[ « Ecrit depuis l’avenir » ou « Vecteur » est une sorte de récit ou de journal écrit à partir du 24 juillet 2064 après, semble-t-il, une catastrophe inouïe. Les fragments de ce récit ou de ce journal nous parviennent au fur et à mesure aujourd’hui (depuis le 24 juillet 2013), avec un décalage de 51 ans. La personne qui écrit ce journal subit les effets dévastateurs et irrémédiables de cette catastrophe, et se remémore un passé qui est encore notre présent mais qui, pour elle, est devenu un âge d’or où tout était encore possible, y compris de chercher à éviter le pire. Ses messages (prémonitoires?), écrits depuis l’avenir, pourraient nous transporter dans un récit de science-fiction réalisé… ]
A. B.
Vecteur.
Je marche.
Je.
Marche.
Soif.
Faim.
Peur.
Basculement.
Personne.
Personne ne voulait croire cela possible.
Visionnaire.
Vision de quoi?
D’une évidence?
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A. B.
Éviter de penser.
Aller de A à B.
Forces. Économiser.
Trop tard.
Non.
Avancer.
Aller de A à B.
Ne pas se retourner.
Surtout.
Ne pas penser.
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Faim.
Soif.
Se ravitailler.
Situation de guerre.
De jungle?
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L’homme, un loup pour l’homme…
Pire qu’un loup, le loup n’agit que par instinct…
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Je marche.
Et j’ai peur.
Je suis angoissée.
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Que sont-i(e)l(le)s devenu(e)s?
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Certainement.
Le croire.
I(e)l(le)s sont à B.
Les retrouver.
Espérer.
Être ensemble.
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Ensemble.
Chercher des solutions, trouver, ensemble.
Retrouver l’essentiel.
La nourriture.
L’amour.
Un toit.
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Ils n’ont rien vu venir.
Non, ce n’est pas possible.
Ils avaient vu, ou entrevu.
Mais ils habitaient des cages dorées.
Se peut-il?
Un tel égoïsme? Une telle inconscience?
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Il se pouvait.
Il se peut.
L’inimaginable, l’inconcevable, l’impensable était possible…
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Il était possible de voir parfois sur les murs dans les villes, ou sur les écrans numériques, des affiches comme celle-ci:
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qui gênaient le regard…
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Mais nous vivions dans une épaisseur d’indifférence qui vitrifiait nos émotions…
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Nos émotions étaient vitrifiées!
Sinon, comment expliquer?…
une goutte d’indifférence
+ une goutte d’indifférence
+ une goutte d’indifférence
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= un océan d’indifférence…
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Non, ce n’est pas vrai.
Il y avait des sursauts, des Antigone et des Cassandre,
des Amina,
des indigné-e-s partout dans le monde qui criaient STOP!
Beaucoup n’en pouvaient plus.
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Mais je me sens incapable de réfléchir,
une guerre vient de se déclarer,
dont nous ne verrons jamais la fin,
il est impossible que l’humanité en voie désormais jamais la fin!
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Révolte // Colère // Pleurs de rage // Rage au coeur // Coeur perdu // Tout // est à jamais perdu // Tout // ce qui était possible // AVANT!
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les déluges mythiques
n’étaient que des catastrophes naturelles
les terres ruisselaient
d’eau vive
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la vie restait possible
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l’humanité a réussi cela non
pas l’humanité
eux
des fous!
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ils ne pouvaient pas ne pas voir
et nous conduire en toute innocence là où ils nous ont conduits
dans ce trou noir
cette apocalypse démente!
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Non…
Ce n’est même plus l’heure des comptes.
La vie s’efface…
Irrémédiablement.
Il n’y a pas, il n’y a plus…
d’Arche de Noë.
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Des fous ont donc pris
au carrefour de l’impensable
la direction de l’inimaginable!
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Tension de l’instant dans l’instant
instinct de survie
boire
manger
marcher
il n’y a pas
il n’y a plus
d’Arche de Noë…
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Je.
Marche.
