difficile

Incompétence, cynisme?…

Nous étions si fragiles…

    Or, le pergélisol contenait deux fois plus de carbone que l’atmosphère terrestre. Il était remis en circulation par le dégel sous forme de CO2 et aussi de méthane au pouvoir réchauffant trente fois supérieur à celui du CO2! Et comme les bulles de méthane éclataient en creusant des cratères de plusieurs dizaines de mètres de profondeur, elles accéléraient la disparition du permafrost au fur et à mesure qu’elles s’en échappaient. Ainsi, le dégel des douze à quatorze millions de kilomètres carrés du socle de glace aujourd’hui disparu s’auto-alimentait en libérant des quantités énormes de gaz à effet de serre! Le cercle vicieux était en place, le mécanisme infernal était enclenché. Il aurait fallu stopper d’urgence cette locomotive folle mais l’apathie, l’incompétence, l’irresponsabilité ou le cynisme de la plupart des chefs d’Etat et de gouvernement entretenaient l’aveuglement collectif, ou la croyance naïve que la technologie apporterait de toutes façons les solutions qui permettraient de neutraliser le réchauffement, comme l’installation en orbite autour de la Terre de miroirs géants qui repousseraient les rayons du soleil!… Ce n’était pas tout. Une étude publiée en février 2018 par le National Snow and Ice Data Center révélait que des quantités de mercure deux fois plus importantes que sur le reste de la Terre étaient emprisonnées dans le permafrost. Libéré par la fonte des terres glacées, le métal polluait l’océan et toute la chaîne alimentaire. L’installation de grands miroirs autour de la planète n’empêcherait pas cette pollution! Ni la réactivation des méga-virus enfermés dans le permafrost depuis des dizaines de milliers d’années découverts quelques années plus tôt! La présence de l’un de ces virus au patrimoine génétique surdimensionné avait été mise en évidence en 2014 chez des patients atteints de pneumonie. En 2016, la maladie du charbon (anthrax) était réapparue dans le Grand Nord Russe, à la suite d’une contamination de troupeaux de rennes par des bactéries provenant d’un cadavre d’animal dégelé. Le permafrost était une boîte de Pandore qui délivrait progressivement ses poisons. Plus le temps passait, plus il devenait difficile de la refermer…

Les derniers feux

Nous étions si fragiles…

    La fin de l’Histoire était imminente, mais le marché néolibéral moribond et nauséabond réussissait encore, hélas, à donner le change. La municipalité de Boston se lança dans des projets de reconstruction pharaoniques destinés à montrer que la puissance américaine sortait intacte de l’épreuve! Les architectes les plus renommés furent sollicités pour imaginer des bulles transparentes destinées à protéger les gratte-ciel de l’atmosphère radioactive, et pour construire sur des îles artificielles, comme à Dubaï ou au Japon, les nouveaux quartiers qui devaient redynamiser la ville. Le défi le plus difficile à relever restait cependant celui de la décontamination. L’Etat fédéral en fit une grande cause nationale en demandant à la NASA et à tous les grands laboratoires du pays d’y consacrer tous les moyens disponibles. Les investisseurs commencèrent alors à s’intéresser aux innombrables chantiers de démantèlement de centrales nucléaires laissées jusqu’alors à l’abandon partout dans le monde, faute de financements et de solutions techniques. Le gisement était gigantesque car la vieille Europe n’avait pas saisi l’opportunité de s’emparer du problème quand la plupart de ses membres avaient décidé d’abandonner cette source d’énergie après la catastrophe de Fukushima survenue en 2011. Les Etats-Unis, à l’inverse, échafaudèrent un plan de bataille digne des plus grandes épopées pour débarrasser la Terre du Mal radioactif! Avec l’aide de la machinerie hollywoodienne remise au goût du jour, la Décontamination devint le nouveau mot d’ordre national, la nouvelle guerre à gagner, le nouveau territoire vierge de toute exploration humaine sur lequel le premier drapeau planté devait être américain, comme sur la lune en 1969! Après la chute vertigineuse des indices boursiers et la panique généralisée qui avaient suivi l’attentat de Boston en plongeant l’économie dans le chaos, Wall Street et le Nasdacq se remirent à parier sur les profits attendus de ce nouvel Eldorado. La Réserve fédérale alimenta la planche à billets et les capitaux affluèrent dans toutes les branches de la nouvelle industrie qui devait faire échec au monstre nucléaire enfanté au vingtième siècle par le monde occidental prométhéen! Les moteurs habituels de l’expansion économique se remirent à fonctionner à plein régime, et en quelques années, le modèle américain pourtant à bout de souffle réussissait une fois de plus, semblait-il, à renaître de ses cendres… Dieu n’avait donc pas encore abandonné l’Amérique?…

