Paris

Le point de non-retour

Nous étions si fragiles…

    Les fortes turbulences ne semblaient pas empêcher la France et le reste du monde de continuer leur course cahin-caha. Mais le choc monstrueux de l’attentat nucléaire de Boston déclencha une tempête hors norme. L’année 2040 marqua le point de non-retour de la dérive autoritaire amorcée depuis longtemps par les démocraties occidentales. Les populations tétanisées prirent conscience de leur vulnérabilité, reprochèrent à leurs dirigeants de ne pas être capables d’assurer leur sécurité, de manquer d’anticipation, d’être trop laxistes avec les individus qui pouvaient être des terroristes potentiels, réclamèrent des têtes, cédèrent à la panique, cherchèrent des boucs émissaires et des hommes ou des femmes décidés à les protéger sans états d’âme. En France, les attentats récents de 2037 avaient rendu l’opinion peu regardante sur les méthodes de surveillance de l’Etat et les détentions abusives que dénonçaient les associations de défense des droits humains, toujours actives malgré la multiplication des procédures judiciaires déployées contre elles pour les empêcher d’exercer leur contre-pouvoir citoyen. L’effroi suscité par l’attentat de Boston étouffa leurs protestations et délivra au gouvernement un blanc-seing pour prendre toutes les mesures qu’il jugerait utiles pour empêcher la répétition d’une telle horreur. C’est dans ce contexte que Martens avait été arrêté à Paris, dans un squat, pendant une patrouille de police banale (les gens s’étaient habitués aux allers et venues des uniformes dans les rues), avec une poignée de sans-abris que le voisinage immédiat ne supportait plus. Désignés à la vindicte, les clochards étaient considérés comme des délinquants en puissance qu’il fallait mettre hors d’état de nuire sans autre procès. Martens était dans le lot, pris dans la nasse. Il était sale et mal rasé comme les autres, mais avait fait l’objet d’un signalement particulier dès le premier rapport de police, en raison de son allure bizarre et parce qu’il y avait dans son dossier beaucoup de zones d’ombre. L’examen de son cas avait alors gravi tous les échelons de l’instruction jusqu’à ce que le dossier atterrisse sur le bureau du chef des services secrets, qui ne tarda pas à découvrir que le visage de Martens et le portrait-robot transmis quelques mois auparavant par la police mexicaine pour la filature d’un trafiquant de drogue semblaient avoir été faits l’un pour l’autre. L’attentat de Boston mobilisait toutes les forces des services de renseignement, et Jean-François Dutour n’eut aucun mal à faire passer Martens du statut de vraisemblable trafiquant de drogue à celui de terroriste potentiel. La peur d’une réplique accélérait les enquêtes, levait certains freins, mais on ne réussissait pas à trouver contre lui le moindre début de preuve. C’est alors que Jean-François eut l’idée de faire de moi une espionne pour débusquer l’espion (ou le terroriste) en m’autorisant à lui rendre visite dans sa cellule…

Quand les élites prennent peur

Nous étions si fragiles…

    La grande crise de 2029, survenue pendant le quinquennat de Laurent Wauquiez, avait réitéré le scénario du film de 2007-2008 mais dans des proportions et à une échelle inégalées, le pays affaibli par cinquante ans de politiques marchéistes n’ayant plus les leviers qui lui auraient permis d’en atténuer les conséquences. Le chômage avait crevé tous les plafonds et touchait au moins un quart de la population, bien que le gouvernement déployât des trésors d’inventivité statistique pour comprimer les chiffres et tenter de dissimuler au moins en partie la triste réalité… En dépit du fichage et de la répression, des rassemblements de chômeurs et de travailleurs précarisés continuaient d’avoir lieu en province et à Paris, et de bons esprits voulurent endiguer la menace que faisaient peser sur la République ces hordes de sauvages! C’est ainsi que fut votée la loi du 10 février 2031 qui frappa d’interdiction toute manifestation dans le centre des villes, suivie dans la foulée par une loi qui faisait écho à la poor law anglaise votée en 1834 pour supprimer les aides aux indigents et instituer les workhouses, des « Maisons du Travail » qui étaient de fait des établissements pénitentiaires dans lesquels étaient enfermés les pauvres de façon à ce qu’ils restent invisibles de la bonne société… La peur des élites devant la colère d’une partie de plus en plus importante de la population déterminée à défendre son aspiration à mieux vivre les poussa au comble du cynisme! Les député-e-s arguèrent d’un droit à la seconde chance pour justifier la création de centres de relégation à la périphérie des villes qu’ils baptisèrent Maisons Neuves dans de nobles discours et de grandes envolées lyriques, vantant le Nouveau Départ qu’elles étaient censées offrir aux « accidentés de la vie », mais ils n’abusaient que ceux et celles qui n’avaient pas à souffrir de leur statut dans la société, et qui ne souhaitaient pas regarder en face l’exclusion de leurs concitoyens… L’État ne cessait de clamer que les caisses étaient vides, il trouva pourtant les moyens de financer en un temps record la construction de plusieurs milliers de ces nouveaux centres de rétention destinés aux citoyens français indigents, qu’il déclara d’utilité publique sous couvert de solidarité nationale envers les plus pauvres… La Novlangue continuait avec succès son entreprise de perversion du langage courant, commencée une cinquantaine d’années auparavant avec la reprise en main de la politique par les milieux d’affaires, qui n’avaient eu de cesse de s’attaquer aux principes égalitaires de la République française. Celle-ci était moribonde, sa devise toujours affichée au fronton des mairies ou des écoles y était inscrite en lettres mortes…

Avril 2037

Nous étions si fragiles…

    Avril 2037. La population française est à cran. Certains craignent une guerre civile. Tous les coups semblent permis. Mais le pire n’est pas encore arrivé, Il se produira une quinzaine de jours avant le premier tour. Les 12 et 13 avril, à Paris, Lyon et Marseille, quatre-vingt-seize personnes sont victimes d’une série d’attentats commis à quelques heures d’intervalle par un commando de terroristes islamistes. Il y a vingt-trois morts dont un enfant, et douze personnes grièvement blessées. Le pays est bouleversé. En tête des sondages depuis plusieurs mois, Sarah Legrain n’arrivera que seconde. Les jeux sont faits. Le débat de l’entre-deux tours ne portera que sur la sécurité et la guerre à mener contre le terrorisme. Il permettra à la candidate de l’extrême-droite de déverser tout son venin contre les étrangers, la peur et la haine tiendront lieu de réflexion et guideront les mains au moment de choisir le bulletin de vote. Marion Maréchal-Le Pen fut toutefois élue d’une majorité si courte qu’il fallut recompter les voix et attendre la fin de tous les recours lancés par l’opposition pour publier les résultats… Dans son discours d’investiture, alors qu’elle avait à peine mentionné le nom de sa tante, elle rendit un hommage remarqué à son grand-père, qui devait jubiler dans sa tombe…