A. B.
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vecteur suspendu
abstrait de la temporalité humaine
il n’y a plus de temps humain…
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Confusion… Idées comateuses… Colmater… Brèches… Brecht… Bref… L’état des lieux est plus qu’alarmant… Coma dépassé? La jungle des villes… Chacun pour soi au carré… Je ne vous le rendrais pas au centuple… Sauf la vengeance… Qui n’est plus un repas froid de nos jours… Œil pour œil, dent pour dent… Question de survie désormais… Il reste des rêves… Qui traversent la tête… Comme des étoiles filantes… Dans une nuit noire… Des nuits si noires qu’on ne croit plus au lever du jour… Il reste des rêves… Qu’on n’imagine plus… Folie ! La folie guette chacun de nous!… D’abord les plus cabossés, les plus malmenés… Mais chacun y plongera, dans le désespoir version cynisme ou délire…
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la guerre économique s’est appuyée sur un substrat religieux
(à chacun selon son mérite) (heureux élus)
le radicalisme religieux a prospéré sur la misère et l’horreur économiques
tout se tenait
entre les mains des puissants
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civilisation dévoyée
emportée par une locomotive folle
sans conducteur
alimentée par le charbon de ses démons
de ses démences
toujours plus/plus vite
pour les plus forts et les toujours plus fortunés
qui payaient le combustible au prix de la vie des damnés
que reste-t-il
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Les chœurs avaient entonné les lamentations (les voyant-e-s pressentent avant tout le monde l’effroyable malheur sur le point de frapper)…
Le Mal avait sapé insidieusement toutes leurs constructions! Il s’était abattu brutalement sur les humain-e-s, et c’était irréversible…
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qui implorer?
trop tard
les machines des hommes broyaient tout pour les siècles des siècles…
chercher à fuir les dernières braises de vie?
oui, la mort plutôt que la folie…
comme Philoctète
je cours après ma pitance en criant
je souffre comme jamais auparavant
mon corps est un fardeau
je ne suis plus capable de soigner mes plaies
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je vous cherche
le seul espoir des jours qui me restent à vivre est de vous retrouver
de vous embrasser une dernière fois
de plonger encore une fois mon regard dans le vôtre
pour y puiser à la source d’amour qui n’aurait pas dû cesser de nous désaltérer
hélas
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jamais
ô grand jamais dans le pire des cauchemars
je n’avais imaginé être à ce point abandonnée des dieux
ces êtres transcendants que la sagesse humaine avait sans doute créés pour nous mettre à l’abri de nous-mêmes
de l’hubris
de la haine de l’autre et de tous les errements engendrés par notre folie
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ô misérables
car nous subissons les effets de votre volonté de puissance dévastatrice
laissez-nous au moins la pleine propriété de nos lamentations
nous n’en avons plus pour longtemps
la vie se retire et nos coeurs se vident
pauvres de nous qui n’avons pas pu vous empêcher de nuire
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ô soleil-dieu
réchauffe une dernière fois nos membres endoloris
verse ton miel sur nos corps et dans nos coeurs
fais-nous sentir encore une fois ce que pouvait être, hélas
la douceur de l’Eden terrestre
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Puissent nos dernières forces être consacrées à l’oubli du malheur présent,
à la réminiscence des joies évanouies!
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Jadis, j’écoutais le chant du rossignol le soir, au moment du lever de la lune…
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jadis, nous avions la vie devant nous
nous avions les pieds sur la terre et la tête dans les nuages
nous marchions main dans la main le long des rivages
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écoutez la chanson douce du temps jadis
mon coeur lourd est fermé, mes yeux pleurent de rage
les traîtres ont verrouillé la porte de l’Eden
terrestre las lassitude irréversible et
pleurs de rage Orage destructeur de l’Eden
terrestre oui la planète bleue comme son ciel
qui a été pressée comme une orange morte
ils l’ont tuée pleurs de rage ils ont fait oeuvre
de mort anéanti notre maison commune
brisé nos vies en répandant leurs noirs venins
l’homme est pire qu’un loup pour l’homme trois fois hélas
tout est à jamais perdu tout à jamais nul
ne le voulait vraiment nul ne pensait cela
possible il n’est plus temps de regretter le mal
est fait nous avons été sortis de l’histoire
humaine il n’est plus temps d’agir à contretemps
notre temps est fini notre sort est scellé
misérables nous n’avons plus que nos yeux pour
pleurer de rage ou d’abandon les dés jetés
sont écoutez la chanson douce du temps ja-
dis écoutez le vent qui souffle au-delà Chut!
