fondre

La fonte des glaciers de l’Antarctique

Nous étions si fragiles…

    Dans l’Antarctique, le basculement s’était produit en 2014. La banquise s’était mise à rétrécir à une vitesse vertigineuse pour des raisons que les scientifiques n’avaient pu expliquer sur le moment (la fonte de la banquise arctique ne pouvait servir de modèle, le continent austral étant trop différent du Pôle Nord), mais qui, hélas, allaient entraîner d’autres bouleversements irréversibles qui contribueraient à l’effondrement général de l’écosystème terrestre. En disparaissant, la surface blanche de la banquise perdait son pouvoir réfléchissant tandis que les eaux sombres de l’océan absorbaient de plus en plus de chaleur envoyée par les rayons lumineux du soleil. Le réchauffement du climat s’accélérait en faisant fondre à leur tour les barrières de glace qui faisaient jusqu’alors tampon entre les eaux chaudes et salées de l’océan et le pourtour du continent gelé, en mettant ainsi en contact direct les plates-formes glaciaires qui avaient commencé à se détacher et à flotter, et les courants chauds qui en sapaient la base, située en dessous du niveau de la mer. Les glaciers fragilisés fondaient, se fragmentaient et se décrochaient du continent à une vitesse inquiétante. En 2014, le processus était déjà irréversible pour six d’entre eux situés dans la calotte de l’Antarctique occidental, près de la mer d’Amundsen. Ces six glaciers, Pine Island, Thwaites, Haynes, Smith, Pope et Kohler, contribuaient déjà fortement à l’élévation du niveau de la mer en relâchant dans l’océan à eux seuls chaque année autant de glace que la quantité perdue par l’ensemble du Groenland. Large de cent-vingt kilomètres, long de six cents kilomètres et d’une épaisseur qui pouvait atteindre trois kilomètres, le glacier Thwaites était rongé de l’intérieur. Plus les cavités souterraines s’agrandissaient, moins le glacier adhérait au socle rocheux, plus il risquait de se détacher en provoquant un effet domino qui entraînerait les autres glaciers de l’Antarctique Ouest, condamné à disparaître. Le mécanisme, une fois enclenché, se déroulait avec une logique implacable! La hausse du niveau de la mer consécutive à la perte de masse de la calotte glaciaire était non moins implacable. Les climato-sceptiques avaient pourtant clamé que le grand continent blanc était à l’abri du réchauffement climatique et ne serait pas à l’origine d’une élévation dramatique du niveau des océans! Les centaines de millions de personnes vivant dans des zones basses côtières et dans les îles pouvaient dormir tranquillement! L’optimisme avait été nourri par la croyance que la formation de glace due aux chutes de neige à l’Est de l’Antarctique compenserait largement les pertes observées dans la partie Ouest. Mais une étude publiée en janvier 2019 balayait définitivement cette opinion communément admise pour justifier l’inertie des responsables politiques. Car une perte de masse importante avait été observée dans la région de la terre de Wilkes, dans la partie Est de l’Antarctique considérée jusqu’alors comme stable, et révélait au monde que les terres les plus froides de la planète n’étaient pas épargnées par le réchauffement climatique! Or, celui-ci s’emballait et la fonte s’accélérait… Le Bangladesh et les Pays-Bas seraient rayés de la carte, New-York ou Los Angeles ne le seraient pas moins, de même que l’archipel des Maldives, les îles Marshall et les îles Salomon, l’archipel Tuvalu, les îles Kiribati et Carteret, les îles Nauru, Kosrae et Tokelau, qui connaîtraient le même sort que l’Atlantide, l’île mystérieusement engloutie évoquée par le mythe platonicien, à laquelle les recherches de Martens dans les archives du service de renseignement (SDR) m’avaient fait penser, comme si le pays d’où il venait et qu’il refusait de localiser sur une carte était situé dans les profondeurs de l’océan…

70 ans plus tôt que les estimations

Nous étions si fragiles…

    La banquise fondait, mais l’optimisme béat conduisait à se réjouir de l’ouverture au Pôle Nord de nouvelles routes maritimes intercontinentales plus rapides, ou de la transformation de la Sibérie en grenier à blé, sans tenir compte du temps long nécessaire à la formation d’un sol fertile alors que les pertes dues à la désertification dans d’autres régions du monde étaient immédiates, ni des bouleversements géopolitiques que cela impliquait. En 2019, pendant que les révélations du journal numérique indépendant Médiapart sur le train de vie du ministre de l’écologie François De Rugy et son usage de l’argent public monopolisaient toutes les rédactions de France et de Navarre, l’article publié dans la Geophysical Research Letters sur la fonte du permafrost (ou pergélisol), l’épaisse couche de glace qui recouvrait autrefois 25% de l’hémisphère Nord, passait quasiment inaperçu. Des chercheurs de l’université d’Alaska à Fairbanks aux Etats-Unis venaient de découvrir que le permafrost de l’Arctique canadien fondait beaucoup plus vite que ce qu’ils avaient prévu. La fonte était tellement rapide qu’elle avait déjà atteint le niveau de dégel prévu par les scientifiques en… 2090! soit soixante-dix ans plus tôt que les estimations!…

éphéméride.1

Impressions du jour

Texte écrit en alternance avec Isabelle Pariente-Butterlin, que je remercie

de m’avoir proposé ce nouvel échange.