Au nom de l’économie à flux tendu

Nous étions si fragiles…

    La panique désorganisait toute la vie économique du pays. Les magasins étaient vidés de leurs stocks et n’arrivaient plus à se réapprovisionner. La pénurie était plus grave à Paris qu’ailleurs sous les effets conjugués de la concentration de la population et des embouteillages gigantesques qui bloquaient les voies de communication et barraient la route aux camions de livraison. Les villes du Sud, plus éloignées du foyer radioactif que celles du Nord, n’échappaient pas à l’angoisse généralisée et aux réflexes d’accumulation de denrées propres aux populations qui se sentent en danger et accélèrent ainsi l’épuisement des stocks. Les campagnes ne craignaient pas moins que les villes la contamination radioactive amenée par le vent ou la pluie, au moins bénéficiaient-elles sur place des produits alimentaires de base, on y cultivait encore son jardin. On pouvait envisager d’y vivre dans une certaine autarcie sans attendre d’être ravitaillé par la route ou, peu vraisemblablement, par le train. Il y avait longtemps, en effet, que les lignes ferroviaires n’irriguaient plus le pays, que le moindre recoin et le plus petit village de France n’étaient plus desservis par une gare encore en fonctionnement à une distance raisonnable des territoires éloignés! Depuis que la vieille SNCF avait décidé, vers la fin du vingtième siècle, de tout miser sur les trains à grande vitesse et d’abandonner les lignes qu’elle ne jugeait pas rentables, en cessant d’entretenir, malheureusement, le réseau exceptionnel dont elle disposait jusqu’alors, et qui recouvrait autrefois le pays comme une toile d’araignée aux fils denses et resserrés, avec des ouvrages d’art incroyables qui franchissaient les obstacles des montagnes au mépris des lois de la pesanteur ou de la géographie grâce aux exploits techniques et humains des ingénieurs et des ouvriers qui les avaient édifiés! L’essentiel du transport de marchandises ne transitait donc pas par les chemins de fer, et, depuis des décennies, des files ininterrompues de camions circulaient jour et nuit sur les routes et les autoroutes en aggravant la pollution de l’air respiré par les riverains et en rejetant toujours plus de gaz à effet de serre. Cette fuite en avant engendrée par des politiques inadaptées menées de très longue date sans jamais de remise en cause sérieuse, au nom de l’économie à flux tendu, aboutissait en ce moment de crise aiguë à une situation surréaliste. Les camions d’approvisionnement alimentaire se retrouvaient immobilisés dans les engorgements qu’ils contribuaient eux-mêmes à provoquer, et non seulement les marchandises n’arrivaient plus à bon port dans les délais impartis, mais quand elles étaient enfin livrées, les denrées périssables étaient périmées!…

Les naufragés du nucléaire

Nous étions si fragiles…

    L’EPR de Flamanville venait d’exploser et de déclencher une catastrophe nucléaire qui dépassait l’entendement, l’information était sidérante et se heurtait à une sorte de refus instinctif d’en accepter la signification!… Les médias, en France comme à l’étranger, prenaient difficilement la mesure des conséquences de ce cataclysme, et les commentaires étaient encore empreints d’une relative retenue. Mais quand je suis rentrée quelques jours plus tard à Paris, à la demande de ma rédaction, il n’était plus possible de fuir la réalité… Tout le pays était en état de crise. Ce que je découvris sur les routes était hallucinant… je me trouvais confrontée à des drames humains comparables à ceux que j’avais dû couvrir dans des pays en guerre!… L’évacuation des habitants de la région Nord-Ouest, directement touchés par les dégagements de radioactivité, se heurtait à toutes sortes de situations imprévisibles que les services de l’Etat et des collectivités territoriales, qui menaient conjointement les opérations, avaient beaucoup de mal à régler malgré tous les plans qui avaient été officiellement mis en place, au moins sur le papier, en cas d’accident grave que les bons esprits s’étaient obstinés à considérer comme hautement improbable. Les naufragés du nucléaire étaient ballottés d’un endroit à un autre, dormaient dans des gymnases, mangeaient au hasard des distributions de nourriture, souffraient de mauvaises conditions sanitaires et surtout d’un manque de visibilité cruel sur leur devenir. Il n’y avait pas assez de psychologues et de cellules post-traumatiques pour les aider à surmonter l’épreuve! Leurs visages fatigués et ravagés par le stress, leur désespoir de quitter brutalement et pour toujours les lieux de leur vie intime et familiale serraient le coeur… Au cauchemar de cet exode s’ajoutait la crainte d’avoir absorbé des doses trop élevées de particules radioactives. La vie, leur vie, ne serait plus jamais comme avant!… Leur pronostic vital était vraisemblablement engagé, une menace de mort pèserait en permanence sur eux et sur leurs proches…

