destruction

Le spectacle de la misère au pays d’Hollywood

Nous étions si fragiles…

    Les Etats-Unis ne s’étaient pas encore remis de la grande crise de 2029, et furent profondément déstabilisés par l’attentat de Boston. Les habitants de la ville qui en avaient les moyens se groupaient pour attaquer en justice l’Etat fédéral et, comme à Versailles en 2020, des milices se substituaient à la police pour traquer les terroristes. La perte de confiance envers les institutions comme envers les marchés se répandait plus vite que la peste. Les grands investisseurs avaient été les premiers, comme toujours, à essayer de retirer leurs avoirs au moindre mal, en déclenchant la panique des petits épargnants qui ne pouvaient pas récupérer les sommes qu’ils avaient investies. La mécanique habituelle se mettait en place, avec quelques degrés de plus dans la quantité et la monstruosité des défaillances. Les chambres de compensation n’arrivaient plus à faire le lien entre les acheteurs et les vendeurs malgré quelques mesures récentes prises au nom de la transparence, les titres de propriété devenaient de la fausse monnaie, le vin se changeait en eau, l’eau au sens propre était elle-même contaminée, les gaz de schiste et la radioactivité l’avaient empoisonnée… On assistait à des règlements de compte entre personnalités qui jouissaient jusqu’alors de positions sociales avantageuses, les suicides ou les assassinats auxquels on était habitué dans les milieux de la pègre se multipliaient dans la très haute société. Cette nouvelle déroute du système financier s’accompagnait, hélas, comme toujours, de la destruction de tous les pans de la vie économique et la foule des Innocents continuait d’en payer le prix le plus élevé… Comme en 2008 puis en 2029, avec des effets de plus en plus crescendo, les vidéos qui circulaient sur le web montraient le désespoir des familles jetées à la rue, réfugiées dans les tentes que des associations de bienfaisance dressaient en toute hâte pour faire face à l’urgence humanitaire. La télé-réalité inventée à la fin du vingtième siècle inondait les écrans de séquences de vie filmées par une multitude de citoyens américains aux abois. La fascination exercée par le spectacle de la misère au pays d’Hollywood était sans limite! Tous les rêves paraissaient s’écrouler en même temps que le rêve américain… On relisait Les Raisins de la colère, Le Bûcher des vanités, et les réseaux sociaux exhumaient des archives les vieux films que ces romans avaient inspirés… ce n’était pas possible, on n’avait quand même pas régressé à ce point-là!… Les journalistes et les intellectuels médiatiques invités sur les plateaux de télévision de grande écoute rivalisaient de mauvaise foi et de bêtise. Leurs connaissances étaient superficielles, mais ils pouvaient bavarder avec beaucoup d’assurance pendant des heures, tandis que les politiques à bout de souffle reprenaient leurs analyses simplistes pour tenter de justifier leur action et d’expliquer l’inacceptable… Le modèle économique marchéiste, ébranlé depuis le début du millénaire par plusieurs grandes crises systémiques, risquait cette fois de ne plus s’en remettre. L’éclatement des bulles spéculatives, qui se reconstituaient comme du chiendent après chaque crise, venait, selon toute vraisemblance, de lancer l’assaut final! Malgré les récents ajustements géopolitiques et la montée en puissance de la Chine et de l’Inde, la faillite des Etats-Unis entraînerait vraisemblablement le monde entier dans sa chute…

