Le langage

Le langage est sans doute une dimension du monde

qui nous propulse dans des mondes parallèles

ou nous fait vivre plusieurs fois

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Revue d’ci là n°11

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[Objet de langage]

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     Je suis fascinée depuis toujours par le langage, par cette capacité d’expression et d’abstraction qui nous fait sortir des murs sensoriels de notre corps tout en y étant originellement ancrée, car le langage est indissociable de la langue, au sens propre comme au sens figuré. Dieu, selon la tradition, est Verbe car il est possible de penser que le langage, d’une certaine façon, transcende nos actions. L’activité de la pensée, mise en oeuvre par le langage, nous fait accéder à l’universel. Est-il raisonnable de réduire le langage à notre corporéité alors qu’il est l’ADN du cosmos et des étoiles et de l’Univers tout entier? E=mc2 est l’expression tellement simple et limpide d’un mécanisme de l’Univers dont Einstein admirait l’intelligence des Lois à l’Oeuvre… Quelle est cette Intelligence qui nous dépasse tellement? Quelle est la nature profonde de ces borborygmes que nous nous adressons et qui sont complètement hermétiques quand nous ne maîtrisons pas la langue utilisée? Lorsque j’entends parler dans une langue qui m’est étrangère, je reste plongée dans un étonnement sans mesure à l’idée que le flux sonore monotone qui s’écoule de la bouche d’un humain est en réalité une fluctuation mélodieuse de sons qui exprime une multitude de variantes d’états mentaux saisis ou ressaisis par la palette infiniment variée des expressions du langage. M’est venue l’idée d’exprimer graphiquement cet étonnement par un jaillissement de lettres qui font système entre elles car elles font partie d’un code, mais qui ne contribuent que progressivement à faire apparaître un sens, qui reste mystérieux…

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L’infini dans le fini

     Les lettres, là… L’être là des lettres. L’entrelacs des lettres. Invitation à les mélanger. Écrire pour écrire. Pour être ou n’être pas. Jeu existentiel. Jeu in/essentiel. Moi qui ne suis pas seulement moi. Qui suis plus ou moins que moi. Soustraction-addition. Addiction… X. Y. LSD. CQFD. ABCD. Abécédaire de la Vie. De A à Z. Infinie combinaison de lettres dans un nombre fini. LOGOS! Chose-rien, personne, un masque, une apparence, une illusion, m-o-i, avec des mots, des images et des ombres… Dire, parler avec une bouche d’ombre. Tracer des lettres, des signes légers qui à peine éraflent leur support, tapoter sur un écran tactile, ardoise magique, aimer cette illusion, se vouloir prestidigitateur(trice)… Bonjour, je suis là, c’est moi, ce n’est pas, plus, moi. Au revoir, adieu, comme la vie est courte! Je fais semblant, oui, semblant de maîtriser, je ne maîtrise rien, je, personne… Oui/non, système binaire, non, j’ai besoin de dire non. De me révolter. De virevolter. Je tourne sur moi-même inutilement. Oui à cette lettre, non à celle-là, quelle importance? Oui/non, je ne sais pas. Je voudrais, j’aimerais, je souhaiterais, si je pouvais… Qu’au moins cela, CELA me soit épargné! Refuser d’y penser, oui/mais, les pensées viennent, viennent, les refouler, les fouler aux pieds, les piétiner, les écraser, crois-tu? Tu agites les bras comme un moulin à vent, inutilement. Le vent souffle et les paroles s’envolent. La tour de Babel est une espèce de grande bibliothèque. Un grand moulin à vent (à grains?) qui s’élève dans l’univers au-dessus de la terre. Sa fonction est de mouliner en continu toutes les lettres de chaque alphabet, dessins, idéogrammes inclus. Objets immatériels qui semblent préexister à la matière. Jeu sans fin, jeu qui ne m’a jamais vraiment fait rire. Fou rire… LOGOS! Logarithme, logi-ciel, logique, analyse, dilution, forme de la forme, mes mots, mes formules, mes balbutiements, comme des cailloux, ricochent à la surface, sans la troubler, de l’eau profonde d’un Être qui semble laisser échapper de lui des ondes avec lesquelles mes pensées croient entrer en résonance… Les voyelles se colorent à travers le prisme de la lumière… Les consonnes titubent sur les bateaux de papier… Quel est donc ce voile ineffable et invisible qui se glisse et se plisse dans les interstices de ma conscience?Signes-cristaux qui brillent et fondent comme neige au soleil, douce hypnose de la danse des lettres…

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A perdre la raison

 

le réel incisif me surprend toujours, douceur ou malheur

le langage donne une forme et même un sens décisif

à tout ce qui me touche, bonheur ou heurts

la réalité n’est qu’un reflet de la confrontation ininterrompue entre le réel et le langage

clichés momentanés

des lignes de force apparaissent, qui dessinent des visions du monde
et des rapports de force se créent au fil des croyances
pourtant, le réel n’est pas un noyau dur, il se délite à l’infini

comme nos corps éphémères

et par là-même imaginaires

le langage – Logos – serait une structure à l’Oeuvre, de l’alpha à l’oméga?

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Sous le couvert des mots

     Le langage me transporte dans des lieux qui seraient inhabitables sans l’abri des mots. Leur approximation me permet de circuler dans un espace ouvert par mes désirs et fermé par mes peurs, restreint par mes limites, borné par mon ignorance. La parole organise mon espace de vie et crée la possibilité du rêve. Les mots du dictionnaire se présentent à moi comme des consignes qui tourneraient autour du Signe. La spirale des significations m’emporte dans un puits sans fond, sans fin…

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Langage décisif

     La présence douloureusement incisive de l’absence condamne au silence intérieur; les mots creusés-creusets de l’écriture en sont l’ombre portée; le langage (des livres) délivre…

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Prendre le langage pour ce qu’il est

Un  je

u

?…

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Fond et forme

     Juste avant d’entrer dans le hall du REX, ma mère avait dit, en joignant le geste à la parole, qu’elle éteignait le parapluie… Le langage était lumineux.  » Tu ne sais pas nager » signifiait clairement que je risquais de me noyer et « dépêche-toi » que je ne serais pas repêchée. Une enfilade d’objets sonores glissait autour de moi comme un collier magique. Je me déplaçais avec d’infinies précautions pour éviter de le briser. Les mots qui défilaient à la craie blanche sur l’écran noir du tableau de l’école, il suffisait de les prendre un à un dans la bouche et de faire comme les huîtres, il en ressortait une perle…

      Couleur sienne, éditions La Chambre d’échos.

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C (Qu) antique

          silence soupir

amour mot

mémoire exploration

espace tourbillons

mots arrachement

les déchirures du langage lacèrent les corps

          mots socs

langage socle

mémoire projection

mouvements de mots

définitions cages

les éclairs de la pensée déchirent les voix

          mots grains

greniers mémoire

langage à l’oeuvre

phrases sillons

labours

de la terre et de la chair

est triste

tant de douleurs et de pertes

           et le paysage qui tremble

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A tous vents

tctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctc

tctctctctctctJe suis un lieu-dittctctctctctc

tctctctcmon prénom est paraboletctctctctctc

tctctctcttu peux t’y arrêter un moment pour prendre ton élantctctctctctc

tctctctctje suis un lieu de passagetctctctctct

tctctctctctctun lieu de courants d’air où se bousculent tous les mythestctctctctctc

tctctctctet toi le passant  tctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctc

tctctctcttu cueilles l’histoire pour y projeter ton désirtctctctctctct

tctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctctc

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