On ne peut défier la chance impunément

Nous étions si fragiles…

    Mais Dieu allait abandonner la France… L’énergie électrique française était produite, depuis le dernier quart du vingtième siècle, par une cinquantaine de réacteurs dont plus de la moitié avaient dépassé depuis longtemps la limite d’âge prévue par leurs concepteurs, et que l’exploitant rafistolait tant bien que mal en dépensant des sommes inconsidérées pour assurer une sécurité de plus en plus aléatoire. Cette politique irresponsable n’avait jamais été remise en cause malgré les mises en garde timides mais récurrentes de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, l’opposition de plus en plus affirmée de la population, et les protestations des pays frontaliers qui craignaient un accident majeur dans l’une des centrales situées à quelques kilomètres seulement de leurs grandes villes. Deux accidents graves survenus en 2024 dans la centrale de Blaye, puis en 2033 dans celle de Nogent-sur-Seine, avaient déjà mis en danger les populations de Bordeaux et de Paris, qui en étaient restées traumatisées et se trouvaient depuis aux avant-postes de la contestation du nucléaire civil. Dans les deux cas, une panne des systèmes de refroidissement avait entraîné un emballement de la réaction nucléaire qui n’avait pu être maîtrisée qu’in extremis. A Blaye, les groupes électrogènes qui auraient dû prendre le relais des circuits électriques endommagés par la foudre avaient été submergés et noyés par des vagues de plusieurs mètres comme à Fukushima et comme ils l’avaient déjà été pendant la tempête de 1999; à Nogent-sur-Seine, la panne avait eu lieu pendant un été torride en raison d’une mauvaise appréciation de la situation, la décision d’arrêter le réacteur n’ayant pas été prise à temps alors que le débit du fleuve était trop faible et que les réserves d’eau situées en amont ne suffisaient pas à rétablir l’équilibre. Par bonheur, dans l’un et l’autre cas, il n’y avait pas eu de mortalité directe à déplorer, et les conséquences ultérieures sur la santé d’éventuelles retombées radioactives faisaient l’objet, sur tout le territoire national (puisque depuis Tchernobyl, tout le monde savait que les nuages se déplaçaient!), d’une surveillance spéciale censée calmer les inquiétudes. Le fait est que, malgré l’impéritie des décideurs, la compétence réelle des agents du nucléaire avait pu jusqu’alors éviter les catastrophes gravissimes que les gens conscients des risques redoutaient. Mais on ne peut défier la chance impunément. L’effroyable se produisit dans l’Ouest de la France le 8 août 2044…

Mensonges d’État

    Après les années de crise qui avaient suivi le krach financier de 2008, François Hollande avait pensé qu’il suffisait d’attendre que la croissance revienne. Mais elle ne revenait pas, elle ne pouvait pas revenir comme dans les années fastes du vingtième siècle. Le vieux monde était fini, le nouveau tardait à émerger en raison de tous les freins mis en oeuvre par les tenants du modèle ancien. François Hollande était de ceux-là, au grand dam de ses alliés écologistes, même s’il avait organisé à Paris en décembre 2015, juste après les attentats de novembre, une grande conférence internationale sur le climat, qui avait réuni 195 pays. L’affichage était grandiose, les politiques étaient passés maîtres dans l’art de la com’! Les opinions publiques étaient priées de retenir que le réchauffement ne dépasserait pas 1,5°, seuil au-delà duquel les peuples les plus exposés de la planète ne pourraient pas survivre et alimenteraient de plus belle les cohortes de réfugiés climatiques. Mais ce volontarisme apparent cachait mal les réticences des pays les plus puissants à accepter leur part de responsabilité et à financer la mise en oeuvre des mesures qui auraient pu encore à cette époque enrayer vraiment l’emballement du dérèglement climatique. La planète brûlait, on était dans l’urgence, mais les décisions importantes étaient repoussées à l’horizon 2020-2025! Comment expliquer un tel déni des réalités? Une telle incapacité à agir? On ne peut rien bâtir sur le mensonge. Les politiques étaient des imposteurs. Les mêmes qui reprochaient leurs postures démagogiques aux populistes mentaient effrontément à l’Assemblée nationale ou à la barre des accusés, mentaient aux citoyens, manipulaient les chiffres, déformaient la réalité, cachaient leurs véritables motivations qui étaient à l’opposé de leurs déclarations! Le philosophe Platon déplorait déjà dans son ouvrage La République la médiocrité intellectuelle et morale des personnages publics qui sévissaient de son temps à Athènes, et leurs travers avaient été mis en scène par le poète comique Aristophane. Rien de nouveau sous le soleil, par conséquent? Sans doute, du seul point de vue de la psychologie humaine. Mais nous n’étions plus à l’échelle minuscule d’une petite cité qui, pourtant, avait fait grandir le monde, donné aux peuples leurs lettres de noblesse, inventé la philosophie et avec elle tout ce qui aurait dû prémunir contre la bêtise! Les agissements irresponsables des dirigeants ou leurs décisions inadaptées ne mettaient désormais en péril rien de moins que la pérennité de la vie sur la Terre…

Le tournant de l’année 2015

     Mes parents faisaient partie de la génération Bataclan. Plusieurs de leurs amis se trouvaient dans la salle de spectacle au moment du massacre perpétré le 13 novembre 2015 par des « soldats » (c’est le nom qu’ils s’attribuaient, l’opinion ne voyait encore en eux que des fous) du Califat de l’Etat islamique. Ma mère aurait dû assister au concert mais elle avait été retenue en province où elle faisait un stage. Mon père, à cette époque, terminait un cycle d’étude dans une université américaine, il ne se trouvait pas à Paris. Quand ils retrouvaient leurs connaissances de l’époque, ils évoquaient souvent cette soirée d’horreur absolue. L’émotion faisait encore trembler leur voix, des larmes difficilement contenues continuaient de perler au bas de leurs paupières. Vincent et Pauline, les meilleurs d’entre eux, deux anges, avaient été tués, lâchement assassinés au nom d’Allah par des illuminés qui avaient préféré pour eux-mêmes la mort à la vie, en voulant entraîner tous les autres dans l’Apocalypse.

     Martens avait fait mine de découvrir le drame. Comment aurait-il pu ne pas être au courant? Le monde entier avait pavoisé aux couleurs de la France! Je l’avais interrogé sur ses parents, sur ce qu’il savait de leur vie. Et j’avoue que j’ai eu de nouveau du mal à le croire, ma patience, ma capacité d’absorption d’histoires à dormir debout avait des limites…

     Il prétendait être né né le 10 octobre 2013 à Callipole, capitale de la Symphonie, de MARTENS Victor et FOURMANOV Frédérique, qui seraient morts en mission le 14 novembre 2015. Quid des circonstances, des motifs de leur assassinat, du but de leur mission? Avaient-ils réussi, échoué? Leur fils Yann ne savait rien, n’avait gardé aucun souvenir. Seulement une photo qui lui était parvenue dans un dossier tamponné par les Autorités. Une jeune femme blonde portait un petit enfant dans les bras à côté d’un homme plus âgé aux cheveux châtain. La date du 10 octobre 2014 était indiquée au dos de la photo, avec le prénom de l’enfant. Yann Martens n’avait ni frère ni soeur, aucune famille proche ou éloignée, n’avait pas connu ses grands-parents, et personne, aucun ami, aucune amie de ses parents, n’avait jamais pu lui parler d’eux, lui communiquer des informations sur leur vie, faire vivre ou revivre leur histoire et donc la sienne. Enfant, Martens aurait vécu seul au monde dans un pays étrange lui-même coupé de la communauté humaine! Quand il ne s’énervait pas, le chef du service français de la sûreté en riait à gorge déployée… Martens se foutait de sa gueule comme jamais on ne l’avait encore fait! Martens avait revêtu les habits du parfait petit espion, libre comme l’air, sans attaches, sans liens affectifs autres que cette Sylvia évanescente qui était sans doute sortie tout droit de son imagination, ou ce Walter qui restait introuvable. Martens était lisse, on n’avait aucune prise sur lui, on ne trouvait aucune faille permettant de faire pression sur lui, c’était un roc, un bloc de marbre, peut-être un monstre.

