Martens a rejoint notre humanité au moment où celle-ci allait périr… Triste fin de l’Histoire, que personne n’imaginait ainsi. Martens possédait un secret que nous emporterons avec nous dans les ténèbres. Se pourrait-il que son mystérieux pays soit resté indemne ? Les habitants de cette enclave préservée seraient les héritiers de notre Terre en ruine. Une terre dévastée, polluée, irrespirable, radioactive, devenue en lieu et place de territoires qui avaient été si riches plus sèche et plus inhospitalière qu’un désert. Qu’en feraient-ils? Redécouvriraient-ils nos bibliothèques? L’état de leurs connaissances scientifiques leur permettrait-il de reconquérir les verts paradis perdus de la planète? Démiurges, mauvais génies, nous sommes à l’origine de dégâts irréversibles, du moins pourraient-ils vivre à l’abri de scaphandres ou dans des espèces de bulles semblables à celles qui s’étaient multipliées dans les parcs de loisir, au début du millénaire, pour les citadins stressés des classes moyennes qui cherchaient à se ressourcer dans un ersatz de nature… où à ces stations orbitales expérimentales dans lesquelles restaient confinés pendant plusieurs mois des astronautes volontaires pour tester la résistance humaine et préparer de futurs voyages au long cours dans la galaxie. Les humains modernes rêvaient de coloniser l’espace, leur planète est devenue un astre mort qui accueillera peut-être d’improbables explorateurs…
galaxie
Le chemin de tous les livres
LA REVENANTE
Atelier d’écriture de François Bon
Phrases, leur déroulement continu, page après page… leur progression inexorable vers le but ultime d’un livre inconnu qui ne se referme jamais et tournoie sur lui-même comme une toupie dans l’espace infini de l’univers… l’étirement des phrases… la galaxie des phrases qui tournent sur elles-mêmes jusqu’aux confins du monde imaginaire qu’elles inventent en même temps qu’elles le découvrent et qu’elles l’explorent… la courbure des phrases… leur réception de la lumière primaire sortie du chaos après le big-bang et le reflet qu’elles renvoient!… Par la lucarne, la vue est garantie sur les toits, la lune et les nuages ou, quand la nuit est claire, sur les étoiles qui brillent comme des paillettes d’or! En se tordant le cou, on aperçoit même la Voie Lactée…
La mansarde a été aménagée à la hâte pour les enfants juste avant l’arrivée du camion de déménagement de leur grand-mère lilloise chassée de son logement après l’enterrement du grand-père, pour qu’elle puisse s’installer dans leur ancienne chambre avec son poêle en fonte, sa table et son buffet, vestiges de toute sa vie passée… La maison occupe peu de surface sur le sol et ne peut se parcourir vraiment que de haut en bas et de bas en haut — de la mansarde à une petite cour — grâce à l’escalier étroit qui relie le grenier à l’étage de la grand-mère qui a son « chez elle » juste à côté de la demi-chambre où dorment les parents, prolongé par un autre escalier un peu moins étroit qui assure la circulation entre les chambres et le rez-de-chaussée, constitué d’une petite pièce qui sert de garage à un Solex et d’une salle de séjour où ronfle agréablement en hiver une cuisinière à charbon… l’été, la fenêtre est garnie de beaux géraniums rouges entre lesquels on aperçoit la cour et un tas de vieilles briques qui permettront, une fois nettoyées, d’agrandir la maison…
Les phrases filent et courent le long des rues à la recherche du temps perdu, les phrases tentent de retrouver les images effacées, les sons évaporés, les silhouettes oubliées, les sensations enfouies dans les soubassements de souvenirs accumulés comme des objets remisés dans les greniers et dans les caves; les phrases déambulent d’un lieu à un autre en suivant les itinéraires tracés dans l’espace mental de la mémoire pour tenter de reconstituer par l’écriture les trajets autrefois vivants de personnages fantasmatiques qui évoluent depuis longtemps dans un réel disparu; les phrases forent dans la masse épaisse des souvenirs sédimentés pour essayer de dégager le fil ou le filon d’une histoire qui redonnerait de la cohérence à des perceptions éclatées venues d’un univers englouti dans les tourbillons du temps où il continue de tourner sur lui-même imperturbablement; les phrases laissent tomber comme des cailloux dans un tamis des mots qui s’assemblent pour créer des ébauches d’histoires qui ne tiennent pas debout; les phrases sèment les mots dans la nuit comme des pépites qui révèleraient le chemin de tous les livres en attente d’écriture!…