Avoir besoin d’un chef

Nous étions si fragiles…

    Chaque journée voit naître mille conflits potentiels, mille occasions de découragement et d’hostilité retournée contre l’autre. Quelques personnalités fortes ont émergé, qui tour à tour exacerbent ou apaisent les discordes naissantes. Xavier, Martine, Abigaïl, Daniel, Norman, ont des profils contrastés et parfois clivants. A l’inverse, Mia et Ghali nous feraient presque oublier la violence de notre situation par la grâce de leur comportement. Ils sont pourtant rudes à la tâche. Ghali défriche, travaille la terre, coupe le bois, répare les parties endommagées de la base, Mia fabrique des paillasses, prépare la nourriture, nettoie et lave sans relâche. Tous deux nous font du bien, non seulement par les améliorations concrètes qu’ils apportent à notre quotidien, mais aussi par la capacité qu’ils ont à nous entraîner dans l’action immédiate sans état d’âme apparent (le soir, ils s’effondrent dans un sommeil qui paraît être de plomb)… Personne n’esquive l’effort à fournir, mais la plupart d’entre nous, moi incluse, sommes d’humeur moins égale et la résistance physique fait parfois défaut. C’est alors que se produisent les étincelles qui pourraient faire flamber notre entente. Chacun de nous le sait et s’entraîne à déjouer les pièges, mais nous ne réussissons pas toujours… Les réflexes reprennent le dessus, il y a des engueulades, on en vient aux mains. Norman, en général, s’interpose et s’il n’est pas là au moment du pugilat, on va le chercher. Il se dégage de lui une sorte d’autorité naturelle qui en impose mais qui agace Xavier. Comme Luc, mais pour de tout autres motifs, Xavier traque chez nous ce qu’il y a d’infantilisant. Avoir besoin d’un chef est pour lui un signe patent d’immaturité. Le conflit initial arbitré par Norman débouche trop souvent sur des joutes verbales entre les partisans de l’un et de l’autre pour défendre un mode d’organisation hiérarchisé ou libertaire. Manifestement, la synthèse est difficile. Les disputes banales sont plus faciles à régler que les conflits nés de ces discussions qui mettent en jeu un noyau dur de convictions qui semblent relever de la croyance religieuse. En défendant leur point de vue bec et ongles, Norman et Xavier prennent le risque de nous diviser en deux clans hostiles qui pourraient rendre notre vie à tous, ici, encore plus difficile. Heureusement, comme Mia et Ghali, Sylvain et Louis ont la douceur des bergers. Ils nous montrent un chemin plus souriant…

Inexplicable

La joie quand même, la joie toujours, une joie triste, une joie qui ne sait pas qu’elle sait ou qui sait qu’elle ne sait pas, une joie têtue, une joie douce, une joie qui aime aimer, une joie enracinée, une joie plus difficile à arracher que les ronces, une joie fragile, une joie qui pleure, une joie qui doute, une joie qui regrette, une joie qui pense que le monde est mal fait, une joie qui voudrait se cacher, une joie qui est, une joie qui voudrait demeurer, une joie moins absurde que le mal, une joie qui soustrait du mal au mal, une joie vitale, une joie primordiale, une joie essentielle, une joie qui chante, une joie qui enchante, une joie magicienne, une joie qui change tout…

Eau-forte

Ce texte est ma contribution n°3 à l’atelier d’hiver de François Bon (suite…)

à la lumière de ta présence

Isabelle Pariente-Butterlin 

 

— Qu’est-ce que tu fais, mon écureuil ?

Tu as des comportements de chat. Tu ne viens jamais quand je t’appelle, mais tu me tournes autour quand je suis occupée. Je sens, quand je travaille, ton menton qui s’appuie sur mon épaule, tu regardes par dessus ce que j’écris, qui ne peut avoir pour toi strictement aucun intérêt, mais tu me sens absorbée, ce qui contrarie visiblement tes plans, et tu laisses tomber d’une voix désapprobatrice, je perçois très bien la critique :

— Je comprends rien à ce que tu écris … « dispositisionnelle », c’est quoi ?
— Oh, c’est un peu compliqué, tu sais, et puis ça n’intéresse pas grand monde …
— Dis-po-si-ti-tio-nnelle ?
— Non, pas tout à fait, là tu compliques encore : dis-po-si-tio-nnelle. Ça suffit comme ça, tu ne crois pas ?

Mais tu insistes, tu détestes que je t’exclus de mon monde, et tu as flairé une histoire intéressante. Tu n’as aucune intention de reculer même si je n’enlève pas mes lunettes et que je continue à regarder l’écran, en évitant de croiser ton sourire. Tu restes là, et ton petit menton insiste contre mon épaule. Je sens bien qu’il va falloir affronter la discussion et tenter le tout pour le tout :

— Ben tu vois, c’est comme le sucre. Le sucre, il peut fondre mais il ne fond que s’il y a de l’eau. Si tu ne mets pas d’eau, tu ne sais pas qu’il peut fondre. Personne ne le voit. Ton sucre, il est solide. D’ailleurs, une fois, je me suis fait mal en coupant un morceau de sucre avec les doigts. Et puis si tu mets de l’eau, alors il fond. On appelle ça une disposition. Une disposition à fondre.
— Comme le caramel ?
— Oui, exactement, comme quand on fait du caramel.
— Le dernier était raté.
— Oui, complètement, il était complètement raté, je savais même pas que ça pouvait se rater, mais il était raté !
— Il y en a d’autres, des disposititions ?

Oui, il y en a d’autres, et certaines dont j’ignorais complètement l’existence. La disposition de la vie à la légèreté et au bonheur quand simplement tu entres quelque part. La disposition du monde à être doré et coloré quand je suis avec toi. C’est étonnant, toutes ces dispositions inconnues qui se révèlent peu à peu à la lumière de ta présence.

— Et toi, tu travailles là-dessus ?
— Euh oui, parfois, pas seulement, tu sais.
— Oui, tu travailles aussi sur les doughnuts !

Je ne vais pas m’en sortir. Si on aborde cette discussion, je sens que je vais perdre la partie. Je n’aurais jamais dû t’expliquer que la question du doughnut était très difficile d’un point de vue ontologique, parce qu’il faut décider si le trou du doughnut fait ou non partie du doughnut. Depuis ce jour-là, tu me regardes d’un air soupçonneux quand je travaille …

 

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 1er mai 2012.