     Jean-François avait décidé de le faire examiner par un psychiatre. Son profil pouvait faire penser à ce type de terroristes occidentaux symétriques des islamistes qui commettaient parfois des attentats au nom de la civilisation chrétienne. Le plus marquant en Europe avait été celui qu’avait perpétré en Norvège Anders Behring Breivik le 22 juillet 2011. Il y avait eu 77 morts et 151 blessés! Lors d’une première expertise, Breivik avait été diagnostiqué schizophrène par des psychiatres de la justice norvégienne, mais sous la pression de l’opinion publique, une contre-expertise avait été demandée en janvier 2012, qui avait abouti à la conclusion que Breivik n’était pas dans un état délirant au moment des faits. Jugé responsable de ses actes, il avait été condamné à la peine maximale en vigueur en Norvège, soit 21 ans de prison prolongeable. Martens avait passé avec brio les tests de logique pure, mais cet homme intelligent rendit fou le psychologue chargé d’évaluer son état de santé mentale! Sa connaissance du monde contemporain, ou du moins ce qu’il en affichait, était fantaisiste, et les réponses qu’il faisait aux questions nécessitant un minimum de culture historique ou littéraire étaient presque toujours décalées, voire complètement erronées. Les batteries de tests auxquelles on avait soumis Martens avaient toujours montré le même type d’erreurs. Si celles-ci avaient été délibérées, Martens aurait dû se couper au moins une ou deux fois? Sa constance, sa persévérance, cette extrême régularité dans l’inexactitude laissait l’expert incapable de trancher si Martens était vraiment un manipulateur, ou un malade affecté d’une sorte de délire difficile à caractériser en l’absence des autres signes cliniques habituellement observables chez les personnes qui perdent le contact avec la réalité.

     Ce qu’il nous semblait malgré tout être un délire (qui n’excluait pas la manipulation) était bien construit. Martens disait que la mort tragique de ses parents tombés tous les deux alors qu’ils accomplissaient une mission mandatée par les plus hautes autorités de l’Etat lui avait ouvert les portes des institutions les plus prestigieuses. Il aurait été recueilli par la famille d’un grand administrateur qui avait un fils du même âge, Walter, auprès duquel, en totale complicité (il mourait d’angoisse aujourd’hui depuis sa disparition), il aurait vécu une enfance heureuse, une adolescence sans problème grave, seulement les petites histoires classiques de cet âge où l’on veut conquérir sa place dans le monde des adultes. Tous deux auraient fait de brillantes études qui les destinaient à occuper des fonctions importantes au sommet de l’Etat. De quel pays s’agissait-il? Jean-François Dutour sommait Martens de le nommer, de le situer sur une carte. Notre affabulateur détournait la tête, levait une main vers le ciel, fermait les yeux, plissait le front, haussait les épaules, se recroquevillait sur sa chaise, finissait par murmurer qu’il ne dirait rien de plus, qu’il n’avait pas, qu’il n’avait plus confiance… Jean-François tapait du poing sur la table, s’étranglait de rage – on tournait en rond, ce n’était plus possible! – et finissait par l’envoyer réfléchir pendant quelques jours au cachot.

     J’avais assisté à plusieurs de ces scènes récurrentes derrière la vitre opaque de la salle d’interrogatoire. Jean-François aimait consulter son entourage même s’il ne tenait pas compte de notre avis. Ce que j’en pensais? J’étais comme tout le monde en proie à la plus grande perplexité, mais je voyais en lui davantage qu’un être téléguidé de l’étranger pour nous apporter des réponses formatées, ou poussé par son psychisme malade à nous débiter des sornettes. Il me semblait que Martens, malgré tous ses possibles mensonges, était vrai. C’était ce fil, la conviction que se dégageait de lui une certaine authenticité, une authenticité certaine, que, selon moi, il fallait suivre, mais Jean-François, exacerbé, refusait de l’entendre. J’étais naïve ou folle, il ne comprenait pas que je puisse lui accorder le moindre crédit. Luc n’avait pas tort, je m’étais sentie attirée par Martens, mais pour des raisons qui lui échappaient complètement. Il n’était pas, ou pas seulement, l’espion mystérieux dont les aventures avaient fourni aux réseaux sociaux la matière d’un feuilleton rocambolesque qui tenait les foules en haleine, ni cette belle image de papier glacé qui circulait dans les quelques magazines qui existaient encore pour les nostalgiques de l’ère pré-numérique. Oui, je me laissais prendre au piège (?) de son regard perdu, de ses allusions sibyllines à une réalité mystérieuse, de cette manière si étrange dont il s’exprimait, de sa sensibilité à fleur de peau qu’il ne réussissait pas à dissimuler (il frémissait comme un animal en danger)!… A moi, il ne paraissait pas lisse mais parcouru de fissures, de micro-failles, ce bloc de marbre apparent était veiné, et son histoire était inscrite en chaque trace qu’il aurait fallu essayer de creuser comme un sillon… Pendant qu’il croupissait en prison, l’Histoire s’accélérait mais nous étions nous-mêmes atteints de schizophrénie, nous ne comprenions pas, nous ne comprenions rien, nous étions devenus aveugles et sourds, notre âme avait perdu la capacité de nous gouverner, d’une certaine façon, nous étions déjà morts… Triste Histoire que la nôtre.

