toit
Le grenier refuge
Atelier d’été Tiers Livre 2019
Abandon. De mon corps couché sur le côté droit. Mon regard ne recherche et ne fuit rien. Mon regard regarde. Il suit des lignes, des formes et des couleurs. L’espace est immense dans les limites du cadre étroit que la pose de mon corps impose à mon regard. Ici, c’est le rêve au sommet d’une maison. Mon corps est couché dans un grenier minuscule sous l’arête du toit. Mon regard va et vient le long d’une partie de la poutre brune qui soutient le toit . Elle est veinée, craquelée, solide. Mon corps immobile prend sa solidité, désire lui ressembler. Les pentes du toit ont des allures de tente. Une chute de neige m’a forcée de bivouaquer, le sommet du K2 n’est pas loin, je vais m’y propulser ou plonger dans le vide, tout à l’heure, maintenant. Je suis sous le toit du monde. Il suffit que je le pense en laissant mon regard errer à travers l’immensité contenue dans le cadre étroit de la lucarne. La poutre brune a pris l’importance d’une clé de voûte. Par la lucarne j’aperçois la nuit, je suis sous la voûte du ciel. L’une des deux parties vitrées de la lucarne a glissé dans l’encadrement de zinc. Mon corps désire conserver son immobilité de plomb. Il frissonne comme l’eau ridée d’un lac à cause du filet d’air frais qui s’infiltre par la faille de la lucarne. Des alvéoles claires tachent le plancher sombre du grenier à la base du morceau de vitre qui s’est déplacé. Une érosion a commencé…
Dépaysement
Atelier d’écriture de François Bon
La perception de la ville ne peut pas être la même pour tous les habitants mais se module en fonction du quartier et de ce qu’il représente. La rue elle-même, dans tel quartier connoté, a ses particularités propres, sa physionomie, sa personnalité. Chaque trajet ou promenade se déroule comme un voyage ou une traversée initiatique qui révèle progressivement une part des mystères de chaque lieu. A deux pas de chez nous, les petits pavillons jumeaux de la rue Lavoisier, parallèle à la nôtre, avaient des airs de petites villas avec leurs façades mitoyennes d’un seul côté, leurs toits décrochés et leurs portes d’entrée protégées par un petit hall. Aller rue Jeanne d’Arc en passant par cette rue coupée à angle droit par la rue du Fort-Malakoff faisait presque traverser un autre monde, séparé de l’église voisine par un mur au-dessus duquel bruissait le feuillage des arbres d’un jardin qui était peut-être l’Éden; emprunter ces rues était la promesse d’un dépaysement associé à un sentiment de calme et de sérénité qu’il était bon de savoir renouvelé à chaque passage… En semaine, les trajets se faisaient dans le cadre resserré du quartier tandis que les promenades du dimanche donnaient une perception plus élargie de la ville. L’hiver, on en prenait le plus souvent le pouls dans les rues commerçantes du centre, mais on allait parfois jusqu’à l’école municipale de musique, rue Nationale, en passant par la rue Sadi Carnot, qui donnait envie de continuer un peu plus loin, jusqu’à l’église Notre-Dame, dans le quartier le plus bourgeois de la ville, dont les grandes maisons austères semblaient dégager un air de quant-à-soi hostile… L’été, on allait plutôt vers les confins, à la limite de la ville ou plus loin dans la campagne selon l’endurance des marcheurs. Plus on se rapprochait de la Belgique, plus l’habitat devenait net, neuf et moderne, au bord de larges avenues. Au Sud, les noms bucoliques des villages de Fleurbaix et de Bois-Grenier ouvraient des horizons séduisants mais un peu lointains. Le Pont de Nieppe faisait traverser les faubourgs ouvriers situés à l’Ouest de la ville, tandis que vers Houplines, à l’Est, on bifurquait souvent dans la direction des étangs du Pont Ballot ou de l’Épinette, en marchant à travers champs. La ville avait de multiples facettes et de multiples entrées que les promenades réitérées rendaient familières et qu’il était agréable d’identifier comme les éléments d’un univers dans lequel on avait soi-même une place reconnue. La connaissance globale de la ville acquise sur les chemins permettait d’en mémoriser une image sans doute analogue à celle des photos de satellite diffusées aujourd’hui sur Internet. La ville, à l’époque, était déjà en expansion, mais son tissu fluide se laissait encore traverser par de larges trouées vierges d’occupation, comme s’il fallait moins de pixels pour la représenter; vue du beffroi ou d’un clocher d’église, son emprise au sol paraissait sans doute moins dense et plus circonscrite…
Mille et une façades/facettes…
Work in progress, étape 4
Work in progress
Merci
Rixilement
« C’est désormais devenu un rendez-vous important pour toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à l’écriture web. Le dernier vendredi du mois, nous nous retrouvons pour proposer, sur nos blogs respectifs, la lecture d’un auteur publiant en ligne. Depuis la création de la webasso, ce sont plus d’une centaine d’auteurs contemporains dont nous avons disséminé les textes (voir ici l’index et la Revue disséminée). »
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M’apprendras-tu ?
