assurance

Le spectacle de la misère au pays d’Hollywood

Nous étions si fragiles…

    Les Etats-Unis ne s’étaient pas encore remis de la grande crise de 2029, et furent profondément déstabilisés par l’attentat de Boston. Les habitants de la ville qui en avaient les moyens se groupaient pour attaquer en justice l’Etat fédéral et, comme à Versailles en 2020, des milices se substituaient à la police pour traquer les terroristes. La perte de confiance envers les institutions comme envers les marchés se répandait plus vite que la peste. Les grands investisseurs avaient été les premiers, comme toujours, à essayer de retirer leurs avoirs au moindre mal, en déclenchant la panique des petits épargnants qui ne pouvaient pas récupérer les sommes qu’ils avaient investies. La mécanique habituelle se mettait en place, avec quelques degrés de plus dans la quantité et la monstruosité des défaillances. Les chambres de compensation n’arrivaient plus à faire le lien entre les acheteurs et les vendeurs malgré quelques mesures récentes prises au nom de la transparence, les titres de propriété devenaient de la fausse monnaie, le vin se changeait en eau, l’eau au sens propre était elle-même contaminée, les gaz de schiste et la radioactivité l’avaient empoisonnée… On assistait à des règlements de compte entre personnalités qui jouissaient jusqu’alors de positions sociales avantageuses, les suicides ou les assassinats auxquels on était habitué dans les milieux de la pègre se multipliaient dans la très haute société. Cette nouvelle déroute du système financier s’accompagnait, hélas, comme toujours, de la destruction de tous les pans de la vie économique et la foule des Innocents continuait d’en payer le prix le plus élevé… Comme en 2008 puis en 2029, avec des effets de plus en plus crescendo, les vidéos qui circulaient sur le web montraient le désespoir des familles jetées à la rue, réfugiées dans les tentes que des associations de bienfaisance dressaient en toute hâte pour faire face à l’urgence humanitaire. La télé-réalité inventée à la fin du vingtième siècle inondait les écrans de séquences de vie filmées par une multitude de citoyens américains aux abois. La fascination exercée par le spectacle de la misère au pays d’Hollywood était sans limite! Tous les rêves paraissaient s’écrouler en même temps que le rêve américain… On relisait Les Raisins de la colère, Le Bûcher des vanités, et les réseaux sociaux exhumaient des archives les vieux films que ces romans avaient inspirés… ce n’était pas possible, on n’avait quand même pas régressé à ce point-là!… Les journalistes et les intellectuels médiatiques invités sur les plateaux de télévision de grande écoute rivalisaient de mauvaise foi et de bêtise. Leurs connaissances étaient superficielles, mais ils pouvaient bavarder avec beaucoup d’assurance pendant des heures, tandis que les politiques à bout de souffle reprenaient leurs analyses simplistes pour tenter de justifier leur action et d’expliquer l’inacceptable… Le modèle économique marchéiste, ébranlé depuis le début du millénaire par plusieurs grandes crises systémiques, risquait cette fois de ne plus s’en remettre. L’éclatement des bulles spéculatives, qui se reconstituaient comme du chiendent après chaque crise, venait, selon toute vraisemblance, de lancer l’assaut final! Malgré les récents ajustements géopolitiques et la montée en puissance de la Chine et de l’Inde, la faillite des Etats-Unis entraînerait vraisemblablement le monde entier dans sa chute…

La foule des Innocents

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     La déroute du système financier s’accompagnait, hélas, comme toujours, de la destruction de tous les pans de la vie économique… et la foule des Innocents en payait le prix le plus élevé… Les journaux qui circulaient sur le web retransmettaient en direct les scènes de désespoir des familles qui se retrouvaient du jour au lendemain à la rue, avec, comme seul abri, les tentes que des associations de bienfaisance dressaient en toute hâte pour faire face à l’urgence humanitaire… La télé-réalité inventée à la fin du vingtième siècle inondait les écrans avec les séquences de vie filmées par des citoyens américains aux abois.

     Le piano de Louis 

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Je ne suis pas très sûre du chemin

Isabelle Pariente-Butterlin

 

Ta main dans la mienne.

Tu penses que je sais où on va. Je sais à peu près. Je ne sais pas si bien que tu le crois, et je préfère que tu ne le saches pas. Je ne suis pas très sûre du chemin. À droite, ou à gauche. Je sais un peu mais pas plus que ça. Parfois j’ai des intuitions mais la plupart du temps, tu sais, je vais à l’aveuglette. Il y a longtemps que je ne suis pas venue. Ça a changé depuis la dernière fois. J’appelais ça le chemin des pommes.

Ma main dans la tienne.

Je tenais la main de mon père qui me paraissait immense. Le chemin des pommes était le terme ultime des terres que je connaissais. Une frontière que je ne franchissais pas. Je me souviens de quelques bribes. Les formes complexes des arbres certainement ont impressionné photograhiquement ma mémoire mais je ne sais plus dessiner selon quelle arborescence tracée à l’encre de Chine. Après lui s’étendaient des terrae incognitae dont je rêvais parfois et qui me paraissaient si aventureuses. Les pommes avaient un goût très sûr.

Ma main dans la sienne.

Je pensais que rien ne m’arriverait et que nous viendrions toujours nous promener sur le chemin des pommes. Lui et moi. Moi et toi. Je pensais qu’il en serait toujours ainsi. Je ne voyais pas les brumes du passé monter. Si tu savais comme mon chemin est imparfait et sinueux et comme j’en suis peu sûre. Je ne sais même pas s’il mène quelque part. À droite ou à gauche. Là plutôt qu’ailleurs. Il n’y a que toi au monde pour traverser le monde de ton pas très assuré en tenant ma main depuis que j’ai lâché la sienne.

L’ai-je jamais lâchée ?

Ta main dans la mienne me ramène des brumes du passé. Ta main est très assurée. Et tes gestes très précis depuis que, de toute ta maladresse tendre, tu as saisi ma main que tu n’as pas encore lâchée. Où irai-je quand ce sera le cas ? Où irai-je, moi qui ai lâché sa main, quand tu auras lâché la mienne ?

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 14 mars 2012.