Gestes gratuits

     Isabelle Vrignod faisait sa promenade journalière autorisée dans un périmètre plus restreint que d’habitude, mais continuait de ramasser les marrons oubliés par les balayeurs municipaux. C’était un rituel aussi vieux que ses souvenirs d’enfant, tendre et doux, malgré la toxicité de ces châtaignes sauvages qu’il ne faut surtout pas manger comme inciteraient à le faire les crieurs de rue : « Chauds, les marrons! » devant leur brasero… (le rapport au réel n’est jamais simple… joie des enfants quand ils s’emparent de ces marrons non comestibles, qui pourraient les empoisonner, pour jouer ou en faire des ornements)… Ses méditations-rêveries l’emmenaient souvent sur les chemins de l’enfance… il lui semblait que les marrons qui alourdissaient ses poches ouvraient son cœur à elle ne savait trop quoi… une idée, une injonction, quelque chose de flou, de difficile à identifier, venant sans doute de très loin et pourtant si proche, de plus en plus troublant, de plus en plus impérieux… C’est en passant devant le jardin Anne Franck, après avoir déambulé du côté du marché des Enfants Rouges, que le projet commença de s’ébaucher… les passants qui découvriraient les assemblages ne pourraient être que sensibles, en souvenir de leur propre enfance, aux mots maladroits formés par les marrons cousus un à un sur des supports de carton, et devenus messagers… elle prendrait les montages en photo, scannerait, dupliquerait, imprimerait, distribuerait aux passants, collerait sur les façades la trace de ces œuvres innocentes que les ouvriers municipaux chargés du nettoyage de la ville auraient vite fait de jeter dans leurs grandes poubelles… la tentative de sauvetage serait dérisoire, les petits morceaux de papier collés ou distribués seraient jetés eux aussi dans les poubelles ou finiraient en lambeaux sur les trottoirs délavés par la pluie… car ainsi va le monde… seuls les gestes gratuits de l’enfance ou de l’art peuvent le sauver… SEULS LES GESTES GRATUITS DE L’ENFANCE OU DE L’ART PEUVENT SAUVER LE MONDE!

À suivre

   (Texte écrit dans le cadre des ateliers d’écriture de François Bon. Merci à lui!)

L’œil de Big Brother

     La ville survolée par les drones était une sorte de tapis comme on en donne aux enfants pour faire circuler leurs petites voitures… des blocs segmentés par des toitures et enserrés dans des quadrilatères plus ou moins réguliers s’ouvraient parfois sur quelques arbres plantés dans une cour… peu de circulation sur les bandes grises des voies de communication, rues, avenues, boulevards… peu de piétons sur les trottoirs… quelques rares silhouettes profitaient sans doute de l’heure de promenade autorisée à un kilomètre du domicile, et quelques voitures, un ou deux bus, assuraient vraisemblablement le transport des personnes indispensables à la continuité de la vie dans la cité, personnel soignant, caissières de supermarchés… l’oeil de Big Brother zoomait sur les différentes parties de la ville, il rendait compte aux autorités de la docilité de la population, contrainte de se confiner une seconde fois… un logiciel filtrait les flux pour ne laisser passer que les séquences montrant des formes humaines ou des véhicules en mouvement… à moins de le désactiver, les contrôleurs de l’administration policière ne pouvaient voir les belles images insolites filmées par les petits robots volants… ils ne pouvaient admirer le toit du musée Beaubourg apparaissant comme un tableau d’art moderne en plein ciel, composé des formes colorées, rondes, rectangulaires ou rectilignes, de la tuyauterie emblématique étalée à la surface de la terrasse… les drones zigzaguaient au-dessus des toits, prenaient de la hauteur avant de plonger brusquement vers une cible, filmaient leur proie, remontaient débusquer d’autres contrevenants potentiels, étouffaient de leurs bourdonnements obsédants tous les bruits habituels… sur les écrans de contrôle défilaient des fragments de scènes isolées, sans histoires et sans paroles, sans lien entre elles autre que l’obligation pour les personnes surprises à l’extérieur d’avoir dans leur poche une attestation justifiant leur présence hors de chez elles… tel ou tel détail de l’habillement, de la démarche, de la posture, de la physionomie des passants, cyclistes, conducteurs de voiture ou passagers des transports en commun capturés par les caméras, alimentait sans doute l’humeur rêveuse d’agents peu concentrés, mis en alerte par une casquette enfoncée sur les yeux, un sac à dos manifestement très lourd, l’air un peu perdu d’une vieille dame, un vélo militant pour les « sans-voie », une voiture taguée… les indices d’un comportement que Big Brother jugerait déviant devenaient l’amorce d’un récit possible, la première pierre d’un roman, la tonalité instillée au début d’une pièce de théâtre par le metteur en scène quand les personnages apparaissent, juste après les trois coups…

À suivre

   (Texte écrit dans le cadre des ateliers d’écriture de François Bon. Merci à lui!)

Tourner les pages

     La file d’attente était interminable. Élodie patientait devant le labo depuis déjà plus de deux heures. Elle avait fait la fête avec ses ami-e-s et se sentait visée par les campagnes d’information du ministère de la santé qui voulait sensibiliser les jeunes qui n’appliquaient pas les gestes barrières au danger que les personnes âgées de leur entourage ne développent une maladie grave en cas de contamination. Au vu du nombre de personnes qui stationnaient sagement devant elle, en respectant la distance physique recommandée, il se passerait encore au moins une bonne heure avant qu’elle ne soit admise dans le centre de dépistage. Alex avait de la chance, il n’était plus qu’à quelques mètres de la porte d’entrée. C’était un drôle de type. Quand on arrivait dans la salle de cours, on ne s’étonnait plus de le trouver royalement installé, les pieds sur une table et le dos bien calé contre le dossier de sa chaise, en train de se curer les ongles ou de jouer avec une petite balle en mousse, coiffé d’un Borsalino, d’un Stetson ou d’un Cordobes enfoncé sur les yeux ou tiré vers la nuque, au gré d’une humeur que personne ne parvenait à interpréter, et que seuls deux ou trois mystérieux et fugitifs acolytes, aperçus parfois aux abords de la fac, pouvaient peut-être déchiffrer. Il mâchait continuellement du chewing-gum et ne répondait jamais aux questions autrement que par des borborygmes accompagnés d’un regard froid et moqueur qui décourageait l’interlocuteur le mieux intentionné. Les professeurs n’essayaient plus d’en tirer des paroles construites mais l’interpellaient de temps en temps pour plaisanter et mettre les rieurs de leur côté. Il restait impassible, mais si la plaisanterie durait trop longtemps, il crachait son chewing-gum en décochant des regards que personne n’avait envie de soutenir… Sa présence dans la file d’attente pour se faire dépister ne cadrait pas avec le personnage, avec son indifférence aux autres, avec le mépris qu’il affichait pour tout ce qui relevait de la simple civilité… De loin, debout comme tout le monde et les bras ballants, il paraissait inoffensif, et d’apparence presque chétive…