Émeutes raciales

Nous étions si fragiles…

    Les failles de la société américaine, mal colmatées ou camouflées par les classes dominantes, apparaissaient sous une lumière crue et cruelle… Les Etats-Unis étaient le plus inégalitaire des pays riches, mais riches, tous les Américains du Nord étaient loin de l’être! Moins de dix pour cent des actifs y accaparaient plus de la moitié des revenus. Les inégalités avaient explosé au point de menacer la cohésion du pays car la population hispanique et surtout noire en subissait les plus lourds effets, et les grandes luttes raciales du vingtième siècle avaient été réactivées une trentaine d’années auparavant… Les Noirs accusaient les forces de l’ordre de faire peu de cas de leur vie. Des chercheurs avaient calculé, en effet, que le risque d’être tué par un policier était deux fois plus important pour un Noir sans arme que pour un Blanc désarmé. Cette nouvelle ère de turbulences raciales avait commencé avec les émeutes de Ferguson à la suite de l’affaire Michael Brown, un jeune afro-américain de dix-huit ans non armé au moment des faits, abattu de six coups de feu par le policier blanc Darren Wilson le 9 août 2014. La veillée funèbre organisée le 10 août avait débuté pacifiquement mais une partie de la foule laissa libre cours à sa colère en s’adonnant à des pillages de magasins, à des destructions, à des provocations envers les forces de l’ordre et à des jets de projectiles. La situation dégénéra et les affrontements se multiplièrent pendant plus d’une semaine. Le 24 novembre, la décision prise par le grand jury de ne pas inculper le policier déclencha de nouvelles flambées de violence qui conduisirent à la proclamation de l’état d’urgence par le gouverneur du Missouri. Le 10 août 2015, un an après la mort de Michael Brown, la ville de Ferguson était de nouveau au bord du gouffre… Ces émeutes avaient révélé au monde les échecs récents de l’american way of life. La population blanche vieillissante, durement frappée par la crise financière de 2007, se tenait sur la défensive, tentée par le repli sur soi. Par ailleurs, si les habitants de la côte Est et de la côte Ouest avaient fortement intégré et accompagné les changements sociétaux, ce n’était pas du tout le cas dans l’Amérique profonde. Un demi-siècle environ après l’adoption par le Congrès d’une législation historique sur les droits civiques, la fracture entre Blancs et Noirs n’avait jamais été aussi béante. Les relations étaient tellement dégradées qu’en juillet 2016 des policiers blancs avaient été pris pour cibles et abattus de sang-froid par des snipers noirs, d’abord à Dallas, puis, quelques jours plus tard seulement, à Bâton-Rouge. Ces meurtres inauguraient une période de tension et de suspicion qui devaient empoisonner pendant longtemps la société américaine…

Volonté de puissance

Nous étions si fragiles…

    Le monde était devenu fou, mais cette démence avait commencé bien longtemps auparavant, sans doute au moment de l’utilisation des premières armes chimiques pendant la première guerre mondiale, quand la lutte loyale (?) entre combattants avait été pervertie par l’emploi de gaz détruisant massivement l’adversaire… Cette volonté de puissance dévoyée avait inauguré un processus effroyable qui aboutirait à la destruction de l’Humanité tout entière un siècle et demi plus tard!… Comment avions-nous pu en prendre le risque?… Comment avions-nous pu être capables d’exposer les populations du monde entier au danger nucléaire en faisant comme si nous étions en mesure de le contrôler?… Comment avoir osé croire en notre toute-puissance comme si nous étions des dieux?… En un sens, nous ressemblions aux djihadistes islamistes qui prétendaient agir en accomplissant la volonté d’Allah et s’attribuaient le droit de tuer en son nom. L’énergie atomique nous avait rendus, nous aussi, maîtres de la vie et de la mort!… Eux détruisaient et tuaient pour établir le régime du Califat sur toute la planète, nous, nous avions ouvert la boîte de Pandore des outils de destruction massive dont ils n’hésitaient plus à se servir, prenant la suite de ce que nous avions commencé de faire au vingtième siècle… L’attentat de Boston avait été rapidement revendiqué par les héritiers d’Al Quaida, qui faisaient circuler sur le web des vidéos sinistres dans lesquelles on les voyait hurler leur fierté d’avoir renouvelé sur le sol américain l’exploit commis par leurs aînés le 11 septembre 2001… Comme l’Hydre de Lerne, le fascisme islamiste avait toujours une nouvelle tête qui repoussait!…

Soliloque

Nous étions si fragiles…

    Le blog que je tenais dans les pages web du journal pour lequel je travaillais fonctionne encore. Depuis quelques jours, je rédige des articles sur notre vie ici. Je les poste en espérant qu’ils suscitent le miracle d’un commentaire… Pourquoi continuer ce triste monologue? Le temps qui passe nous enferme dans une solitude radicale et confirme si besoin était le degré de destruction du monde…

Cheval de Troie?

Nous étions si fragiles…

    Manifestement, la puissance étatique dont semblait se réclamer Martens connaissait un degré de développement scientifique et technologique très avancé. En attestaient les objets informatiques miniaturisés trouvés en sa possession. Les meilleures équipes d’ingénieurs américaines et européennes avaient uni leurs efforts pour en percer les secrets, sans réussir toutefois à entrer dans le système principal qui les commandait à distance, au point de craindre l’intrusion d’un cheval de Troie dans nos propres systèmes… Pris de panique, les généraux de l’OTAN avaient exigé la destruction de ces objets. Des fuites s’étaient répandues dans les réseaux sociaux, à l’origine de la montée soudaine de l’intérêt des populations pour l’espion arrêté par les Français. Une espèce de psychose paranoïaque s’était alors emparée des politiques et la pression sur Jean-François était devenue extrême. Il était le fusible idéal à faire sauter en cas de problème, mais la question n’était pas là. Le FBI trépignait d’impatience et la France ne voulait pas que ses services de contre-espionnage puissent être taxés d’incompétence. Il fallait que Martens se lâche, qu’il raconte par le menu tout ce que nous désirions savoir. A n’importe quel prix… J’avais été l’instrument de la méthode douce utilisée jusqu’alors par Jean-François. Jusqu’où irait-il pour obtenir des aveux?…

