dissémination

Rixilement

Webassociation des auteurs

     « C’est désor­mais devenu un rendez-​vous impor­tant pour toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à l’écriture web. Le der­nier ven­dredi du mois, nous nous retrou­vons pour pro­po­ser, sur nos blogs res­pec­tifs, la lec­ture d’un auteur publiant en ligne. Depuis la créa­tion de la webasso, ce sont plus d’une cen­taine d’auteurs contem­po­rains dont nous avons dis­sé­miné les textes (voir ici l’index et la Revue disséminée). »

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     Clotilde Daubert, connue sous le pseudonyme de Rixile, vit au bord de la Garonne. A étudié la musique, joué du piano, observé le silence, appris à lire, écrire et chanter aux jeunes enfants. Est formatrice d’enseignants. Chante. Dirige un chœur, puis deux chœurs. Chante et fait chanter. Accompagne l’Ensemble Baroque de Toulouse. Chante et écrit. De la musique et des mots. Dans son blog. Dit sa vie de femme. Journal et fiction se mêlent avec la joie et la tristesse. Poésie avant tout.
     Sur Twitter : @Rixilement
     Blog sur tumblr : http://rixilement.tumblr.com/
    Rixilement: les mots de Clotilde s’écoutent en silence, au seuil de l’invisible et de l’ineffable. Ils se glissent jusqu’à l’oreille et font sonner les voyelles en jouant une musique si belle que l’amertume du monde en est aussitôt adoucie. Les trois textes ci-dessous, publiés récemment, sont comme des variations musicales autour de ses thèmes de prédilection, essentiellement l’autre et la vie, toute simple, les éléments naturels en général en lien avec les vicissitudes de l’existence, la tristesse et la joie, l’immense du ciel et de l’océan…

     M’apprendras-tu ?

M’apprendras-tu à écrire la mer et le jardin, la forêt, les falaises, la pluie qui sourit, le saule qui danse au vent, l’oiseau qui chante en passant ?
M’apprendras-tu à écrire les jours heureux, lorsque le souvenir rejoindra le ciel, lorsque le sentier se perdra en nous ?
M’apprendras-tu à écrire la vie paisible de l’herbe, le baiser des étoiles, la joie des nuages ?
M’apprendras-tu à écrire la bouche qui enchante et les mains qui caressent ?
M’apprendras-tu à écrire loin des tourments quand les guerres seront finies ?
M’apprendras-tu à écrire la montagne et l’océan quand ils se rejoindront ?
M’apprendras-tu à écrire le vent qui sème et le blé qui chante ?
M’apprendras-tu à écrire la pluie du soir et la nuit de la lune ?
M’apprendras-tu à écrire la table dans le jardin ?
M’apprendras-tu à écrire dans l’à côté de toi ?
M’apprendras-tu à écrire la vie avec du ciel ?
M’apprendras-tu à écrire la vie ?
M’apprendras-tu à écrire ?
M’apprendras-tu ?

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     Episode

     Tu le pressentais. Tu voulais l’éviter, prendre un autre chemin, détourner le regard, courir en sens inverse. Il te faudra pourtant le regarder en face, l’affronter, dépasser le seuil de claquage, avant de pouvoir t’en détacher et comprendre ses bonnes raisons. L’orage a toujours de bonnes raisons de gronder. En toute saison, selon le cisaillement du vent, au sommet des nuages, lorsque les cristaux de glace viennent à se former. Toi, tu sens les conditions se présenter. Tu pressens les courants ascendants qui refroidissent l’air et la force des vents. Mais tu ne peux rien faire. Comme toute chose, il te faudra accueillir l’orage, accepter les rafales. Tu logeras sous une voûte sans écho. Tu penseras aux grandes plaines américaines. Tu rêveras des prairies canadiennes. Tu verras se déclencher un front comme un creux dans le baromètre. Les masses s’accumuleront. Les rivières se gonfleront des pluies engendrées. Nul ne sait la durée de l’épisode. Quand l’orage se dissipera, tu retourneras dans une zone plus fraîche. Tu retrouveras le silence. La dépression laissera des traces sur l’horizon. En toi, une marque restera. Doucement, elle creusera tes sillons, s’étendra le long d’une ligne de grain. Alors tu regagneras la cabane. Tu écouteras la petite musique de la pluie sur le toit. Et tu t’endormiras.

*

     Dans l’ombre des pierres

     Rixile

     Je suis assis sur un banc, dans l’ombre de la façade. Au-delà des falaises, sous la pluie d’un bois tendre, je vois le souvenir. Je grimpe à l’arbre dans l’ombre du feuillage. J’entends la voix de la femme qui prendra corps. J’admire le fleuve en long, miroir de la vie qui danse. Je lève la tête vers les nuages entrelacés. Le ciel se rapproche, à l’orée de la ville. Je raconte aux pierres la patience. Je leur révèle la douceur des chuchotements de la nuit. Je regarde la mer au loin. Je l’entends qui gronde. Elle me demande de donner mes épaules à la femme. Je lui annonce que j’en ferai une écharpe et la lui offrirai. Je suis assis sur un banc. Dans l’ombre de mes mains, un petit oiseau aux plumes de pierre.