     Écrire pour quitter le réel?… Fuir la dureté du réel pour l’adoucir par la fiction?… Pourquoi tenter de dérouler le papyrus du roman en train de s’écrire, pourquoi essayer de le sortir du néant?… Parce que le réel est trop lourd et qu’il faut l’alléger?… Parce qu’à travers le tamis des mots peut surgir de l’or?… Parce qu’un roman peut refaire le monde, non pas le dupliquer, mais le recréer comme si c’était le premier jour?… Les personnages prenaient corps en se nourrissant de son corps, qui semblait pouvoir se démultiplier à l’infini, devenir une multitude de corps, chacun possédant une parcelle d’elle-même, chacun d’eux vivant de sa vie passée et présente, avec ses rêves, ses doutes, ses peurs, ses espoirs et ses désespoirs, ses luttes, ses échecs, ses victoires, sa joie et son mal de vivre, ses renoncements, ses élans… Comment le dire?… Comment se dire sans le dire?… Écrire pour soi?… Pour essayer d’atteindre les autres?… Pourquoi cet effort sur le long terme, cette propension obstinée à former des alignements de phrases qui se poursuivent jusqu’à la fin d’un livre?… La pandémie faisait prendre à l’écriture une tournure inattendue, comme si la réalité dépassait la fiction… Personne n’avait imaginé cela, le monde entier retenant son souffle, les populations confinées, les télévisions publiant et commentant chaque jour les tableaux de bord de la contagion… Pourquoi en faire état?… La fin du monde n’était qu’une vue de l’esprit, la fin d’un monde était sans doute en train de se vivre… La crise sanitaire se doublait d’une crise économique, le cadre et les codes de la vie sociale volaient en éclats, les experts se chamaillaient, des gourous apparaissaient… À quelques semaines seulement de l’élection présidentielle qui devait décider du renouvellement ou non de son mandat, le président des Etats-Unis, qui se comportait souvent lui-même comme une sorte de gourou invincible, venait d’être hospitalisé… plus personne ne savait de quoi l’avenir serait fait… Évidemment, et heureusement, le pire n’était pas certain… Isabelle Vrignod s’agaçait… elle n’aimait pas ces formules toutes faites qui ne veulent rien dire… il y avait de par le monde des centaines de milliers, des millions, des centaines de millions de personnes pour lesquelles le pire était en train de se produire… Son projet de roman prenait l’eau… elle avait conscience de ses faiblesses… une sensibilité exacerbée qui l’empêchait de plonger dans ce qui faisait mal, de prendre à bras le corps la dure réalité, de mettre des mots sur les douleurs de ses personnages… en les tenant à distance pour éviter de souffrir, elle les enfermait dans un monde déréalisé qui manquait de chair et d’épaisseur… il faisait froid… tout était gris, le ciel, la route, les gens, la ville, la vie, tout était triste, comme déjà endeuillé… les phares des voitures parvenaient mal à traverser le crachin qui ne cessait de tomber depuis le début du jour… les vitrines des magasins, leurs enseignes lumineuses, entretenaient un air de fausse gaieté contredite par l’attitude des passants qui se dépêchaient d’atteindre leur destination… l’air, comme les cœurs, était lourd et faisait espérer la neige, qu’elle efface le trop de peine, qu’elle pardonne la noirceur du monde, qu’elle transfigure la réalité… ce serait une journée d’hiver, comme jadis… une journée qui aurait pu être banale, vécue comme la fin du monde… car le monde pouvait vraiment s’arrêter… il s’arrête en vérité à chaque fois qu’un drame survient ou qu’une vie s’essouffle… les images s’enfouissent alors au plus profond de la mémoire… on ne voit plus rien, ou presque plus rien… comme un rideau de pluie, une vague de brouillard, des ombres furtives, d’étranges lueurs, l’écran vide d’un cinéma inanimé… on essaie alors de saisir quelques bribes d’une pellicule fantôme… d’en faire un montage… de visionner en aveugle ce que l’on ne peut plus voir… ce serait un jour d’hiver… tout serait gris… François sans doute… Ali?… Élodie?… Alex?… le décor, les circonstances ne seraient pas les mêmes… mais ce serait, quel que soit le personnage mis en scène, un jour banal, devenant pour lui la fin du monde… 

     Ali n’était qu’un petit revendeur de cannabis mais il avait été pris dans une nasse avec des trafiquants de drogues dures et avait déjà fait de la taule… six mois ramenés à trois grâce à une remise de peine… pas envie de renouveler l’expérience… il continuait pourtant à dealer… la famille avait besoin de l’argent que son trafic rapportait… et qu’est-ce qu’il aurait pu faire d’autre?… son cinéma intérieur lui faisait miroiter une vie de rêve… il n’était pas devenu footballeur professionnel mais pouvait connaître la gloire comme batteur… le groupe venait à peine de se former, le nombre de vues sur YouTube ne cessait d’augmenter, les potes avaient des idées plein la tête, et lui, alors qu’il avait été le cauchemar de ses professeurs, il écrivait des textes qui accrochaient l’auditoire, et il aimait ça… il déversait sur les mots écrits comme sur ses instruments de percussion les flots d’émotions qui le submergeaient, c’était une sorte de shoot, il avait l’impression fabuleuse de décoller du réel… il n’avait jamais été du bon côté de la réalité… s’il était repris par la police, il serait épinglé comme récidiviste… il s’en foutait d’être considéré comme un délinquant, il en ressentait plutôt de la fierté, c’était son code d’honneur à lui et celui de ses potes, mais retourner en prison mettrait un terme à ses rêves actuels de batteur, un autre prendrait sa place dans le groupe, l’augmentation du nombre de vues sur YouTube ne le concernerait plus, et ça, c’était insupportable, c’était mortel… les drones au-dessus de sa tête le poursuivaient comme un essaim de guêpes… il avait rabattu sa casquette sur les yeux… jouer au chat et à la souris avec les keufs ne l’amusait plus, le jeu était devenu trop sérieux, il se sentait presque vieux, la prison l’avait plombé, il avait envie de tourner les pages d’un autre livre… il arpentait les rues de la ville comme s’il voyageait à travers l’histoire d’un homme qui serait lui et ne le serait pas… il n’était pas un habitant de cette ville, il habitait à côté, dans une banlieue… il avait envie de se nommer ainsi, l’homme d’à côté… il écrirait l’histoire de cet homme, une histoire qu’il voulait extraordinaire, l’histoire d’un percussionniste d’exception qui créait des tubes… le livre serait publié en même temps que le dernier succès du groupe, on ferait la fête, des producteurs de cinéma souhaiteraient faire un film sur lui et ses potes… 