11 Septembre 2022

Nous étions si fragiles…

    L’Occident continuait de s’enliser dans les politiques stupides de leurs si médiocres dirigeants (les Américains du Nord avaient hélas raté de peu, en 2016, l’élection du démocrate Bernie Sanders…) quand, le 11 septembre 2022, se produisit le premier d’une série d’attentats terroristes nucléaires qui allaient semer la panique dans le monde entier. N’importe qui pouvait se procurer depuis longtemps sur la Toile la recette de fabrication d’une bombinette artisanale classique, alors même que les réseaux sociaux étaient de plus en plus surveillés, mais fabriquer une petite bombe nucléaire paraissait hors de portée des terroristes djihadistes, dépourvus de la logistique indispensable pour manipuler des matériaux radioactifs. Or, comme souvent depuis le début apocalyptique de ce millénaire qui, à peine commencé, retourne déjà au néant, l’impossible se produisit. Le démantèlement de l’empire soviétique, à la fin du vingtième siècle, avait livré en pâture aux Mafias et aux aventuriers du monde entier une quantité invraisemblable d’objets provenant de son ancien arsenal nucléaire, qui échappait depuis à tout contrôle. Le trafic d’armes de toutes sortes était un business très juteux et la Lybie, que les Occidentaux avaient débarrassée de son dictateur Kadhafi sans anticiper l’instabilité chaotique qui allait suivre, était devenue une plaque tournante pour les revendeurs tout en offrant à l’Etat islamique une base arrière idéale. Si le dictateur irakien Saddam Hussein avait été accusé de détenir des armes de destruction massive qui n’existaient pas, il avait bel et bien tenté de se doter de l’arme atomique et le Califat, dont la folie meurtrière ne reculait devant rien, n’avait eu aucun mal à rallier les ingénieurs spécialisés dans le nucléaire qui avaient travaillé pour lui. On était loin de la rationalité de l’époque de la Guerre froide et des théories de la dissuasion en vigueur alors! Les attentats djihadistes habituels se multipliaient partout dans le monde en accentuant à chaque fois le sentiment d’insécurité des populations, mais l’Organisation de l’état islamique voulait aller encore plus loin dans l’instauration de la terreur. Le régime obtint ce qu’il souhaitait avec l’atome. Le 11 septembre 2022 devait marquer les esprits aussi fortement que le 11septembre 2001, triste réitération de l’horreur…

Déni d’altérité

Dix décembre 2040

     Je me sens comme suspendu entre deux ou plusieurs mondes, ce que je pressens est terrifiant. A qui me confier? Ici, on me prend pour un vulgaire espion capable de tous les mensonges. Ma vérité est incroyable, ce que j’ai à dire ne peut pas être entendu. Il y a bien cette Elsa, qui semble bienveillante… Mais la ficelle est trop grosse. Elle est chargée de gagner ma confiance pour débusquer les failles par lesquelles les autres rêvent de m’anéantir. Leurs livres d’Histoire me font horreur. Leur lecture est un véritable cauchemar. En même temps que je découvre mon appartenance à cette Humanité, je me mets à la détester. Je ne veux pas trahir les miens, même en sachant ce que je sais maintenant. Notre imposture n’est-elle pas préférable à leur cruauté? Etrange mélange de lumière et de ténèbres, leur civilisation ne repose-t-elle pas, elle aussi, sur le déni de l’altérité? Combien de massacres et de destructions à leur actif ? J’aurais voulu les considérer comme des frères, mais je ne veux pas me regarder dans leurs miroirs. Je me sens désespéré, je ne vois pas d’issue.

Les Maîtres de la Terre

Nous étions si fragiles…

    Il existait au sein même des pays riches des situations d’extrême pauvreté qui auraient pu aider les moins cyniques à ouvrir les yeux, mais elles ne faisaient jamais la une des journaux et restaient relativement cachées sans jamais devenir la priorité des hommes et des femmes politiques. Dans les pays émergents, une classe moyenne de plus en plus nombreuse réclamait sa part de richesse, mais sans vraiment remettre en cause les fondements d’une économie qui avait besoin, pour prospérer, d’exploiter les plus pauvres et de piller la planète. Alors que les pratiques ancestrales respectueuses des écosystèmes avaient réussi jusqu’alors à en obtenir le meilleur, la vie devenait impossible pour des millions d’êtres humains que la faim et la soif chassaient des endroits les plus arides. Des cohortes d’hommes, de femmes et d’enfants avaient commencé de migrer dès le début des années 2000 pour échapper à la famine et aux guerres que se livraient leurs pays dans le but d’accaparer ce qu’il restait de ressources. Mais l’égoïsme ou le cynisme rendait les maîtres de la Terre insensibles ou inconscients. Pourquoi les fautes sont-elles irréversibles?… Pourquoi cette fatalité inhumaine qui conduit sans possibilité de retour à la destruction et à la mort?… Les esprits forts s’étaient moqués des récits religieux sans parvenir à leur substituer une sagesse universelle qui aurait pu protéger les humains de leurs errements. Orgueil suprême sans doute de penser que nous nous suffisions à nous-mêmes! Certes, le chemin était étroit entre les illusions religieuses, l’intolérance qu’elles suscitent, et la croyance en notre toute-puissance… Mais pourquoi les humains se sont-ils comportés si souvent au cours de l’Histoire, et d’une façon inégalée dans la dernière période, de façon aussi irrationnelle?…