     Ils sont l’homme et la femme dans l’ombre des pierres, dans le creux taillé pour eux, dans le regard qu’ils posent l’un sur l’autre, dans les visages qui affleurent et le baiser qu’ils ne se donnent pas. Ils sont dans les mains que les lignes dessinent, dans la jeunesse qui s’efface, dans les fêlures qui laissent des traces, dans l’indifférence des hommes qui passent. Le vent les a fatigués, dans un sempiternel jamais. Ils sont l’homme et la femme de nos façades que la pluie a délavées, ils sont les fenêtres sur les futurs incertains. Ils sont lovés dans la pierre, dans la patience infinie, dans les pleins et les déliés que les hommes ont gravés, nichés dans le cercle tracé. L’homme et la femme ne se perdront pas, ils ne prendront pas une ride, ils resteront nez à nez, ensemble, dans les vies qui défilent.

Clotilde Daubert

Dissémination du vendredi 30 octobre 2015

Le voyage à Brest

Webassociation des auteurs

     « C’est désor­mais devenu un rendez-​vous impor­tant pour toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à l’écriture web. Le der­nier ven­dredi du mois, nous nous retrou­vons pour pro­po­ser, sur nos blogs res­pec­tifs, la lec­ture d’un auteur publiant en ligne. Depuis la créa­tion de la webasso, ce sont plus d’une cen­taine d’auteurs contem­po­rains dont nous avons dis­sé­miné les textes (voir ici l’index). »

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     Nicole Peter est née à Paris de parents alsaciens. Après des études de Lettres à Strasbourg et quelques années d’enseignement, elle travaille pour le cinéma et l’audiovisuel. Elle est l’auteure de plusieurs romans, récits et courts-métrages.

     Le voyage à Brest, que Nicole Peter a publié sur son blog Passages le 21 mai dernier, nous emporte dans un flot d’images qui interfèrent avec nos propres souvenirs de voyages. Pourquoi se donner la peine de décrire un voyage? Pourquoi écrire? Le texte de Nicole Peter questionne le kaléidoscope de notre mémoire et les méandres de l’écriture, au détour desquels nous nous perdons-retrouvons, confrontés à l’oubli et à l’Absence…

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Pointe St Mathieu

LE VOYAGE A BREST

     « Écrire est l’acte le moins pessimiste qui soit.  » Georges Perros ( Papiers collés)

     Le train m’emporte vers l’Ouest. Il est à peine 7 heures et il fait encore nuit. Quelques lumières parsemées dans la nuit sur la ville.
Gare de Laval. Un épais brouillard gris s’étend sur la campagne environnante. Le soleil ne se lèvera qu’à 8h53. Nous sommes en hiver. Le train repart. Lorsque la lumière perce un peu on voit une blancheur givrée recouvrir les arbres, quelques lueurs roses dans le lointain, au-dessus d’une église, le brouillard se dissipe par endroits puis réapparait un peu plus loin.
Des villages endormis, des campagnes désertes, rien n’a encore commencé. Le monde retient son souffle, le froid pétrifie toute velléité d’action.
Rennes. Température annoncée -2° mais le soleil se montre généreusement.
Lamballe. Un paysage blanc de givre sous un ciel lumineux.
Saint-Brieuc dans le brouillard,
Guingamp sous un grand soleil,
Morlaix grand soleil,
Puis Brest sous la grisaille.
Ensuite il y aura une côte découpée, la mer, de gros rochers qui tombent dans les flots et l’écume des vagues, le gris des pierres des églises et des calvaires, un phare, des toits gris au-dessus de volets bleus, des embruns picotant le visage, une maison accueillante.
Mais tant d’autres images surgissant au détour d’une rue, à la vue d’un rocher.
Écrire un voyage, des paysages vus, des impressions, tout ce tumulte d’images restées au fond de mes yeux, emportées à la fin, et qui de temps à autre, les jours suivants ou bien plus tard viendront interférer comme des flash-backs, des réminiscences et se superposer aux autres, dans la rue, dans un magasin partout où mes pas m’emporteront, ravivées par une couleur particulière, par une ligne courbe, ou par cette sensation de vent frais sur ma peau. Elles seront là en masse prêtes à jaillir de ce carrousel étourdissant avec toutes leurs couleurs.
Alors on écrit pour retrouver de telles images, pour qu’elles ne s’évanouissent pas, à moins que ce ne soit pour empêcher que d’autres images ne viennent les recouvrir, celles qu’on ne veut plus ou pas voir, sorties directement de notre imagination ou de notre mémoire agitée et trop pleine, les images refoulées et refusées. Ce flot continu d’images venues de tous les confins de la mémoire, des bas-fonds et des coins les plus sombres et reculés de notre parcours.
Combien d’images emmagasinons-nous ainsi au fil des jours, tapissant notre mémoire, se mêlant à toutes nos expériences, nos aventures intimes pour les colorer?
Écrire un voyage est-ce décrire ce voyage, avec toutes ses anecdotes, ses péripéties, est-ce la transmission de tous les paysages vues, le kaléidoscope d’autres expériences plus anciennes?
Est-ce que ce que je vois est vrai? Ai-je atteins le vrai dans mon récit?
Qu’ai-je au juste saisi ?

     Suis-je à la recherche d’une image manquante, une image oubliée et soigneusement cachée?

Nicole Peter

Dissémination du vendredi 25 septembre 2015