Impressions

Puissance évocatrice

De loin, sa silhouette étonne. Il est seul, paraît fragile. Sa présence absorbe l’espace, je ne vois plus que lui. Qui est-il? Je l’ignore. Je suis ici par hasard. Il continuera son chemin, je m’éloignerai de mon côté. Si je ferme les yeux, si je détourne la tête, déjà, il s’efface. Et pourtant, il est. Il est cette présence insolite qui retient la lumière, arrête le regard. Il est cette image immatérielle qui s’est fixée dans ma mémoire, cette photo prise à son insu un soir d’automne, ce vent léger qui nous caressait le visage, cette lumière un peu floue qui le rendait irréel. Il est. Il est plus que je ne saurais jamais être à moi-même. Présence pure, matérialité vivante qui a pour toujours incisé le réel, musique du monde, coeur battant de la vie. Il est ce par quoi le néant (né en) n’a pas de sens. Il est une apparition au détour de ma route. Il est cette forme un peu étrange, habillée de blanc, qui semble pouvoir s’envoler à tout moment.

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Je voudrais tant…

Comment dire? Je voudrais tant l’exprimer! Les mots tentent une approche et se retirent, le déploiement des phrases se heurte à l’objet compact de mes impressions qui se bousculent comme des molécules agitées dans un trou noir, je n’y parviens pas, je me sens incapable de traduire en temps réel le flot qui me submerge, trop de bonheur en même temps, un peu d’exaltation, un peu d’ivresse des sentiments et des sens, je voudrais tant , je ne le peux pas, cette graminée m’émeut par l’élancement de ses tiges et la sobriété légère de ses fruits qui ondulent dans l’air tiède, je n’y parviens pas, je me sens incapable de traduire en mots l’émotion suscitée par l’infime balancement de ces tiges si fines qui tracent comme des lignes d’écriture dans l’espace libre de la fenêtre au-dessus de la cour, hélas, je voudrais tant, exprimer la gratuité de la beauté de cette fleur délicate dont je ne connais même pas le nom et dont la couleur rouge colore de joie la prairie du jardin, hélas, est-il possible de réussir à mettre en musique l’ensemble des sensations à l’origine de la joie qui m’oppresse? je voudrais tant l’exprimer! et dire l’acquiescement qui me vient à la vue de la première corrosion de la fin de l’été sur quelques feuilles déjà caduques, car hic et nunc, miracle de la conjonction des circonstances de ma vie, à ce moment précis de mon histoire, je dis oui, et merci, au substrat qui me porte et m’emporte, à la floraison éphémère de nos actes, à l’oraison funèbre qui s’élève de l’humus de la terre, à l’humour souriant des végétaux qui nous font la leçon de la vie, à leur/à ma fragilité, à nos amours…

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Rêverie

Je voudrais habiter un espace partagé d’ombre et de lumière équilibrées. Projections de lignes, arrondis de couleurs, tendres pétales et frondaisons douces, à travers cet abri, nous souriraient. Et nous serions bercés par la brise…

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Plaine qui court

Des tons fauves, étalés sur les bas-champs inondés. A perte de vue la plaine qui court, et le ciel rempli d’amour qui fait pleuvoir l’azur. Etrange assemblage qui étonne le regard, titille l’âme. L’eau s’est substituée à la terre, les saules ont déposé leurs pleurs sur les marécages gelés. Sur les nappes immobiles, sur la végétation figée, sur les teintes uniformément éteintes, la lumière réfractée fait flamber la vie. Dans ce reflet de l’été sur l’hiver, dans cet assemblage insolite d’éléments qui ne sont plus domestiqués, l’âme a reconnu le carrefour où elle campe, en attendant l’éther éternel été…

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Ange mon amie

Chaque jour à la même heure, pendant que je prends mon petit déjeuner, une mésange charbonnière picore amicalement en face de la fenêtre de la cuisine, en me racontant les nouvelles du jardin. L’écureuil avec lequel j’ai des accointances pose en passant des questions à l’aide de son panache en forme de point d’interrogation. Le chat du voisin qui rôde en permanence essaie de les balayer à coups de griffes. Mes petits amis sont plus vifs que lui, heureusement, mais pour me rassurer moi-même, j’ouvre la fenêtre en général juste à temps pour apercevoir le hérisson sorti de son sommeil et le sauver, lui aussi, des mauvaises intentions du chat. On entend alors souvent le cri rauque d’un faisan suivi d’un coup de carabine. Quand je vais me promener ensuite dans le champ au bout du jardin, je m’amuse à repérer les terriers des lapins et les gîtes des lièvres. Je suis les traces laissées par les chevreuils et je m’aventure vers les bois en ayant un peu peur de me retrouver nez à nez avec le sanglier qui a marqué le sol de ses empreintes. Surtout, je lève le nez et je contemple le ciel immense. Toute seule et à n’en plus finir, je ris aux anges…

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