vieux monde

France

Nous étions si fragiles…

    A presque soixante-dix ans, ma grand-mère France retrouvait l’énergie de sa jeunesse pour apporter sa pierre aux nouvelles générations qui cherchaient désespérément à tourner la page du vieux monde que les puissants défendaient par tous les moyens et sans états d’âme, en profitant de l’état d’urgence, pour conserver leurs privilèges exorbitants. A la mort de France, en 2036, j’avais à peine vingt ans. Quelques degrés supplémentaires avaient été franchis dans la progression conjointe de la terreur nucléaire et de la répression policière. L’avenir qui s’ouvrait devant moi semblait aux antipodes de celui que France avait pu espérer au même âge, en 1968. Je n’ai pas vraiment saisi le relais qu’elle me tendait. Mes petites forces ajoutées à celles des autres résistants n’auraient certes pas modifié le cours fatal des choses, du moins n’aurais-je pas, entre-temps, perdu ma vie en divertissements, mensonges et futilités! Je l’ai trahie sans le vouloir explicitement, par omission, paresse ou lâcheté, comme nous trahissons tous, la plupart du temps, nos aspirations les plus profondes… Ironie de la situation, c’est en fouillant dans les profondeurs gelées d’un univers mort que je prends aujourd’hui la mesure des enjeux pour lesquels s’engageaient des gens comme France. Le web a gardé dans ses entrailles les traces de leur combat. Je n’ai qu’à tendre la main pour remonter de mes explorations numériques dans les tréfonds de la Toile, entre deux pannes de courant, une mine d’informations qui m’échappaient complètement à l’époque…

Mensonges d’État

    Après les années de crise qui avaient suivi le krach financier de 2008, François Hollande avait pensé qu’il suffisait d’attendre que la croissance revienne. Mais elle ne revenait pas, elle ne pouvait pas revenir comme dans les années fastes du vingtième siècle. Le vieux monde était fini, le nouveau tardait à émerger en raison de tous les freins mis en oeuvre par les tenants du modèle ancien. François Hollande était de ceux-là, au grand dam de ses alliés écologistes, même s’il avait organisé à Paris en décembre 2015, juste après les attentats de novembre, une grande conférence internationale sur le climat, qui avait réuni 195 pays. L’affichage était grandiose, les politiques étaient passés maîtres dans l’art de la com’! Les opinions publiques étaient priées de retenir que le réchauffement ne dépasserait pas 1,5°, seuil au-delà duquel les peuples les plus exposés de la planète ne pourraient pas survivre et alimenteraient de plus belle les cohortes de réfugiés climatiques. Mais ce volontarisme apparent cachait mal les réticences des pays les plus puissants à accepter leur part de responsabilité et à financer la mise en oeuvre des mesures qui auraient pu encore à cette époque enrayer vraiment l’emballement du dérèglement climatique. La planète brûlait, on était dans l’urgence, mais les décisions importantes étaient repoussées à l’horizon 2020-2025! Comment expliquer un tel déni des réalités? Une telle incapacité à agir? On ne peut rien bâtir sur le mensonge. Les politiques étaient des imposteurs. Les mêmes qui reprochaient leurs postures démagogiques aux populistes mentaient effrontément à l’Assemblée nationale ou à la barre des accusés, mentaient aux citoyens, manipulaient les chiffres, déformaient la réalité, cachaient leurs véritables motivations qui étaient à l’opposé de leurs déclarations! Le philosophe Platon déplorait déjà dans son ouvrage La République la médiocrité intellectuelle et morale des personnages publics qui sévissaient de son temps à Athènes, et leurs travers avaient été mis en scène par le poète comique Aristophane. Rien de nouveau sous le soleil, par conséquent? Sans doute, du seul point de vue de la psychologie humaine. Mais nous n’étions plus à l’échelle minuscule d’une petite cité qui, pourtant, avait fait grandir le monde, donné aux peuples leurs lettres de noblesse, inventé la philosophie et avec elle tout ce qui aurait dû prémunir contre la bêtise! Les agissements irresponsables des dirigeants ou leurs décisions inadaptées ne mettaient désormais en péril rien de moins que la pérennité de la vie sur la Terre…

Entre deux pannes de courant

  Page sombre

     A presque soixante-dix ans, ma grand-mère France retrouvait l’énergie de ses vingt ans pour apporter sa pierre aux nouvelles générations qui cherchaient désespérément à tourner la page du vieux monde que les puissants défendaient par tous les moyens et sans états d’âme, en profitant de l’état d’urgence, pour conserver leurs privilèges exorbitants. A la mort de France, en 2033, j’avais seulement dix-sept ans. Quelques degrés supplémentaires avaient été franchis dans la progression conjointe de la terreur nucléaire et de la répression policière. L’avenir qui s’ouvrait devant moi semblait aux antipodes de celui que France avait pu espérer au même âge, en 1968. Je n’ai pas vraiment saisi le relais qu’elle me tendait. Mes petites forces ajoutées à celles des autres résistants n’auraient certes pas modifié le cours fatal des choses, du moins n’aurais-je pas, entre-temps, perdu ma vie en divertissements, mensonges et futilités! Je l’ai trahie sans le vouloir explicitement, par omission, paresse ou lâcheté, comme nous trahissons tous, la plupart du temps, nos aspirations les plus profondes… Ironie de la situation, c’est en fouillant dans les profondeurs gelées d’un univers mort que je prends aujourd’hui la mesure des enjeux pour lesquels s’engageaient des gens comme France. Le web a gardé dans ses entrailles les traces de leur combat. Je n’ai qu’à tendre la main pour remonter de mes explorations numériques dans les tréfonds de la Toile, entre deux pannes de courant, une mine d’informations qui m’échappaient complètement à l’époque…

     Ecrit depuis l’avenir

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