terreur

France

Nous étions si fragiles…

    A presque soixante-dix ans, ma grand-mère France retrouvait l’énergie de sa jeunesse pour apporter sa pierre aux nouvelles générations qui cherchaient désespérément à tourner la page du vieux monde que les puissants défendaient par tous les moyens et sans états d’âme, en profitant de l’état d’urgence, pour conserver leurs privilèges exorbitants. A la mort de France, en 2036, j’avais à peine vingt ans. Quelques degrés supplémentaires avaient été franchis dans la progression conjointe de la terreur nucléaire et de la répression policière. L’avenir qui s’ouvrait devant moi semblait aux antipodes de celui que France avait pu espérer au même âge, en 1968. Je n’ai pas vraiment saisi le relais qu’elle me tendait. Mes petites forces ajoutées à celles des autres résistants n’auraient certes pas modifié le cours fatal des choses, du moins n’aurais-je pas, entre-temps, perdu ma vie en divertissements, mensonges et futilités! Je l’ai trahie sans le vouloir explicitement, par omission, paresse ou lâcheté, comme nous trahissons tous, la plupart du temps, nos aspirations les plus profondes… Ironie de la situation, c’est en fouillant dans les profondeurs gelées d’un univers mort que je prends aujourd’hui la mesure des enjeux pour lesquels s’engageaient des gens comme France. Le web a gardé dans ses entrailles les traces de leur combat. Je n’ai qu’à tendre la main pour remonter de mes explorations numériques dans les tréfonds de la Toile, entre deux pannes de courant, une mine d’informations qui m’échappaient complètement à l’époque…

11 Septembre 2022

Nous étions si fragiles…

    L’Occident continuait de s’enliser dans les politiques stupides de leurs si médiocres dirigeants (les Américains du Nord avaient hélas raté de peu, en 2016, l’élection du démocrate Bernie Sanders…) quand, le 11 septembre 2022, se produisit le premier d’une série d’attentats terroristes nucléaires qui allaient semer la panique dans le monde entier. N’importe qui pouvait se procurer depuis longtemps sur la Toile la recette de fabrication d’une bombinette artisanale classique, alors même que les réseaux sociaux étaient de plus en plus surveillés, mais fabriquer une petite bombe nucléaire paraissait hors de portée des terroristes djihadistes, dépourvus de la logistique indispensable pour manipuler des matériaux radioactifs. Or, comme souvent depuis le début apocalyptique de ce millénaire qui, à peine commencé, retourne déjà au néant, l’impossible se produisit. Le démantèlement de l’empire soviétique, à la fin du vingtième siècle, avait livré en pâture aux Mafias et aux aventuriers du monde entier une quantité invraisemblable d’objets provenant de son ancien arsenal nucléaire, qui échappait depuis à tout contrôle. Le trafic d’armes de toutes sortes était un business très juteux et la Lybie, que les Occidentaux avaient débarrassée de son dictateur Kadhafi sans anticiper l’instabilité chaotique qui allait suivre, était devenue une plaque tournante pour les revendeurs tout en offrant à l’Etat islamique une base arrière idéale. Si le dictateur irakien Saddam Hussein avait été accusé de détenir des armes de destruction massive qui n’existaient pas, il avait bel et bien tenté de se doter de l’arme atomique et le Califat, dont la folie meurtrière ne reculait devant rien, n’avait eu aucun mal à rallier les ingénieurs spécialisés dans le nucléaire qui avaient travaillé pour lui. On était loin de la rationalité de l’époque de la Guerre froide et des théories de la dissuasion en vigueur alors! Les attentats djihadistes habituels se multipliaient partout dans le monde en accentuant à chaque fois le sentiment d’insécurité des populations, mais l’Organisation de l’état islamique voulait aller encore plus loin dans l’instauration de la terreur. Le régime obtint ce qu’il souhaitait avec l’atome. Le 11 septembre 2022 devait marquer les esprits aussi fortement que le 11septembre 2001, triste réitération de l’horreur…

