Texte d’Isabelle Pariente-Butterlin
Ta main dans la mienne.
Tu penses que je sais où on va. Je sais à peu près. Je ne sais pas si bien que tu le crois, et je préfère que tu ne le saches pas. Je ne suis pas très sûre du chemin. À droite, ou à gauche. Je sais un peu mais pas plus que ça. Parfois j’ai des intuitions mais la plupart du temps, tu sais, je vais à l’aveuglette. Il y a longtemps que je ne suis pas venue. Ça a changé depuis la dernière fois. J’appelais ça le chemin des pommes.
Ma main dans la tienne.
Je tenais la main de mon père qui me paraissait immense. Le chemin des pommes était le terme ultime des terres que je connaissais. Une frontière que je ne franchissais pas. Je me souviens de quelques bribes. Les formes complexes des arbres certainement ont impressionné photograhiquement ma mémoire mais je ne sais plus dessiner selon quelle arborescence tracée à l’encre de Chine. Après lui s’étendaient des terrae incognitae dont je rêvais parfois et qui me paraissaient si aventureuses. Les pommes avaient un goût très sûr.
Ma main dans la sienne.
Je pensais que rien ne m’arriverait et que nous viendrions toujours nous promener sur le chemin des pommes. Lui et moi. Moi et toi. Je pensais qu’il en serait toujours ainsi. Je ne voyais pas les brumes du passé monter. Si tu savais comme mon chemin est imparfait et sinueux et comme j’en suis peu sûre. Je ne sais même pas s’il mène quelque part. À droite ou à gauche. Là plutôt qu’ailleurs. Il n’y a que toi au monde pour traverser le monde de ton pas très assuré en tenant ma main depuis que j’ai lâché la sienne.
L’ai-je jamais lâchée ?
Ta main dans la mienne me ramène des brumes du passé. Ta main est très assurée. Et tes gestes très précis depuis que, de toute ta maladresse tendre, tu as saisi ma main que tu n’as pas encore lâchée. Où irai-je quand ce sera le cas ? Où irai-je, moi qui ai lâché sa main, quand tu auras lâché la mienne ?
1ère mise en ligne et dernière modification le 14 mars 2012.
Au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2032, Emmanuel Macron avait réuni sur son nom, par delà toutes les différences de vue importantes qui divisaient l’électorat partagé à part égale entre les principaux candidats, les voix de tous ceux et celles qui voulaient tourner la page de ces sombres années. Les attentes étaient immenses. Il fallait rétablir les fondements de la République française en réaffirmant son triptyque: Liberté, Égalité, Fraternité! Hélas, après les ravages causés par l’extrême-droite ou la droite extrême, la population fit l’expérience de l’extrême-centre et découvrit avec stupeur ce que les nouveaux élus étaient capables de faire. Le mouvement En Marche fonctionnait comme une secte. Les instructions venaient d’en haut et ne souffraient aucune contradiction. Alors que la campagne électorale avait joué sur la séduction et l’apparente proximité du candidat avec les gens, la mise en scène grandiose du pouvoir était tout à la gloire d’un homme qui se considérait davantage comme le Chef Suprême de la France que le représentant élu par le Peuple pour le servir. Le soir de son élection, la pyramide du Louvre avait intronisé un nouveau Pharaon, à moins que ce ne fût l’avatar de Napoléon Bonaparte, dans une marche nocturne savamment calculée. Puis le palais impérial de Compiègne, à défaut du château de Versailles, sinistré depuis l’attentat de 2020, avait accueilli les deux assemblées parlementaires réunies en Congrès pour que les sénateurs et les députés écoutent le nouveau roi soleil ou le nouvel empereur, qui préférait toutefois se comparer à Jupiter, leur dicter leur feuille de route. Sur la scène internationale, c’est en nouveau Solon qu’il avait décidé d’apparaître devant le décor sublime de l’Acropole magnifié par les éclairages à la tombée de la nuit, pour déclarer au monde qu’il réinventerait l’Europe. La communication avait ses limites et on découvrirait vite la vacuité du personnage. Ne resteraient que ses coups de menton devant un général humilié et réduit à la démission pour avoir défendu ses soldats devant une commission de l’Assemblée Nationale, ses fanfaronnades démenties par la comédie servile à laquelle il se livrait avec les puissants et notamment avec le président des Etats-Unis qui le tenait par la poigne, son mépris des petites gens qu’il considérait comme des riens, la trahison des valeurs humanistes de la République française qu’il foulait aux pieds en refoulant la plupart des migrants arrivés en France et en fermant les frontières à ceux qui tentaient d’y parvenir, ses protestations hypocrites quand d’autres pays que la France détournaient les yeux des bateaux de naufragés perdus au milieu de la Méditerranée, ses doubles discours, ses provocations douteuses, sa tendance orwellienne à inverser le sens des mots…