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je plongeais les mains dans l’eau argentée
l’or de la lumière coulait entre les doigts
l’air pur et léger tremblait d’azur
mon coeur tremblait d’amour
les corps croyaient avoir une âme
au diapason des dieux
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l’étoile du berger guidait nos pas
le chant du rossignol nous chavirait le coeur
nous n’étions pas chez nous, hôtes passagers de la Terre
émerveillés et terrifiés par tant de beautés inconnues
mais nous étions accueilli-e-s en ami-e-s
le lait et le miel coulaient en abondance
des fruits à profusion satisfaisaient notre faim
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j’écoutais le silence des étoiles
le chant des oiseaux m’éveillait aux premières lueurs du jour
le soir, un feu de bois crépitait de joie
nos voix dessinaient ensemble un horizon
nous étions voués à disparaître
mais nous célébrions avec sérénité le temps de la vie
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fatigue et découragement
comme un écureuil sur son tourniquet
l’innocence en moins
l’inconscience de…
répétitions // incantations // non // assez! //
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je n’étais pourtant pas ce ver de terre auquel on a voulu me réduire
je n’étais pas destinée à devenir cet objet d’avilissement soumis à toutes les cruautés
une conscience s’était élevée un jour, semblait-il, une fois pour toutes
une étincelle d’amour et de liberté avait brillé comme un soleil
nous n’étions plus, nous pensions que nous ne serions plus jamais cette boue
à l’origine de nos existences
car tel était notre désir, telle était notre volonté
car tel était le sens de nos souffrances et de nos révoltes
humaines
avant
au temps de l’Eden terrestre
quand l’espoir d’un monde meilleur fabriqué de nos mains
était encore possible
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lumière du matin, aurore aux doigts de rose
nos lèvres cueillaient la rosée à tes lèvres
baiser tendre du jour à la vie frémissante
nous étions l’objet de tant de soins, tant d’amour
nos coeurs étaient fermés, nos yeux ne voyaient plus
nos mains agitées de mouvements fébriles
déchiraient les soies légères de nos atours
comme des furies, nous dansions avec la mort
nous l’invoquions, la provoquions, nos cris stridents
lui ouvraient un large chemin de ronces folles
qui lacéraient nos pieds meurtris et douloureux
nous étions fous de rage, emplis de haine atroce
et possédés par une folie destructrice
nos lèvres cueillaient la rosée à tes lèvres
puisses-tu nous rendre le doux baiser du jour
aurore aux doigts de rose, lumière de nos corps
nos coeurs sont aujourd’hui transpercés de remords
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que me reste-t-il? // à part cette inanité de paroles vaines // les cris ne peuvent être que muets // les larmes sèchent // il est vain, il est vain de crier! //
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je ne suis plus chez moi nulle part // mon ennemi est partout // mon âme est en train de s’éteindre // je n’ai plus la force d’imaginer // le monde (me) tue ///////////////////////////////////////////////////////
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Réveillez-vous! // ô vous qui viviez en ces temps où tout était encore possible… //
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[ la non-violence pensée comme une arme avait été détournée par un monstre doux, une dictature invisible, un désir forcené d’objets marchands alimenté par une publicité retors
des mercenaires avaient vendu leur âme à des financiers cupides qui engrangeaient des monceaux d’or, ne redistribuant que de la poudre, même à canon
et chacun, parfois de guerre lasse, finissait par s’agenouiller devant les palais de la consommation construits à la gloire du veau d’or
les plus faibles étaient repoussés, méprisés, meurtris, piétinés, sacrifiés sans pitié au moloch
la machine de guerre des puissants avançait inexorablement comme un cheval de Troie au milieu du décorum apparemment intact des démocraties, qui se sont toutes effondrées comme des châteaux de cartes, minées de l’intérieur pour avoir trahi le contrat social ]
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chassés d’un abri à un autre
nous marchons en cohortes sur les routes comme au temps des grands exodes
nous sommes tous devenus des pestiférés
comme ces Roms que les riches contrées refoulaient au temps de leur splendeur
car nous avons fait de la Terre une mère hostile
qui nous repousse désormais de toutes ses forces
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