M’apprendras-tu à écrire la mer et le jardin, la forêt, les falaises, la pluie qui sourit, le saule qui danse au vent, l’oiseau qui chante en passant ?
M’apprendras-tu à écrire les jours heureux, lorsque le souvenir rejoindra le ciel, lorsque le sentier se perdra en nous ?
M’apprendras-tu à écrire la vie paisible de l’herbe, le baiser des étoiles, la joie des nuages ?
M’apprendras-tu à écrire la bouche qui enchante et les mains qui caressent ?
M’apprendras-tu à écrire loin des tourments quand les guerres seront finies ?
M’apprendras-tu à écrire la montagne et l’océan quand ils se rejoindront ?
M’apprendras-tu à écrire le vent qui sème et le blé qui chante ?
M’apprendras-tu à écrire la pluie du soir et la nuit de la lune ?
M’apprendras-tu à écrire la table dans le jardin ?
M’apprendras-tu à écrire dans l’à côté de toi ?
M’apprendras-tu à écrire la vie avec du ciel ?
M’apprendras-tu à écrire la vie ?
M’apprendras-tu à écrire ?
M’apprendras-tu ?
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Episode
Tu le pressentais. Tu voulais l’éviter, prendre un autre chemin, détourner le regard, courir en sens inverse. Il te faudra pourtant le regarder en face, l’affronter, dépasser le seuil de claquage, avant de pouvoir t’en détacher et comprendre ses bonnes raisons. L’orage a toujours de bonnes raisons de gronder. En toute saison, selon le cisaillement du vent, au sommet des nuages, lorsque les cristaux de glace viennent à se former. Toi, tu sens les conditions se présenter. Tu pressens les courants ascendants qui refroidissent l’air et la force des vents. Mais tu ne peux rien faire. Comme toute chose, il te faudra accueillir l’orage, accepter les rafales. Tu logeras sous une voûte sans écho. Tu penseras aux grandes plaines américaines. Tu rêveras des prairies canadiennes. Tu verras se déclencher un front comme un creux dans le baromètre. Les masses s’accumuleront. Les rivières se gonfleront des pluies engendrées. Nul ne sait la durée de l’épisode. Quand l’orage se dissipera, tu retourneras dans une zone plus fraîche. Tu retrouveras le silence. La dépression laissera des traces sur l’horizon. En toi, une marque restera. Doucement, elle creusera tes sillons, s’étendra le long d’une ligne de grain. Alors tu regagneras la cabane. Tu écouteras la petite musique de la pluie sur le toit. Et tu t’endormiras.
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Dans l’ombre des pierres
Je suis assis sur un banc, dans l’ombre de la façade. Au-delà des falaises, sous la pluie d’un bois tendre, je vois le souvenir. Je grimpe à l’arbre dans l’ombre du feuillage. J’entends la voix de la femme qui prendra corps. J’admire le fleuve en long, miroir de la vie qui danse. Je lève la tête vers les nuages entrelacés. Le ciel se rapproche, à l’orée de la ville. Je raconte aux pierres la patience. Je leur révèle la douceur des chuchotements de la nuit. Je regarde la mer au loin. Je l’entends qui gronde. Elle me demande de donner mes épaules à la femme. Je lui annonce que j’en ferai une écharpe et la lui offrirai. Je suis assis sur un banc. Dans l’ombre de mes mains, un petit oiseau aux plumes de pierre.
Ils sont l’homme et la femme dans l’ombre des pierres, dans le creux taillé pour eux, dans le regard qu’ils posent l’un sur l’autre, dans les visages qui affleurent et le baiser qu’ils ne se donnent pas. Ils sont dans les mains que les lignes dessinent, dans la jeunesse qui s’efface, dans les fêlures qui laissent des traces, dans l’indifférence des hommes qui passent. Le vent les a fatigués, dans un sempiternel jamais. Ils sont l’homme et la femme de nos façades que la pluie a délavées, ils sont les fenêtres sur les futurs incertains. Ils sont lovés dans la pierre, dans la patience infinie, dans les pleins et les déliés que les hommes ont gravés, nichés dans le cercle tracé. L’homme et la femme ne se perdront pas, ils ne prendront pas une ride, ils resteront nez à nez, ensemble, dans les vies qui défilent.
Clotilde Daubert
Dissémination du vendredi 30 octobre 2015
Accalmie
Une légère modification de l’environnement s’était produite, le tambourinement des gouttes sur les vitres de la verrière avait diminué d’intensité, la bulle sonore commençait à se fissurer, elle se craquelait, se lézardait de toutes parts, menaçait de s’effondrer, de s’affaisser sur l’enroulement, l’entrelacement, le lacis des pensées confuses et des souvenirs mêlés qu’elle avait laissés se développer et grossir en masse compacte et autonome. Elle s’était redressée et ramassée sur elle-même, ramenant les jambes contre sa poitrine, la plante des pieds appuyée sur le rebord du banc, les bras entourant ses genoux sur lesquels elle avait posé le front. Mais non, la pluie ne cessait pas. Elle avait simplement adopté un rythme moins impétueux qui laissait la place au silence entre deux notes sèches, qui rebondissaient avec moins de violence sur le toit de la verrière.