Rescapés du Déluge

Nous étions si fragiles…

    Louis vient de se lancer avec virtuosité dans l’interprétation d’une sonate de Mozart. Je voudrais rester isolée à jamais dans cette bulle sonore résiduelle qui semble jeter un pont entre l’avant et l’après de l’Horreur absolue qui vient de détruire nos vies, alors que la frontière est infranchissable, alors que nous sommes dans l’impensable du plus jamais, entre désir d’oubli et déni, aux confins de la folie qui menace de nous dévorer… Que nous est-il arrivé? Est-il possible que l’esprit humain qui a été capable de cette musique nous ait conduit à l’Apocalypse?… Non, mille fois non! Nous ne sommes pas tous coupables de cette dérive qui a plongé l’Humanité dans la Nuit!… Et nous serions, nous, survivants, comme les rescapés du Déluge ? Notre Histoire aurait encore un sens après l’anéantissement de millions, de milliards d’êtres humains?… Dans le monde d’où venait Martens, il n’y avait, semble-t-il, pas de questions sans réponses, et pas de musique autre que militaire, tambours et trompettes. Mais qu’en était-il en réalité pour nous, au pays des Lumières ? Qu’avions-nous fait de notre culture, de notre aptitude à penser et à créer, de notre liberté, de notre désir de fraternité?… J’entends le chœur des victimes qui se lamentent en déplorant l’orgueil des puissants qui les ont sacrifiées sur l’autel de leur cupidité. Qu’avions-nous fait de la sagesse des Anciens? Pourquoi seul l’Hubris n’est-il pas châtié ? Pourquoi emporter les foules dans le châtiment? Pourquoi infliger ce sort si terrible à l’Humanité, capable malgré tout du meilleur?… Les humains n’ont jamais eu de réponse satisfaisante à leurs questions existentielles, mais nous avons fait comme si… Nous étions des imposteurs. Nous avons fait comme si tout cela n’avait pas, ou plus, d’importance. Comme si le monde était devenu majeur. Comme si nous étions désormais définitivement à l’abri des pires fléaux qui avaient dévasté les populations dans le passé. Comme si le progrès exponentiel des techniques nous avait soustraits au sort commun qui avait été le lot de tous depuis les origines. Pourquoi un tel aveuglement? Pourquoi avoir bâillonné les Cassandre? Pourquoi ce rapport de force si défavorable aux faibles?… Mon Dieu, j’ai envie, en me tournant vers vous, puisque plus rien n’est objectivement rationnel hormis les réactions physiques et chimiques du monde matériel, de vous déclarer coupable. Coupable de nous avoir laissés si démunis face au pouvoir de destruction des puissants rendus aveugles par leur orgueil démesuré…

Que nous est-il arrivé ?

     (Récit/fiction en cours d’écriture)