Entre deux pannes de courant

  Page sombre

     A presque soixante-dix ans, ma grand-mère France retrouvait l’énergie de ses vingt ans pour apporter sa pierre aux nouvelles générations qui cherchaient désespérément à tourner la page du vieux monde que les puissants défendaient par tous les moyens et sans états d’âme, en profitant de l’état d’urgence, pour conserver leurs privilèges exorbitants. A la mort de France, en 2033, j’avais seulement dix-sept ans. Quelques degrés supplémentaires avaient été franchis dans la progression conjointe de la terreur nucléaire et de la répression policière. L’avenir qui s’ouvrait devant moi semblait aux antipodes de celui que France avait pu espérer au même âge, en 1968. Je n’ai pas vraiment saisi le relais qu’elle me tendait. Mes petites forces ajoutées à celles des autres résistants n’auraient certes pas modifié le cours fatal des choses, du moins n’aurais-je pas, entre-temps, perdu ma vie en divertissements, mensonges et futilités! Je l’ai trahie sans le vouloir explicitement, par omission, paresse ou lâcheté, comme nous trahissons tous, la plupart du temps, nos aspirations les plus profondes… Ironie de la situation, c’est en fouillant dans les profondeurs gelées d’un univers mort que je prends aujourd’hui la mesure des enjeux pour lesquels s’engageaient des gens comme France. Le web a gardé dans ses entrailles les traces de leur combat. Je n’ai qu’à tendre la main pour remonter de mes explorations numériques dans les tréfonds de la Toile, entre deux pannes de courant, une mine d’informations qui m’échappaient complètement à l’époque…

     Ecrit depuis l’avenir

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Je me souviens si bien de la légèreté de ces jours

Isabelle Pariente-Butterlin

 

Je me souviens trop de moi, enfant ; je ne sais pas toujours te répondre en adulte.

Je me souviens de ma terreur devant la porte de bois bleu gris. Il y avait les instants du trajet en voiture, à l’avant. La tartine entre les doigts jusqu’aux derniers moments. Puis il fallait bien abandonner et affronter son sort. À présent, la petite porte bleue est éternellement fermée. Elle donne latéralement sur la cour. Je la poussais sous le regard que je devinais encore sur moi de mes parents. Se retourner. Un geste de la main. Un baiser dans l’air. Puis il fallait aborder le perron, l’escalier, la rampe de fer forgée. Quand nous les redescendions le samedi, c’était avec la gloire des médailles ou des croix que nous portions. Ou l’opprobre de nos tabliers vides. Nous sortions devant la haie immense des parents.

Je me souviens trop de ma terreur pour lâcher ta main aujourd’hui.

Tu ne te pencheras pas sur tes cahiers. Tu ne t’appliqueras pas à tracer des traits à la règle. Tu n’auras pas peur du contrôle qui plane comme une menace sur ta petite tête ébouriffée. Tu n’affronteras pas la cour, la cantine, les autres. Pour une fois. Tu ne recopieras le tableau d’une main appliquée. Tu ne repousseras pas les copeaux de ton crayon. Ni ceux de ta gomme. Ce n’est pas grave.

Je me souviens si bien de la légèreté de ces jours.

Tu n’iras pas, c’est tout. Il n’y a pas d’excuse. Pas de raison non plus. Tu n’iras pas. Tu garderas ma main. J’irai travailler avec toi. Nous prendrons le bus. Nous traverserons le jardin. Je te montrerai les narcisses et les jonquilles des premiers moments du printemps. Tu n’iras pas, c’est tout. C’est comme ça. Tu n’iras pas comme moi j’aurais pu ne pas y aller. Il n’y a pas de raison. Ou peut-être les crocus sont-ils la meilleure excuse que je puisse donner. Et le soleil qui demain aura disparu.

Tu n’iras pas, c’est tout, et je te montrerai la différence entre les narcisses et les jonquilles qu’autrefois mon père m’a apprise.

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 16 mars 2012.