contester

Les dangers du nucléaire

Nous étions si fragiles…

    Avec l’accueil des réfugiés, la sortie du nucléaire avait été l’un des aspects les plus positifs du bilan de la chancelière, et l’attentat qui venait de se produire en France mettait soudain en lumière la pertinence de la décision qu’elle avait prise après la catastrophe de Fukushima. Les centrales françaises de Fessenheim, Chooz et Bugey, proches de leur frontière, étaient désormais perçues par l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse comme un danger potentiel auquel il fallait mettre un terme au plus vite. De même, la construction d’un centre de stockage des déchets radioactifs à Bure, en Alsace, était de plus en plus violemment contestée. Le dogmatisme de la France sur la question du nucléaire n’était plus accepté par son principal partenaire européen et allait se fissurer sous les coups de boutoir de l’opinion qui commençait à réclamer des comptes. De ce point de vue, la petite bombe atomique qui venait d’exploser au château de Versailles pouvait servir de détonateur à une remise en cause radicale et salvatrice de la politique énergétique française, en provoquant un sursaut démocratique vital dans le pays. Le pouvoir prétendait qu’il n’y avait aucun lien entre ce type d’attentat et le fonctionnement d’une centrale, comme on avait pu dire en 2011 à propos de la catastrophe de Fukushima qu’il ne s’agissait pas d’un accident nucléaire mais d’un tsunami. Ce genre de discours, alimenté par les lobbys, n’était plus accueilli avec la même candeur. Il n’y avait pas eu de catastrophe naturelle à Versailles, la zone sinistrée et vidée de ses habitants devenait brutalement inhabitable du seul fait de la radioactivité de la matière libérée au moment de l’explosion, la Novlangue devait se reprendre, reformuler, reculer. L’aspiration des gens au débat démocratique semblait retrouver de la vigueur, les consciences se réveillaient, toutes les bonnes volontés réunies pouvaient encore faire échec au monstre doux qui tentait une nouvelle fois de les anesthésier et de les neutraliser…

Un autre monde était possible

Nous étions si fragiles…

    Xavier avait été ingénieur agronome. Il aidait Sylvain dans ses expérimentations agricoles. Lui aussi, au cours de sa vie antérieure, avait milité pour un autre modèle économique et d’autres pratiques de développement, respectueuses des ressources de la planète. Ils avaient tous deux l’expérience des modes de fonctionnement autogestionnaire des petites communautés libertaires qui s’étaient développées dans le monde entier dans la foulée du mouvement des indignés, après les grands rassemblements de l’année 2012. Les démocraties, à cette époque, étaient déjà très malades. Les représentations parlementaires trahissaient en permanence l’expression de la volonté populaire, les pouvoirs intermédiaires étaient incapables d’assurer la transmission, les partis politiques étaient complètement sclérosés, les médias diffusaient un bougli-bougla insipide destiné à occuper les esprits tout en les privant de réflexion. L’époque, plus que toute autre, aimait le divertissement, qui lui était désormais offert non plus seulement sur les écrans de télévision classique, mais aussi sur toutes sortes de supports connectés, nomades et tactiles. Les professionnels de la politique usaient et abusaient des sondages et des techniques de communication pour devancer l’opinion et l’orienter dans le sens qu’ils souhaitaient. Mais les réseaux sociaux étaient nés, facebook, twitter, et ce dernier surtout permettait un échange d’informations partout et à tout moment à l’instant même où un événement se produisait, où se tenait une réunion, un rassemblement, où se faisaient les discours. L’échange était théoriquement limité (à cette époque) par l’obligation de condenser les messages en 140 caractères (pas un de plus!), mais cette contrainte était contournée par l’ajout de liens qui renvoyaient les interlocuteurs vers des sites, blogs, journaux électroniques, qui procuraient aux auteurs l’espace nécessaire pour développer leurs idées, au grand dam de la presse traditionnelle qui voyait se lever devant elle des citoyens lambda qui faisaient oeuvre de journalisme, et de l’intelligentsia admise dans les palais de la République dont la pensée à la mode était brillamment contestée par des anonymes qui faisaient preuve d’une rigueur intellectuelle dont elle n’avait plus l’habitude et qui aurait dû lui faire honte…