     Louis vient de se lancer avec virtuosité dans l’interprétation d’une sonate de Mozart. Je voudrais rester isolée à jamais dans cette bulle sonore résiduelle qui semble jeter un pont entre l’avant et l’après de l’Horreur absolue qui vient de détruire nos vies, alors que la frontière est infranchissable, alors que nous sommes dans l’impensable du plus jamais, entre désir d’oubli et déni, aux confins de la folie qui menace de nous dévorer… Que nous est-il arrivé? Est-il possible que l’esprit humain qui a été capable de cette musique nous ait conduit à l’Apocalypse?… Non, mille fois non! Nous ne sommes pas tous coupables de cette dérive qui a plongé l’Humanité dans la Nuit!… Et nous serions, nous, survivants, comme les rescapés du Déluge ? Notre Histoire aurait encore un sens après l’anéantissement de millions, de milliards d’êtres humains?… Dans le monde d’où venait Martin, il n’y avait, semble-t-il, pas de questions sans réponses, et pas de musique autre que militaire, tambours et trompettes. Mais qu’en était-il en réalité pour nous, au pays des Lumières ? Qu’avions-nous fait de notre culture, de notre aptitude à penser et à créer, de notre liberté, de notre désir de fraternité?… J’entends le chœur des victimes qui se lamentent en déplorant l’orgueil des puissants qui les ont sacrifiées sur l’autel de leur cupidité. Qu’avions-nous fait de la sagesse des Anciens? Pourquoi seul l’Hubris n’est-il pas châtié ? Pourquoi emporter les foules dans le châtiment? Pourquoi infliger ce sort si terrible à l’Humanité, capable malgré tout du meilleur?… Les humains n’ont jamais eu de réponse satisfaisante à leurs questions existentielles, mais nous avons fait comme si… Nous étions des imposteurs. Nous avons fait comme si tout cela n’avait pas, ou plus, d’importance. Comme si le monde était devenu majeur. Comme si nous étions désormais définitivement à l’abri des pires fléaux qui avaient dévasté les populations dans le passé. Comme si le progrès exponentiel des techniques nous avait soustraits au sort commun qui avait été le lot de tous depuis les origines. Pourquoi un tel aveuglement? Pourquoi avoir bâillonné les Cassandre? Pourquoi ce rapport de force si défavorable aux faibles?… Mon Dieu, j’ai envie, en me tournant vers vous, puisque plus rien n’est objectivement rationnel hormis les réactions physiques et chimiques du monde matériel, de vous déclarer coupable. Coupable de nous avoir laissés si démunis face au pouvoir de destruction des puissants rendus aveugles par leur orgueil démesuré…

     Il existait au sein même des pays riches des situations d’extrême pauvreté qui auraient pu aider les moins cyniques à ouvrir les yeux, mais elles ne faisaient jamais la une des journaux et restaient relativement cachées sans jamais devenir la priorité des hommes et des femmes politiques. Dans les pays émergents, une classe moyenne de plus en plus nombreuse réclamait sa part de richesse, mais sans vraiment remettre en cause les fondements d’une économie qui avait besoin, pour prospérer, d’exploiter les plus pauvres et de piller la planète. Alors que les pratiques ancestrales respectueuses des écosystèmes avaient réussi jusqu’alors à en obtenir le meilleur, la vie devenait impossible pour des millions d’êtres humains que la faim et la soif chassaient des endroits les plus arides. Des cohortes d’hommes, de femmes et d’enfants avaient commencé de migrer dès le début des années 2000 pour échapper à la famine et aux guerres que se livraient leurs pays dans le but d’accaparer ce qu’il restait de ressources. Mais l’égoïsme ou le cynisme rendait les maîtres de la Terre insensibles ou inconscients. Pourquoi les fautes sont-elles irréversibles?… Pourquoi cette fatalité inhumaine qui conduit sans possibilité de retour à la destruction et à la mort?… Les esprits forts s’étaient moqués des récits religieux sans parvenir à leur substituer une sagesse universelle qui aurait pu protéger les humains de leurs errements. Orgueil suprême sans doute de penser que nous nous suffisions à nous-mêmes! Certes, le chemin était étroit entre les illusions religieuses, l’intolérance qu’elles suscitent, et la croyance en notre toute-puissance… Mais pourquoi les humains se sont-ils comportés si souvent au cours de l’Histoire, et d’une façon inégalée dans la dernière période, de façon aussi irrationnelle?…

Histoires de briques

LA REVENANTE

Atelier d’écriture de François Bon

Mes contributions

     Dans la Table des Matières du Grand Livre de tous les livres à écrire, il y aurait:

L’Ornithologue fou
Le Musicien privé de musique
Le Vieil homme et l’usine
Le Pays des Beaujebeke
La Rivière disparue
L’Enfant et le lilas
La Nouvelle Atlantide
Les Villes englouties
La Vieille recluse
Le Jeune homme du Conservatoire
La Petite voisine
La Vespa de Bruno
La Ville bidon
Histoire de la ville utopique VUE
Gestuelle dans la ville
Murs anonymes inanimés
Les Fantômes de la ville
La Maison verticale
Le Poêle en fonte, la table et le buffet
Le Voyageur sur le quai…

