rivages

éphéméride.1

Impressions du jour

Texte écrit en alternance avec Isabelle Pariente-Butterlin, que je remercie

de m’avoir proposé ce nouvel échange.

     « Il y a quelque chose qui se joue dans notre échange, autour de la vérité des jours, qui ne pouvait naître que […] de la sincérité de l’écriture dans l’échange. Il nous emmène très sûrement dans l’inexploré. »

     I.P., 2 mars 2015

    

2015

31 janvier

    Une fine pellicule de neige sur le sol ce matin, neige craquante et miroitante sous un grand soleil qui la fera fondre très probablement dans quelques heures…

     La neige a fondu et le soleil a disparu à l’image de nos vies qui fondent et disparaissent.

     Sur l’écran de ma mémoire, cinéma confidentiel, projection en noir et blanc des scènes de mon existence avec leurs parts d’ombre et de lumière. Impression que ma conscience danse et scintille comme les taches de lumière qui zèbrent la pellicule des vieux films. Sensation de légèreté en regardant les flocons qui recommencent à tourbillonner, ce soir, sous la clarté de la lune.

***

1er février

     Il aurait pu neiger mais il n’a pas neigé. Il était si facile d’imaginer dans l’air froid les mouvements des flocons dans l’air froid et épais. Quand je me suis levée, tous les possibles du jour étaient ouverts en éventail, et au fur et à mesure de la journée, ils se sont resserrés, ils ont rétréci, ils sont devenus de plus en plus étroits, jusqu’à se resserrer, n’être presque plus rien, jusqu’à me laisser me retirer du jour et de son absence, pour aller retrouver les rivages du soir.

      Il n’y eut presque rien à faire, sinon les lignes à écrire, et la musique à écouter. J’oublie que je sens encore dans la pulpe de mes doigts les cordes du violon et la répétition en boucle de cette phrase de Vivaldi.

     Il n’y eut presque rien à faire, sinon pour finir, quelques phrases en Anglais et la chaleur du four qui écartait l’hiver. Ce jour, comme un autre, va-t-il s’effacer ?

***

Le vieil homme

Sur la peau de ce vieillard qui médite là-bas dans l’ombre de sa  pensée

alluvions et cailloux dans le lit de ses rides s’étalent en plages lisses ou dégringolent en tiges noueuses

le vent a soufflé le soleil a desséché la pluie a délavé ce bel arbre chenu qui tout doucement descelle ses racines

son regard clair et perdu coule entre les rivages de la vie et de la mort

étrange acteur de l’insaisissable il n’est plus que l’essence de l’homme qui a fini d’exister

il laisse à nos coeurs battants en guise de testament la géographie de son corps

 

Si tu n’existais pas

Isabelle Pariente-Butterlin

 

C’est parce que tu me manques que je reviens ici, aux bords des mondes. Je ne peux pas faire autrement.

Tu me manques presque moins quand j’installe mes phrases dans les impressions de toi, dans les images de toi. Les photos ne changent rien à l’absence. Elles sont parfois même un peu cruelles. Je ne pars pas longtemps mais tu me manques. Les impressions de toi me manquent.
Et les phrases déroulées aux bords des mondes, comme des vagues venues de l’infini, du si lointainement infini que je ne peux même pas dire où elles se sont formées, je ne peux rien dire d’elles sinon que je les ai vues se dérouler là, sur ces rivages, et que je les ai regardées faire, et ces phrases déposées aux bords des mondes, comme les ondulations horizontales que les mouvements de la mer dessinent sur le sable, dans la fluctuation calme des impressions de toi et des images de toi et des souvenirs de toi peu à peu prennent corps et soudain se saisissent dans les nuances marines de ton regard.

Ressac des impressions de toi.

Tu es la seule à planter ton regard clair dans le mien comme tu le fais. Et en retour je me plonge dans ses certitudes. Tu me donnes une force que je n’ai pas simplement parce que tu crois la trouver en moi. Et des certitudes aussi. Quelques unes. Je ne suis pas très forte en certitudes.
Elles sont des élans et des attentes confiantes. Tu crois que je sais tout faire, que je connais la réponse à toutes les questions et tu m’attribues quelques pouvoirs magiques qui ne me déplairaient pas. Il y a dans tes yeux quelque chose de limpide que j’ai du mal à comprendre. Je n’ai pas vraiment, tu sais, l’intention de le saisir. Je n’essaie même pas. Je me contente d’y revenir. Cela m’impose la pulsation du retour au regard des départs. Et la pulsation de l’affirmation au regard des doutes et de leur corrosion.

Si tu n’existais pas, je n’aurais que la dérive de mes questions pour me mener dans le monde. Si tu n’existais pas, tu me manquerais. Toi. Exactement toi.

 

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 28 mars 2012.