… Maurice Leleu… on ne pense pas à un loup en le voyant, plutôt à un ours, un gros ours patibulaire… il continue d’habiter dans la maison isolée desservie par le chemin à l’écart du village; l’hiver, l’endroit est sinistre; quand il gèle et que le chemin est glissant comme une patinoire, impossible de monter au village; les provisions viennent toujours à manquer; il faut parfois se risquer à sortir; on pourrait mourir sans que personne ne s’en rende compte; l’été, on aperçoit dans les prés la silhouette furtive d’un vieux berger à la barbe aussi fleurie que celle de ses moutons; au printemps, la camionnette jaune du facteur recommence à brinquebaler sur les chemins; et le motoculteur rouge du garde-champêtre se déplace le long des haies pour les tailler; la vie reprend quelques couleurs après le long silence de la neige; les abeilles bourdonnent; l’air alentour sent bon; on se couche dans l’herbe au soleil; les yeux sont au niveau des fleurs des champs taquinées par les insectes; on admire le vol d’un papillon; on s’étonne de l’activité fébrile d’une cohorte de fourmis; on les regarde aller et venir dans un mouvement qui semble perpétuel; on se laisse aller à philosopher sur la nature des êtres; à la pointe de l’instant, dans la torpeur de l’été, on croirait volontiers que la vie est paisible; au loin, on entend des flonflons; on se relève pour aller à la fête du village; on secoue ses habits; il en tombe des brindilles et de la terre; le chemin est sec; on a déjà envie de danser; la montée est rude mais on est jeune; on marche sur les traces de tous les jeunes gens et jeunes filles qui se sont rendus sur la grand-place pour s’amuser autour du feu de la Saint-Jean; on ne voit pas leurs fantômes; on ne les voit pas guetter à chaque coin et recoin de chacune des rues; on ne les voit pas dévisager les nouveaux venus avec un mélange effrayant d’envie et de pitié; on n’entend pas leurs lamentations, leurs plaintes, leurs cris et leurs sarcasmes; les flonflons se rapprochent; l’excitation est à son comble; la musique s’unit à la danse; le vin coule à flots; la vie, à cet instant, se confond avec l’ivresse et la danse; les fantômes n’existent pas ou sont insignifiants; la jeunesse est une force qui les tient à l’écart; mais, déjà, la fête se termine; les vieux à leur fenêtre ont convoqué les fantômes pour regarder s’égayer la foule; elle se souvient; tout est allé si vite; le mouvement perpétuel de la vie est implacable; il a tout emporté et tout détruit sur son passage; les fantômes qui l’accompagnent lui apportent un peu de réconfort; son coeur à lui est gelé; l’ours, ou le loup, est devenu lui aussi vieux et malade; pourquoi s’obstiner à vivre comme une bête, là-bas, dans la maison isolée; ceux qui étaient sous sa domination, autrefois, sont en embuscade; on les devine prêts à tirer; on ne sait plus de qui ou de quoi on a le plus peur…

Les mots ont-ils encore un sens?

     Jean-Francois… la dernière fois que je t’ai vu, chez mon père… Etes-vous vivants ? Vous reverrai-je un jour ?… Dans ce lieu où nous avons trouvé refuge, sommes-nous à ce point coupés du monde que nous ignorons tout du sort réservé au reste de l’humanité alors que vous-mêmes auriez surmonté le pire et tenteriez de nous retrouver? Xavier pense que nous avons découvert un petit Éden. Il est très optimiste pour « l’avenir » de notre petite communauté. Les mots ont-ils encore un sens? Nous n’avons plus d’avenir, seulement un futur proche qui consiste à essayer de subvenir à nos besoins les plus élémentaires. La flore est abondante et riche en espèces nourricières. Nous retrouvons sans doute les gestes de nos très lointains ancêtres cueilleurs. Nous nous habituons déjà à cette nourriture simple et frugale qui nous permet d’économiser le stock providentiel de conserves qui assure notre survie actuelle, sa date de péremption nous laisse un délai de quelques années, nous espérons mettre ce laps de temps à profit pour nous lancer dans l’agriculture. Sylvain explore chaque pouce de terrain à la recherche de graines qu’il fait germer ensuite dans le jardin qu’il a entrepris de cultiver. Les lignes du paysage sont très douces et me font penser à la description faite par Martin au début de sa déposition, quand il évoquait presque avec tendresse ce petit village de l’Europe de l’Ouest qui fut l’écrin, sans doute, de ses dernières espérances en partage avec Walter, alors qu’ils se croyaient encore au début de leur grande aventure… Que sont-ils devenus? Et Sylvia, que Martin semblait chérir, n’était-elle qu’un personnage de fiction? Sont-ils réunis aujourd’hui dans ce mystérieux Etat auquel nous ramenait sans cesse le délire de Martin ou nos propres délires à son sujet?