     Il y aurait les titres de tous les livres qui pourraient être mis en chantier pour raconter des histoires de briques, des histoires de Lego que l’on offre aux enfants pour les inciter à construire le monde dont ils rêvent plutôt que de détruire le monde hostile fantasmé dans les jeux vidéo, de toutes petites histoires de briques qui tentent de résister aux destructions ou qui rassemblent leurs forces pour se relever et servir une deuxième fois, des histoires de maisons avec un lilas et un tas de briques dans la cour, des histoires de gamines qui rêvent devant un tas de briques tout en les nettoyant avec un burin et un marteau, des histoires de maisons dans les villes avec des gens et des objets dans les maisons, des histoires de grands-mères et de poêles en fonte, de tables et de buffets, de guerres et de géants, des histoires à dormir debout, des histoires invraisemblables ou des histoires vraies que personne n’aurait cru possibles, des histoires de catastrophes inimaginables ou improbables, des histoires imaginaires qui devraient ne jamais arriver, des histoires de murs qui s’écroulent dans des villes bombardées, des murs de maisons pulvérisées, des murs de livres broyés, des livres détruits au pilon dans les bibliothèques, des pages arrachées et des briques concassées qui se perdent pour toujours dans les entrailles de la terre ou dans les eaux tourbillonnantes des fleuves et de la mer… car les villes et les civilisations ne sont pas immortelles!..

Géographie de la mémoire

LA REVENANTE

Atelier d’écriture de François Bon

Mes contributions

     Au Nord de la ville, le Bizet, le cimetière et la Belgique, les berges de la Lys, les prés du Hem et le chemin du Pont Bayart, l’écluse, le café du Pont de la Targette et la rue des Fusillés, la rue de la Chapelle Rompue, la grille du cimetière et la frontière de la douane, la ville des morts, ses rues silencieuses et ombragées entre les tombes, le vase en grès que l’on remplit d’eau pour y déposer les fleurs cueillies dans le jardin, l’étrangeté de la langue parlée de l’autre côté de la frontière dans un café de la rue de la Mélune où l’on boit un stout après la visite rendue aux défunts de la famille, les étangs paisibles de Dikkebus et de Zillebeke, le Mémorial britannique de Ploegsteert érigé en l’honneur de onze mille soldats du Commonwealth sans sépulture tués pendant la Grande Guerre dans la zone de combat de la vallée de la Lys, le musée de Zonnebeke — cinq cent mille morts pour gagner huit kilomètres de terrain pendant la bataille de Passchendaele en 1917! –, Ypres, les champs de bataille, le gaz moutarde, les cent soixante-dix cimetières militaires, la destruction totale de la ville et sa reconstruction à l’identique après la guerre, son histoire médiévale, le beffroi de la Halle aux draps, la fête des chats… les bombardements, l’exode de la population, les récits entendus dans le cadre familial, les histoires transmises, les commémorations récurrentes effectuées au cours des promenades sur les lieux de la mémoire particulière et intime de petites gens qui ont été des acteurs de la grande Histoire, ou qui en sont les descendants…

     Au Sud, des noms à forte résonance affective, la gare et l’ancienne paroisse Saint-Roch, la rue de l’abbé Doudermy, la rue du Travail, la rue de l’Epargne et la rue de l’Avenir, premières promenades de l’enfance pour rendre visite à la famille paternelle, un arrêt parfois sur le chemin pour acheter de l’eau de Cologne à la droguerie du Rond-Point où s’arrêtent les bus avant de continuer vers le centre-ville par la rue Deceuninck, les longues rues sombres et mal éclairées en hiver du général Leclerc et du général Mangin, le quartier de La Choque à La Chapelle d’Armentières, une grotte, une maison amie dans la rue Marle, d’autres maisons accueillantes dans l’impasse de la route nationale près de la voie ferrée, et un peu plus loin, au centre du bourg, la salle de bal du café de la mairie où le père joue de la contrebasse le samedi soir, juste à côté de l’église où il dirige le concert donné par la Philharmonie le jour de la Sainte-Cécile…

     A l’Est, la ligne continue des rues ouvrières et des courées s’étend jusqu’à la commune voisine qui s’est construite, elle aussi, autour de l’industrie textile (les hautes cheminées des usines s’élançaient comme de fins donjons au-dessus des enceintes de briques à l’intérieur desquelles les prolétaires, hommes, femmes et enfants, trimaient dans des conditions proches de l’esclavage!…); les usines ont presque toutes disparu mais certains ateliers ont été reconvertis ou désaffectés avec le souci de conserver quelques traces du passé et de rares cheminées ont ainsi échappé à la destruction, témoins de la puissance dynastique des grandes familles d’industriels qui ont régné sur l’Armentiérois pendant presque deux siècles et dont il ne reste plus que des noms de rues ou de bâtiments publics: Mahieu, Dufour, Hacot, Colombier, Agache… les patronymes résonnent encore dans la mémoire des habitants de la ville et des communes alentour, d’Erquinghem à Pérenchies, sur la route de Lille… la métropole est associée aux grands-parents maternels qui vivent près du cimetière du Sud, rue de l’Arbrisseau, ainsi qu’à l’activité musicale du père, ouvrier d’usine pendant la journée, contrebassiste à l’Opéra de Lille en soirée… le point d’ancrage de la famille se situe sur un axe de quelques centaines de mètres seulement entre Houplines et Armentieres et les différents logements occupés, d’abord dans la cour Deschildre puis au numéro 46 de la rue Curie et au 33 de la rue Auguste et Michel Mahieu; l’église de l’ancienne paroisse du Sacré-Coeur dans laquelle se sont mariés les parents en 1944 et qui a sonné le glas pour leurs funérailles en 1974 et 1980 est interdite d’accès, un projet de requalification de l’ensemble du quartier prévoit de la démolir…