     « Il y a quelque chose qui se joue dans notre échange, autour de la vérité des jours, qui ne pouvait naître que […] de la sincérité de l’écriture dans l’échange. Il nous emmène très sûrement dans l’inexploré. »

     I.P., 2 mars 2015

    

2015

31 janvier

    Une fine pellicule de neige sur le sol ce matin, neige craquante et miroitante sous un grand soleil qui la fera fondre très probablement dans quelques heures…

     La neige a fondu et le soleil a disparu à l’image de nos vies qui fondent et disparaissent.

     Sur l’écran de ma mémoire, cinéma confidentiel, projection en noir et blanc des scènes de mon existence avec leurs parts d’ombre et de lumière. Impression que ma conscience danse et scintille comme les taches de lumière qui zèbrent la pellicule des vieux films. Sensation de légèreté en regardant les flocons qui recommencent à tourbillonner, ce soir, sous la clarté de la lune.

***

1er février

     Il aurait pu neiger mais il n’a pas neigé. Il était si facile d’imaginer dans l’air froid les mouvements des flocons dans l’air froid et épais. Quand je me suis levée, tous les possibles du jour étaient ouverts en éventail, et au fur et à mesure de la journée, ils se sont resserrés, ils ont rétréci, ils sont devenus de plus en plus étroits, jusqu’à se resserrer, n’être presque plus rien, jusqu’à me laisser me retirer du jour et de son absence, pour aller retrouver les rivages du soir.

      Il n’y eut presque rien à faire, sinon les lignes à écrire, et la musique à écouter. J’oublie que je sens encore dans la pulpe de mes doigts les cordes du violon et la répétition en boucle de cette phrase de Vivaldi.

     Il n’y eut presque rien à faire, sinon pour finir, quelques phrases en Anglais et la chaleur du four qui écartait l’hiver. Ce jour, comme un autre, va-t-il s’effacer ?

***

à la lumière de ta présence

Isabelle Pariente-Butterlin 

 

— Qu’est-ce que tu fais, mon écureuil ?

Tu as des comportements de chat. Tu ne viens jamais quand je t’appelle, mais tu me tournes autour quand je suis occupée. Je sens, quand je travaille, ton menton qui s’appuie sur mon épaule, tu regardes par dessus ce que j’écris, qui ne peut avoir pour toi strictement aucun intérêt, mais tu me sens absorbée, ce qui contrarie visiblement tes plans, et tu laisses tomber d’une voix désapprobatrice, je perçois très bien la critique :

— Je comprends rien à ce que tu écris … « dispositisionnelle », c’est quoi ?
— Oh, c’est un peu compliqué, tu sais, et puis ça n’intéresse pas grand monde …
— Dis-po-si-ti-tio-nnelle ?
— Non, pas tout à fait, là tu compliques encore : dis-po-si-tio-nnelle. Ça suffit comme ça, tu ne crois pas ?

Mais tu insistes, tu détestes que je t’exclus de mon monde, et tu as flairé une histoire intéressante. Tu n’as aucune intention de reculer même si je n’enlève pas mes lunettes et que je continue à regarder l’écran, en évitant de croiser ton sourire. Tu restes là, et ton petit menton insiste contre mon épaule. Je sens bien qu’il va falloir affronter la discussion et tenter le tout pour le tout :

— Ben tu vois, c’est comme le sucre. Le sucre, il peut fondre mais il ne fond que s’il y a de l’eau. Si tu ne mets pas d’eau, tu ne sais pas qu’il peut fondre. Personne ne le voit. Ton sucre, il est solide. D’ailleurs, une fois, je me suis fait mal en coupant un morceau de sucre avec les doigts. Et puis si tu mets de l’eau, alors il fond. On appelle ça une disposition. Une disposition à fondre.
— Comme le caramel ?
— Oui, exactement, comme quand on fait du caramel.
— Le dernier était raté.
— Oui, complètement, il était complètement raté, je savais même pas que ça pouvait se rater, mais il était raté !
— Il y en a d’autres, des disposititions ?

Oui, il y en a d’autres, et certaines dont j’ignorais complètement l’existence. La disposition de la vie à la légèreté et au bonheur quand simplement tu entres quelque part. La disposition du monde à être doré et coloré quand je suis avec toi. C’est étonnant, toutes ces dispositions inconnues qui se révèlent peu à peu à la lumière de ta présence.

— Et toi, tu travailles là-dessus ?
— Euh oui, parfois, pas seulement, tu sais.
— Oui, tu travailles aussi sur les doughnuts !

Je ne vais pas m’en sortir. Si on aborde cette discussion, je sens que je vais perdre la partie. Je n’aurais jamais dû t’expliquer que la question du doughnut était très difficile d’un point de vue ontologique, parce qu’il faut décider si le trou du doughnut fait ou non partie du doughnut. Depuis ce jour-là, tu me regardes d’un air soupçonneux quand je travaille …

 

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 1er mai 2012.