     Drôle d’Histoire

     2055

Non, ne rallumez pas.

     Jolie jeune femme brune, un peu intello mais pas trop, Elsa gravitait dans le cercle des VIP, elle aimait ça. Études de lettres, journalisme, des entrées facilitées par un patronyme connu, la vie lui souriait, elle souriait à la vie. Parisienne, elle aimait rejoindre ses amis dans les bars branchés, faire la fête et, de sa vie, un objet qu’elle ambitionnait de réussir. A dix-sept heures, elle devait rencontrer Jean-François Dutour, un ami de son père. Il lui donnerait quelques informations précieuses au sujet d’une arrestation qui commençait à faire grand bruit. Sans doute une affaire d’espionnage. Elle abuserait de l’affection qu’il lui porte pour lui demander l’impossible, comme d’habitude. Elle espérait bien qu’il accepte de la laisser entrevoir le mystérieux prisonnier derrière le miroir sans tain de la pièce où il était interrogé.

      Une vapeur dorée comme un voile de soie posé sur les collines, sur les feuillages des arbres, sur les chaumes, sur la terre brune et rose des champs déjà labourés, sur le clocher pointu d’un petit village de l’Europe de l’Ouest, niché dans l’échancrure d’une vallée… Nous sommes encore ensemble, Walter et moi… Chaque goutte de lumière réfracte l’univers entier, nous sommes tout juste au début de nos grandes découvertes… Non, ne rallumez pas. Je préfère la pénombre à vos fausses clartés ! Si ça ne tenait qu’à moi… Si vous étiez d’accord… Je resterais au chaud dans ma rêverie pendant que vous rédigeriez vos rapports, puisque vous savez presque tout et moi, presque rien…

Drôle d’Histoire

Les Cosaques des frontières (reprise)

AURORE

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33. Aurore, 2015

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32. Aube du monde, 2015

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31. Chemin blanc, 2015

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30. Soleil hivernal, 2014

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29. Collines bleues, 2014

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28. Mille et une nuits, 2014

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27. Douceur du soir, 2014

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26. (E)automne, 2014

(d’après une photo vue sur www.Photo-Paysage.com /cc by-nc-nd) 

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25. Miroitements, 2014

(d’après une photo de Bruno Monginoux/cc by-nc-nd /www.Photo-Paysage.com)

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24. Rose crépuscule, 2014

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23. Arbre nu, 2014

@DanniSr8 : « La mélancolie est un crépuscule, la souffrance s’y fond dans une sombre joie. » Victor Hugo

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22. Embrasement, 2014

Rêverie d'été

21. Rêverie d’été, 1967

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20. Soleil irlandais, 2014

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19. Mouillage, 2014

(d’après une photo proposée par Marie-Christine GRIMARD)

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18. Le ciel et la mer, 2014

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17. Rivage, 2014

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16. Océan, 2014

Aube

15. Aube, 2014

Coucher de soleil

14. Coucher de soleil, 2014

Miroitement de l'eau au crépuscule

13. Miroitement de l’eau au crépuscule, 2014

(d’après une photo originale de Mooonalila)

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Ciel d'hiver

12. Ciel d’hiver, 2014

Plage de Ravenoville

11. Déclinaison, 2014

Village

10. Village, 2014

Flots

9. Flots, 2014

Paysage portuaire

8. Paysage portuaire, 2014

Route en hiver

7. Route en hiver, 2014

Falaise

6. Falaise (Pointe du Hoc), 2013

Confins

5. Confins, 2013

Front de mer

4. Front de mer, 2013

Tribord

3. Tribord, 2013

Transparence

2. Transparence, 2013

Grand vent

1. Grand vent, 2013

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Aimantation

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Rivières

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Elévation

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