     Les arbres verdoient sous l’eau bleue du ciel et la lumière rousse de l’automne, somptueuse… un vieil homme vêtu d’un manteau noir avance lentement avec un gros sac sur le dos, une grappe de ballons colorés prêts à s’envoler tire sur la ficelle qu’il retient de sa main droite… l’atmosphère semble festive, comme au printemps, quand la vie recommence… la ville a des airs de village… marcher sans se presser vers une station de métro ou un arrêt de bus est un plaisir rare… une cour, une impasse, une placette se découvrent au détour d’une rue fréquentée, les automobiles ignorent les petites rues adjacentes recouvertes des gros pavés d’autrefois, quand les roues des vieilles carrioles rebondissaient sur la chaussée… le nez en l’air, on se surprend à rêver, sans le souci de traverser dans les clous ou de se protéger des voitures sur les trottoirs étroits, entre les rangées des vieux immeubles placides de la ville ancienne… la ville se raconte de rue en rue et transmet des histoires… ici vivait Prosper Mérimée, là se perpétue le souvenir des Enfants Rouges… dans le Marais, on n’entend plus le roulement des valises traînées par les touristes venus visiter la capitale… des cyclistes passent en chuintant… on prend le temps, murmurent les roues, on prend le temps de se glisser dans la ville… des commerçants prennent l’air sur le pas de leur porte, des enfants jouent… leurs éclats de rire fusent loin des rumeurs de la cité… les dernières pluies ont laissé flotter un parfum d’humus, des marrons brillent au milieu des feuilles mortes, l’automne, ce jour, est ludique et paisible… Isabelle Vrignod ramasse quelques marrons et les essuie soigneusement pour les faire luire avant de les mettre dans ses poches… 

À suivre

   (Texte écrit dans le cadre des ateliers d’écriture de François Bon. Merci à lui!)

Prendre le temps

— À lire sur www.tierslivre.net/revue/spip.php

Deux anges…

    Mes parents faisaient partie de la génération Bataclan. Plusieurs de leurs amis se trouvaient dans la salle de spectacle au moment du massacre perpétré le 13 novembre 2015 par des « soldats » (c’est le nom qu’ils s’attribuaient, l’opinion ne voyait encore en eux que des fous) du Califat de l’Etat islamique. Ma mère aurait dû assister au concert mais elle avait été retenue en province où elle faisait un stage. Mon père, à cette époque, terminait un cycle d’études dans une université américaine, il ne se trouvait pas à Paris. Quand ils retrouvaient leurs connaissances de l’époque, ils évoquaient souvent cette soirée d’horreur absolue. L’émotion faisait encore trembler leur voix, des larmes difficilement contenues continuaient de perler au bas de leurs paupières. Vincent et Pauline, les meilleurs d’entre eux, deux anges, avaient été tués, lâchement assassinés au nom d’Allah par des illuminés qui avaient préféré pour eux-mêmes la mort à la vie, en voulant entraîner tous les autres dans l’Apocalypse.

Toits de Paris

Pluie dansante

Perles parisiennes

Au temps de la flèche

Le virage de la peur

     Les démocraties cédaient aux sirènes de la peur, que des dirigeants incompétents ou peu scrupuleux entretenaient au sein de la population pour se maintenir au pouvoir ou y accéder. Guantanamo, la prison construite spécialement pour les auteurs de l’attentat du 11 septembre 2001, que le président Barack Obama avait pourtant promis de fermer, avait été non seulement maintenue mais agrandie vingt ans plus tard au moment des premiers attentats terroristes nucléaires. Les régimes d’exception s’étaient multipliés, généralisés, renforcés partout en Occident. En France, ce sont les attentats du 13 novembre 2015 commis à Paris et en Seine-Saint-Denis quelques mois seulement après ceux du 7 janvier contre un magasin juif et le journal satirique Charlie Hebdo, qui avaient accentué le virage vers un état d’urgence permanent, deux mots normalement incompatibles mais réunis dans des formules martiales destinées à rassurer le commun des mortels et à justifier des pratiques douteuses qui escamotaient le pouvoir judiciaire. Les démocraties se reniaient sans soulever de grandes protestations tant les peurs latentes étaient grandes malgré les fanfaronnades des uns ou des autres appelant à la résistance. Contre qui? Contre quoi? Poser la question paraissait incongru, pire, suspect aux yeux de beaucoup, puisque l’ennemi leur paraissait évident; il s’agissait de barbares, d’hommes et de femmes qui n’appartenaient plus à l’Humanité et qui ne méritaient plus qu’on les traite comme des humains. Il fallait s’en protéger à tout prix, à n’importe quel prix…

Une carte d’identité loufoque

Nous étions si fragiles…

      La fouille de Martens n’avait pas été décisive. Quelques photos sentimentales banales, beaucoup de photos d’inconnus prises dans des endroits reconnaissables mais apparemment jamais dans son mystérieux pays sauf, sans doute, celle d’une femme, aucune photo de Walter, quelques billets écrits dans une langue bizarre qui était peut-être une sorte d’espéranto, rien de réellement compromettant, mais pas moins de quatre passeports dans les poches de son gilet de reporter, et cette espèce de carte d’identité loufoque: yeux clairs, cheveux clairs, taille élancée, visage harmonieux, signes distinctifs: aucun !… Il répétait toujours la même histoire. Pour échapper au piège tendu par la police mexicaine, Walter et lui avaient décidé de tenter leur chance séparément. Ensuite, Martens avait écumé tous les lieux de rendez-vous possibles… En Amérique du Sud, puis en Europe… Berlin, Paris, Rome, Genève, Londres, et puis à nouveau l’Amérique du Sud, et puis à nouveau l’Europe… Nos agents avaient eu pour mission de ne pas le lâcher d’une semelle. Leur manège avait mis en alerte plus d’un service secret ! Si seulement nous avions pu retrouver la pièce manquante, la clé du puzzle, juste un peu plus tôt, avant que… Enfin, vous savez bien… La planète était devenue folle! L’histoire de Martens et de son supposé ami Walter a rencontré la grande Histoire à un moment crucial. Leur histoire personnelle n’est peut-être pas le détonateur des événements qui ont suivi, mais elle est révélatrice de la confusion généralisée qui régnait à cette époque, et des conséquences incommensurables qu’avaient entraînées les grandes tragédies du XXè siècle, que le siècle suivant n’avait pas su complètement dépasser…

