Nous étions si fragiles…
La Terre ne tourne plus rond, les glaciers fondent, la mer déborde, il fait trop chaud, je perds mon sang-froid STOP! Alerte rouge, ce n’est pas la guerre froide, c’est la guerre chaude STOP! une guerre comme toutes les guerres sur le sol de la Terre, mais elle se livre contre la Terre elle-même STOP! STOP! c’est une histoire de fous, à qui sera le plus fou, le plus irresponsable, le plus coupable, le plus cynique, le plus cupide, le plus égoïste, le plus inhumain, le plus froid, le plus glacial, le plus dur, le plus sourd, le plus aveugle, le plus emmuré, le plus demeuré, le plus délirant, le plus aliéné, le plus déresponsabilisé, le plus… STOP! les vigies s’époumonent, comment le dire?… STOP! la Terre est en train de mourir… écoutez le tocsin, la Terre est en feu!… STOP! STOP! STOP!… pause obligée, posture imposée, minute de silence, une pensée – montre en main – pour les naufragés… STOP! pas une seconde de plus! repartez au boulot, à vos occupations, à vos vacances, à vos loisirs, à vos soucis, à vos fins de mois, à votre quotidien difficile, à votre esprit chagrin, à vos séries télévisées, à vos jeux vidéo, à vos malheurs personnels, chacun pour soi STOP! STOP! ne pensez pas, ne pensez plus STOP! STOP! on pense pour vous, on régente votre vie STOP! STOP! on est l’oligarchie des puissants STOP! STOP! la ploutocratie à l’œuvre dans le monde STOP! STOP! le un pour cent (1%) tout puissant STOP! STOP! qui dirige la piétaille des 99% STOP! STOP! de la population mondiale STOP! STOP! la tâche est immense STOP! STOP! il y a tant de vies à (briser)protéger STOP! STOP! STOP! STOP! La guerre n’est pas la paix! STOP à la Novlangue, il faut la débrancher! STOP! STOP! STOP! STOP! Extinction – Rébellion! Heureux les marins qui, autrefois, entendaient la vigie crier Terre en vue! et voyaient se dessiner au loin la ligne d’un rivage qui les ramenait à la vie… Heureux les anciens habitants de la planète bleue, devenue si hostile aux vivants!… Heureux les touristes fortunés de l’espace, ils la voient se recouvrir de cendres…
Ce matin-là, je me prélassais au soleil sur le pont d’un voilier qui cabotait entre les îles grecques, après quelques plongeons dans l’eau fraîche et limpide d’une Méditerranée idyllique. La Grèce ne s’était jamais remise des plans d’austérité qui lui avaient été imposés par la Troïka, mais la gentillesse des habitants et la petite activité touristique qui les maintenait en vie, surtout en cette période de l’année et à l’endroit exceptionnel où je passais mes vacances, donnait l’illusion que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Il était encore possible, hic et nunc, d’oublier l’enfer vécu par les autres et de se croire au paradis terrestre! Le nouvel optimisme des milieux d’affaires s’était propagé aux populations fortunées qui renouaient avec les délices de leur vie insouciante d’avant le drame de Boston et fuyaient tout ce qui pouvait altérer le cours heureux de leur existence, rêvaient à de nouveaux horizons sans éviter l’égoïsme le plus absolu, vivaient dans une douce euphorie à côté de la misère extrême sans vouloir y jeter un oeil, écartaient avec désinvolture la menace des monstres qu’elles savaient pourtant embusqués et prêts à bondir au moment le plus inattendu. La nouvelle éclata comme un coup de tonnerre lointain, entre deux romances estivales, quand la radio de bord délivra des messages destinés aux navigateurs. J’entendis sans les comprendre l’interdiction faite à tout bateau professionnel ou de plaisance d’accoster sur les rivages bretons et normands, ainsi que l’ordre donné à tous les navires de se dérouter pour éviter ou évacuer le secteur de la Manche. Je n’avais aucune conscience claire des implications de ces quelques phrases étonnantes entendues dans la torpeur de l’été. A mille lieues de mon cadre de vie habituel, j’étais sans doute peu disposée à m’emparer d’une nouvelle aussi énorme car les mots ne parvenaient pas à franchir la barrière de mon esprit, ne s’imprimaient pas sur le journal de bord que je tenais dans ma tête…