     A l’Ouest, le vent venu de la mer vers laquelle dégringole la plaine flamande souffle des idées de voyage et réveille l’attraction exercée par le mont Cassel, d’où sont originaires les grands-parents maternels… La famille se rend au moins une fois par an sur la côte, à Calais, Dunkerque ou Bray-Dunes, en profitant des tarifs réduits pratiqués par les chemins de fer pendant les beaux jours (souvenir de l’angoisse suscitée par la confrontation avec la monstrueuse masse d’eau remuée par les vagues!). Moins loin, le Mont Noir et le Mont des Cats offrent aussi la possibilité de goûter aux plaisirs de l’été (et au fromage de l’abbaye) en se promenant sur les chemins (découverte, plus tard, des sous-bois couverts de jacinthes). Au retour, on s’arrête parfois pour manger des frites sur la place de Bailleul en écoutant carillonner le beffroi. La petite ville fortifiée de Cassel occupe dans l’imaginaire une place à part. Les portes d’Aire, d’Ypres et de Dunkerque ouvrent à la fois sur la petite histoire familiale et la grande Histoire en donnant accès au café du Messager où est né le grand-père, place Plumer, ainsi qu’au sommet du mont choisi comme site d’état-major par le maréchal Foch pour observer les positions de l’ennemi dans la plaine… Sentiments mêlés suscités par les récits de la grand-mère venue s’installer dans la seule grande chambre de la maison quand elle n’a plus eu de logement… joie communicative de ses évocations du carnaval et des géants Reuze Papa et Reuze Maman au temps heureux de sa jeunesse (ses paroles sont émaillées de mots étranges qui semblent venus d’une langue qui lui a été familière)… une profonde tristesse semble pourtant l’habiter en permanence, accentuée par de longues périodes mutiques… ses non-dits et le silence qu’elle entretient sur la période qui suit la cassure de la Grande guerre laissent apercevoir en creux les drames de son existence, et donnent l’impression troublante d’accéder à une dimension inquiétante de la vie… prise de conscience soudaine de la place occupée par chacun-e de façon irréversible et tragique sur la trajectoire du temps…

Emeutes

(Récit en cours d’écriture)

     Les Noirs accusaient les forces de l’ordre de faire peu de cas de leur vie. Des chercheurs avaient calculé, en effet, que le risque d’être tué par un policier était deux fois plus important pour un Noir sans arme que pour un Blanc désarmé. Cette nouvelle ère de turbulences raciales avait commencé avec les émeutes de Ferguson à la suite de l’affaire Michael Brown, un jeune afro-américain de dix-huit ans non armé au moment des faits, abattu de six coups de feu par le policier blanc Darren Wilson le 9 août 2014. La veillée funèbre organisée le 10 août avait débuté pacifiquement mais une partie de la foule laissa libre cours à sa colère en s’adonnant à des pillages de magasins, à des destructions, à des provocations envers les forces de l’ordre et à des jets de projectiles. La situation dégénéra et les affrontements se multiplièrent pendant plus d’une semaine. Le 24 novembre, la décision prise par le grand jury de ne pas inculper le policier déclencha de nouvelles flambées de violence qui conduisirent à la proclamation de l’état d’urgence par le gouverneur du Missouri. Le 10 août 2015, un an après la mort de Michael Brown, la ville de Ferguson était de nouveau au bord du gouffre…

     Le piano de Louis 

     2064

 

La foule des Innocents

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     La déroute du système financier s’accompagnait, hélas, comme toujours, de la destruction de tous les pans de la vie économique… et la foule des Innocents en payait le prix le plus élevé… Les journaux qui circulaient sur le web retransmettaient en direct les scènes de désespoir des familles qui se retrouvaient du jour au lendemain à la rue, avec, comme seul abri, les tentes que des associations de bienfaisance dressaient en toute hâte pour faire face à l’urgence humanitaire… La télé-réalité inventée à la fin du vingtième siècle inondait les écrans avec les séquences de vie filmées par des citoyens américains aux abois.