Une tristesse indéfinissable

     Plus Martin exaspérait Jean-François Dutour, plus je m’intéressais à lui. Nos conversations étaient surréalistes. Il ignorait ou faisait semblant d’ignorer ce que savait un enfant de l’école primaire. Sa culture historique avait les contours des récits légendaires, à des années-lumière de la science universitaire. A l’en croire, son ami Walter et lui auraient fait des découvertes surprenantes dans un pays coupé du reste du monde, où les habitants restaient confinés dans l’ignorance. Eux-mêmes auraient pu en sortir par hasard à la suite d’un concours de circonstances invraisemblables. Dans une affaire classique, l’espion suspect était assez rapidement identifié, des tractations étaient alors engagées par les Etats concernés, qui finissaient par se mettre d’accord sur un donnant-donnant plus ou moins fructueux, généralement un échange de prisonniers. Mais les recherches anthropométriques internationales n’avaient rien donné. Martin et son supposé ami Walter n’étaient connus de personne. Il n’existait aucun méfait à leur reprocher, aucun acte de bravoure à leur actif, rien qui eût fait l’objet d’une recension quelconque par un service de police ou d’espionnage. Pourtant, les passeports trouvés dans les poches ou le sac de Martin étaient de faux papiers, les pays censés les avoir délivrés avaient tous contesté leur authenticité. Comment Martin avait-il pu se retrouver en leur possession sans avoir trempé dans quelque affaire louche qui aurait dû le faire repérer ? Pourquoi en aurait-il eu besoin sinon pour échapper à des contrôles et dissimuler des activités clandestines? Sommé de s’expliquer, Martin bredouillait des histoires à dormir debout. Une sorte de roman à la fois chevaleresque et fantastique où il était question, en caricaturant à peine, d’un royaume perdu et d’un trésor à découvrir. Jean-François fulminait devant tant d’inepties, blessé dans son orgueil professionnel qu’on puisse lui tenir tête à ce point en le traitant comme le dernier des idiots. Pourtant, je voyais dans les yeux de Martin des lueurs étranges et sur son visage une tristesse indéfinissable qui semblaient manifester une réalité autre que la seule volonté de manipuler son interlocuteur.

     J’avais réussi à convaincre l’ami de mon père (pensée pour toi, pour la famille, pour Jean, pour Aline, pour tous les amis, hélas…) de me laisser gagner la confiance de Martin, et c’est ainsi que, de confidence en confidence, en recoupant les informations que j’obtenais, je me suis forgé ma propre opinion, indépendamment des présupposés des agents du contre-espionnage. Avec les éléments recueillis, je pourrais écrire un roman. Mon récit aurait l’allure d’une fiction puisque plus personne, vraisemblablement, vu la tournure catastrophique des événements, ne pourrait apporter la preuve de ce que j’avance. Ce serait le pseudo-roman d’une histoire vraie pour un lecteur improbable. J’ai besoin que tu existes, ô lecteur improbable, j’ai besoin de m’appuyer sur toi en attendant, en espérant l’impossible… retrouver un jour les miens, reconstruire ensemble notre vie, aimer de nouveau vraiment avec l’avenir devant nous, ressentir la joie ! Tu existes, je le veux et tu le dois, tu existes et tu es en possession de mon récit, parvenu jusqu’à toi comme les messages de détresse que les naufragés confiaient autrefois aux vagues de l’océan…

     Martin n’était pas un espion comme les autres, et nous aurions mieux fait de nous en rendre compte. Sa soif de savoir paraissait insatiable. Pour l’observer et essayer de comprendre les ressorts de sa personnalité, j’avais été autorisée à l’accompagner et à rester auprès de lui, sous bonne surveillance, dans l’immense salle de documentation située dans le sous-sol du bâtiment banalisé qui abritait les bureaux des services secrets. La bibliothèque électronique constituait pour Martin une réserve d’informations inépuisable dont les gardiens avaient du mal à l’arracher. Mes obligations professionnelles m’éloignaient souvent de lui, mais quand j’étais de retour, je le retrouvais presque toujours à l’identique dans la grande salle, branché sur le réseau ou feuilletant de façon compulsive les pages d’un vieil atlas ou d’un livre ancien, complètement absorbé, concentré, habité par les questions qu’il agitait manifestement dans sa tête comme autant d’énigmes, semblait-il, à résoudre. Il s’intéressait aux cartes. Il s’était longuement attardé sur celles du Groënland et de l’Alaska. Il en étudiait les données climatiques, cherchait à mesurer l’importance des modifications que ces régions du monde avaient subies depuis le commencement de la fonte des glaces, essayait, me semblait-il, de dresser une sorte d’état des lieux des apports de la science et de la technologie en fonction d’un problème donné que je ne parvenais pas à saisir. Après cette phase intense de recherches géographiques et scientifiques, je l’ai vu se passionner pour les livres d’Histoire. Des sentiments étranges et variés paraissaient le parcourir. Je pensais qu’il était impossible que Martin simule à ce point, mais Jean-François restait sceptique, persuadé que l’art de l’espionnage pouvait être porté à une perfection telle que les choses les plus invraisemblables pouvaient passer pour vraies quand l’espion était devenu un maître, un virtuose du camouflage. L’intime conviction de Jean-François était que la mission de Martin avait pour enjeu des intérêts qui la hissaient au niveau d’un secret d’Etat ; le pays commanditaire, en de telles circonstances, préférait perdre et abandonner son espion plutôt que de courir le risque d’avoir à révéler tout ou partie de ses plans en cherchant à le récupérer…