Vie parisienne

Paris en deux syllabes, deux voyelles ou deux mots, le pas et le rire des promeneurs!

Quelques clichés parisiens

Photos prises le 30 novembre 2017 vers 13H 30.

Une patrouille de police banale

     Martin avait été arrêté à Paris, dans un squat, pendant une patrouille de police banale (les gens s’étaient habitués aux allers et venues des uniformes dans les rues), avec une poignée de sans-abris que le voisinage immédiat ne supportait plus. Désignés à la vindicte, les clochards étaient considérés comme des délinquants en puissance qu’il fallait mettre hors d’état de nuire sans autre procès…

     Le piano de Louis 

     2064

 

En Marche

     Chaque pays de l’OCDE était fracturé par une ligne de répartition des richesses de plus en plus défavorable non seulement aux pauvres mais aussi aux classes moyennes basses, dont le statut était de moins en moins enviable. Les frontières physiques entre pays étaient devenues beaucoup moins importantes que cette nouvelle géographie politico-socio-économique qui prenait possession de toute la planète avec partout les mêmes conséquences de déstabilisation profonde des équilibres qui fondaient jusqu’alors un minimum de cohésion sociale. Le désarroi des gens formait le terreau nourricier des extrêmes-droites nationalistes et des nouveaux démagogues qui surgissaient de toutes parts. En France, le hollandisme avait ouvert la voie à une nouvelle sorte de populisme du centre incarné par Emmanuel Macron, ancien ministre de l’économie de François Hollande. Se prétendant ni de droite ni de gauche, transformant son inexpérience politique en argument de campagne lui donnant les vertus d’un homme nouveau, qui n’aurait pas les défauts habituels des postulants aux plus hautes responsabilités de l’Etat, et faisant de l’immaturité que lui reprochaient ses adversaires le gage de sa bonne foi et de son honnêteté, Emmanuel Macron avait inventé le mouvement En Marche, aux initiales de ses nom et prénom, tout un programme!… pour qu’il le conduise sur le perron de l’Elysée. Un vieux cacique lui avait apporté son soutien, François Bayrou, qui avait œuvré et manœuvré en vain pendant toute sa vie pour que la France soit gouvernée au centre, selon le vœu déjà ancien du président de la République française Valéry Giscard d’Estaing, en 1974. Mais, alors qu’il s’était fait le chantre d’une séparation claire entre les mondes politique et affairiste afin de lutter contre la corruption, François Bayrou avait manifestement occulté le fait qu’Emmanuel Macron était le poulain des milieux d’affaires et que ceux-ci lui avaient déroulé le tapis rouge à la banque Rothschild, ouvert les portes du pouvoir et des médias, facilité son ascension de toutes les manières possibles. D’autres que lui, comme l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë parmi les notables socialistes, ou le vice-président de l’Assemblée nationale François de Rugy chez les écologistes, devenus soudainement adeptes d’un social-libéralisme décomplexé, avaient franchi le Rubicon qui les séparait d’Emmanuel Macron en abandonnant les candidats élus à la primaire de leur parti, Benoît Hamon et Jannick Jadot, pour rejoindre ce nouvel homme providentiel qui s’était lui-même désolidarisé de son mentor, François Hollande…

     * Ce texte est rédigé au passé car il sera inséré dans le cours d’un récit écrit depuis l’avenir avec le point de vue d’une narratrice en train de vivre les derniers jours de l’Humanité et qui cherche, a posteriori, à comprendre pourquoi et comment on a pu en arriver là, en essayant de mettre en évidence les forces à l’œuvre dans le faisceau d’événements, de mouvements profonds et de décisions malencontreuses qui ont conduit à la plus grande crise écologique et sociale que l’Humanité ait jamais connue.

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

Nuit parisienne

pastels / site dédié

Au-dessus de la ville

Au-dessus de la ville

Etat d’urgence

   

(fiction en cours d’écriture)

     Les démocraties cédaient aux sirènes de la peur, que des dirigeants incompétents ou peu scrupuleux entretenaient au sein de la population pour se maintenir au pouvoir ou y accéder. Guantanamo, la prison construite spécialement pour les auteurs de l’attentat du 11 septembre 2001, que le président Barack Obama avait pourtant promis de fermer, avait été non seulement maintenue mais agrandie vingt ans plus tard au moment des premiers attentats terroristes nucléaires. Les régimes d’exception s’étaient multipliés, généralisés, renforcés partout en Occident. En France, ce sont les attentats du 13 novembre 2015  commis à Paris et en Seine-Saint-Denis quelques mois seulement après ceux du 7 janvier contre un magasin juif et  le journal satirique Charlie Hebdo, qui avaient accentué le virage vers un état d’urgence permanent, deux mots normalement incompatibles mais réunis dans des formules martiales destinées à rassurer le commun des mortels et à justifier des pratiques douteuses qui escamotaient le pouvoir judiciaire. Les démocraties se reniaient sans soulever de grande protestation tant les peurs latentes étaient grandes malgré les fanfaronnades des uns ou des autres appelant à la résistance. Contre qui? Contre quoi? Poser la question paraissait incongru, pire, suspect aux yeux de beaucoup, puisque l’ennemi leur paraissait évident; il s’agissait de barbares, d’hommes et de femmes qui n’appartenaient plus à l’Humanité et qui ne méritaient plus qu’on les traite comme des humains. Il fallait s’en protéger à tout prix, à n’importe quel prix…

     Drôle d’Histoire

     2064

Un quartier méconnu de Paris:Belleville!