     Le piano de Louis 

     2064

Mon blog

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     Le blog que je tenais dans les pages web du journal pour lequel je travaillais fonctionne encore. Depuis quelques jours, je rédige des articles sur notre vie ici. Je les poste en espérant qu’ils suscitent le miracle d’un commentaire… Pourquoi continuer ce triste monologue? Le temps qui passe nous enferme dans une solitude radicale et confirme si besoin était le degré de destruction du monde…

     Le piano de Louis 

     2064

    

 

L’aveu

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     Manifestement, la puissance étatique dont semblait se réclamer Martin connaissait un degré de développement scientifique et technologique très avancé. En attestaient les objets informatiques miniaturisés trouvés en sa possession. Les meilleures équipes d’ingénieurs américains et européens avaient uni leurs efforts pour en percer les secrets sans réussir toutefois à entrer dans le système principal qui les commandait à distance, au point de craindre l’intrusion d’un cheval de Troie dans nos propres systèmes. Pris de panique, les généraux de l’OTAN avaient exigé leur destruction. Des fuites d’information relayées par la presse et démultipliées par les réseaux sociaux étaient à l’origine de la montée soudaine de l’intérêt des populations du monde entier pour l’espion arrêté par les Français. Une espèce de psychose paranoïaque s’était alors emparée des politiques et la pression sur Jean-François était devenue extrême. Il était le fusible idéal à faire sauter en cas de problème, mais la question n’était pas là. Le FBI trépignait d’impatience et la France ne voulait pas que ses services de contre-espionnage puissent être taxés d’incompétence. Il fallait que Martin se lâche, qu’il raconte par le menu tout ce que nous désirions savoir, à n’importe quel prix… J’avais été l’instrument de la méthode douce utilisée jusqu’alors par Jean-François, jusqu’où irait-il pour obtenir des aveux?…

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

La vie devenait impossible

   

  Comment expliquer mon propre aveuglement à cette époque incroyablement révolue où les plus privilégiés d’entre nous pouvaient vivre avec insouciance? Il existait pourtant au sein même des pays riches des situations d’extrême pauvreté qui auraient pu nous aider à ouvrir les yeux, mais elles ne faisaient jamais la une des journaux et restaient relativement cachées sans jamais devenir la priorité des hommes et des femmes politiques. Les pays émergents évoluaient, sauf exception, comme les pays riches, avec une classe moyenne de plus en plus nombreuse qui réclamait sa part de richesse sans vraiment remettre en cause les fondements d’un système qui avait besoin, pour prospérer, d’exploiter les plus pauvres et de piller la planète. La vie devenait impossible pour des millions d’êtres humains qui ne trouvaient plus ni à manger ni à boire dans les endroits du monde que les conditions climatiques avaient toujours rendus difficiles et arides, mais que les pratiques ancestrales respectueuses de l’écosystème avaient pourtant presque toujours réussi, jusqu’alors, à apprivoiser. Des cohortes d’hommes, de femmes et d’enfants avaient commencé de migrer dès le début des années 2000 pour échapper à la famine et aux guerres que se livraient les populations pour tenter d’accaparer ce qu’il restait de ressources, mais les gens comme moi vivaient dans une cage dorée qui les rendait insensibles ou inconscients. J’en ai aujourd’hui terriblement honte et je voudrais pouvoir demander pardon. Pourquoi nos erreurs sont-elles irréversibles? Pourquoi la fatalité de nos comportements nous a-t-elle conduits à notre propre destruction? Les esprits forts s’étaient moqués des récits religieux sans parvenir à leur substituer une sagesse humaine universelle qui aurait pu nous protéger de nos errements. Orgueil suprême sans doute de penser que nous nous suffisions à nous-mêmes! Le chemin était étroit entre les illusions religieuses et l’intolérance qu’elles suscitent, et la croyance en notre toute-puissance. Pourquoi les humains se sont-ils comportés si souvent au cours de l’Histoire, mais d’une façon inégalée dans la dernière période, de façon aussi irrationnelle?

     Drôle d’Histoire

     2055

Caduque

Que se passe-t-il ?

Les feuilles mortes ne s’accumulent pas encore sur le sol, le soleil ne disparaît pas encore avant le soir sous l’horizon, pour un peu, nous pourrions encore croire à l’été. Que se passe-t-il ? Je me détache de ce qui n’a jamais été, je ne suis plus (l’ai-je jamais été ?) ce que je n’ai jamais vraiment été même parfois en été.

Que se passe-t-il ? Cette inflexion, cette inclinaison, cette courbure de l’esprit trop facilement suivie par des pensées obscures, envahissantes et tenaces comme du chiendent, ce serait cela, cela, la tonalité réelle de mon coeur, la musique profonde qui commande l’architecture de mon squelette ? Cela, c’est-à-dire la mort ? Non pas la mort inévitable, la mort connue dès la naissance, mais la vraie mort, l’altération, la destruction de soi-même ?