La question du nucléaire

 

     Avec l’accueil des réfugiés, la sortie du nucléaire avait été l’un des aspects les plus positifs du bilan de la chancelière, et l’attentat qui venait de se produire en France mettait soudain en lumière la pertinence de la décision qu’elle avait prise après la catastrophe de Fukushima. Les centrales françaises de Fessenheim, Chooz et Bugey, proches de leur frontière, étaient désormais perçues par l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse comme un danger potentiel auquel il fallait mettre un terme au plus vite. De même, la construction d’un centre de stockage des déchets radioactifs à Bure, en Alsace, était de plus en plus violemment contestée. Le dogmatisme de la France sur la question du nucléaire n’était plus accepté par son principal partenaire européen et allait se fissurer sous les coups de boutoir de l’opinion qui commençait à réclamer des comptes. De ce point de vue, la petite bombe atomique qui venait d’exploser au château de Versailles pouvait servir de détonateur à une remise en cause radicale et salvatrice de la politique énergétique française, en provoquant un sursaut démocratique vital dans le pays.

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

Vie antérieure

  

(fiction en cours d’écriture)

    Xavier avait été ingénieur agronome. Il aidait Sylvain dans ses expérimentations agricoles. Lui aussi, au cours de sa vie antérieure, avait milité pour un autre modèle économique et d’autres pratiques de développement, respectueuses des ressources de la planète. Ils avaient tous deux l’expérience des modes de fonctionnement autogestionnaire des petites communautés libertaires qui s’étaient développées dans le monde entier dans la foulée du mouvement des indignés, après les grands rassemblements de l’année 2012.

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

Histoires à dormir debout

  

   Plus Martin exaspérait Jean-François Dutour, plus je m’intéressais à lui. Nos conversations étaient surréalistes. Il ignorait ou faisait semblant d’ignorer ce que savait un enfant de l’école primaire. Sa culture historique avait les contours des récits légendaires, à des années-lumière de la science universitaire. A l’en croire, son ami Walter et lui auraient fait des découvertes surprenantes dans un pays coupé du reste du monde, où les habitants restaient confinés dans l’ignorance. Eux-mêmes auraient pu en sortir par hasard à la suite d’un concours de circonstances invraisemblables.  Dans une affaire classique, l’espion suspect était assez rapidement identifié, des tractations étaient alors engagées par les Etats concernés, qui finissaient par se mettre d’accord sur un donnant-donnant plus ou moins fructueux, généralement un échange de prisonniers. Mais les recherches anthropométriques internationales n’avaient rien donné. Martin et son supposé ami Walter n’étaient connus de personne. Il n’existait aucun méfait à leur reprocher, aucun acte de bravoure à leur actif, rien qui eût fait l’objet d’une recension quelconque par un service de police ou d’espionnage. Pourtant, les passeports trouvés dans les poches ou le sac de Martin étaient de faux papiers, les pays censés les avoir délivrés avaient tous contesté leur authenticité. Comment Martin avait-il pu se retrouver en leur possession sans avoir trempé dans quelque affaire louche qui aurait dû le faire repérer ? Pourquoi en aurait-il eu besoin sinon pour échapper à des contrôles et dissimuler des activités clandestines? Sommé de s’expliquer, Martin bredouillait des histoires à dormir debout. Une sorte de roman à la fois chevaleresque et fantastique où il était question, en caricaturant à peine, d’un royaume perdu et d’un trésor à découvrir. Jean-François fulminait devant tant d’inepties, blessé dans son orgueil professionnel qu’on puisse lui tenir tête à ce point en le traitant comme le dernier des idiots. Pourtant, je voyais dans les yeux de Martin des lueurs étranges et sur son visage une tristesse indéfinissable qui semblaient manifester une réalité autre que la seule volonté de manipuler son interlocuteur.

     Drôle d’Histoire

     2055