pertinence

Assignés à résidence

Nous étions si fragiles…

    Le moteur de ce pays avait été la liberté mais jamais l’égalité, alors que, sans elle, la liberté ne peut être qu’un privilège exercé abusivement par les plus forts au détriment des plus faibles. Les pauvres étaient contraints de rester sur place, ils n’avaient pas les moyens de se déplacer et de recommencer ailleurs une vie nouvelle, ils étaient assignés à résidence – le contraire de la liberté! – parce que la société américaine leur avait toujours refusé des conditions d’existence décentes. Ils avaient été pris au piège d’une spirale infernale, comment envisager une vie meilleure quand chaque dollar gagné permet seulement de survivre? Le prétendu plein-emploi atteint par les Etats-Unis et admiré par les pays de l’OCDE gangrenés par le chômage avait caché depuis la grande crise financière de 2008 une précarité de plus en plus redoutable des travailleurs pauvres, obligés de cumuler plusieurs petits boulots de nuit comme de jour pour des salaires de misère ne leur permettant même pas de louer un logement… ils vivaient dans des motels, de vieilles caravanes ou sous des tentes! C’était cette réalité-là que le reste du monde ébahi découvrait soudain sur les écrans qui transmettaient en boucle des images de Boston irradiée, commentées avec plus ou moins de pertinence par les experts que cooptaient les chaînes d’information pour meubler le flux ininterrompu de leurs reportages accablants…

Les dangers du nucléaire

Nous étions si fragiles…

    Avec l’accueil des réfugiés, la sortie du nucléaire avait été l’un des aspects les plus positifs du bilan de la chancelière, et l’attentat qui venait de se produire en France mettait soudain en lumière la pertinence de la décision qu’elle avait prise après la catastrophe de Fukushima. Les centrales françaises de Fessenheim, Chooz et Bugey, proches de leur frontière, étaient désormais perçues par l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse comme un danger potentiel auquel il fallait mettre un terme au plus vite. De même, la construction d’un centre de stockage des déchets radioactifs à Bure, en Alsace, était de plus en plus violemment contestée. Le dogmatisme de la France sur la question du nucléaire n’était plus accepté par son principal partenaire européen et allait se fissurer sous les coups de boutoir de l’opinion qui commençait à réclamer des comptes. De ce point de vue, la petite bombe atomique qui venait d’exploser au château de Versailles pouvait servir de détonateur à une remise en cause radicale et salvatrice de la politique énergétique française, en provoquant un sursaut démocratique vital dans le pays. Le pouvoir prétendait qu’il n’y avait aucun lien entre ce type d’attentat et le fonctionnement d’une centrale, comme on avait pu dire en 2011 à propos de la catastrophe de Fukushima qu’il ne s’agissait pas d’un accident nucléaire mais d’un tsunami. Ce genre de discours, alimenté par les lobbys, n’était plus accueilli avec la même candeur. Il n’y avait pas eu de catastrophe naturelle à Versailles, la zone sinistrée et vidée de ses habitants devenait brutalement inhabitable du seul fait de la radioactivité de la matière libérée au moment de l’explosion, la Novlangue devait se reprendre, reformuler, reculer. L’aspiration des gens au débat démocratique semblait retrouver de la vigueur, les consciences se réveillaient, toutes les bonnes volontés réunies pouvaient encore faire échec au monstre doux qui tentait une nouvelle fois de les anesthésier et de les neutraliser…