14 fois vers le même objet
Eté 2016: l’atelier d’écriture de François Bon
1
J’ai devant les yeux un objet absent imaginaire de forme rectangulaire… comme si la mémoire, comme si la ré-présentation était impossible… et pourtant, dans ce cadre rectangulaire inexistant ou abstrait ou virtuel, scintillent comme des appels d’air, des appels à l’écriture…
2
L’objet absent, ce rectangle… rectangle blanc de la tablette où s’inscrit le noir de l’écriture… mes velléités d’écriture s’inscrivent en négatif dans le cadre rectangulaire d’un objet réel, une tablette numérique, qui me renvoie le souvenir des ardoises disparues de mon enfance, dont le fond noir recevait les signes blancs que je traçais à la craie…
3
Le printemps qui revient n’est jamais le même, l’enfance révolue a disparu, les jours anciens ne reviendront pas… mon temps, le temps humain, n’est pas cyclique… sur mon ardoise imaginaire, je vois une flèche blanche… curseur du temps… comme au cinéma, j’aperçois déjà le clap de FIN…
4
Les lignes de l’écriture s’enroulent et se déroulent, s’effacent ou se gravent à l’encre virtuelle sur l’écran blanc de la tablette… tentent de se faufiler entre les fils emmêlés des lourds écheveaux de souvenirs… fragments de mémoire agglutinés dans l’épaisseur du temps… où l’étoupe étouffe les mots avant qu’ils ne parviennent à se former à la surface…
5
De tous les objets anciens que j’ai tenus entre les mains, il ne me reste donc que cette matrice… la forme idéale d’un rectangle, mère des réminiscences venues du plus lointain de mon passé… forme de mes cahiers d’écolière et de mon premier livre de lecture, des premières cartes à jouer, des premières images… forme de la toile cirée qui recouvrait la table familiale… je savais qu’elle était superposée aux plus anciennes et que leur épaisseur retenait dans ses strates la mémoire de notre histoire… plus tard, sous l’effet d’un élargissement sidérant du monde qui s’ouvrait à moi mais que je ne pouvais plus contenir dans l’espace restreint de mes mains écartées, forme de l’écran des trois cinémas de la ville où mes parents m’emmenaient parfois voir des films qui n’étaient pas de mon âge…
6
Comme au cinéma, ma tablette, cette ardoise magique, laisse apparaître ou disparaître les mots, les sons et les images… sur l’écran scintillant, je vois ou j’imagine le présent absent et le passé présent… le temps recomposé… ma vie décomposée…
7
Le monde se recréait à la pointe des plumes Sergent-Major crissant sur le papier mat des cahiers de brouillon, ou glissant sur le papier brillant des beaux cahiers du jour qui recevaient nos chefs-d’œuvre… le monde continue de s’écrire à la pointe extrême de l’instant, sous la pression de nos doigts qui tapotent désormais les touches virtuelles de claviers représentés par une image…
8
Imaginer chaque impact de nos stylos sur le papier, chaque point de contact de nos doigts sur les claviers, impulsant un rayonnement électrique qui serait à l’origine d’une formation étoilée, très loin, par-delà les galaxies visibles… penser aux pans de vie engloutis dans les trous noirs de la mémoire… entre les espaces blancs de l’écriture tournoient des univers perdus…
9
Plages, pages d’écriture… le cadre reste rectangulaire, mais, aujourd’hui, il n’existe plus de limite au bas de la page… le bord n’est qu’apparent… l’écriture s’enfonce à l’infini vers les abysses… si le fond de la piscine n’est jamais atteint, il est toutefois possible, en cliquant sur la barre qui balise l’espace vertical illimité de la page, de remonter vers les hauteurs…
10
Penchée sur la page toujours neuve, je passe le plus clair de mon temps à en scruter la surface, guettant les surgissements imprévisibles des lettres… la page est comme le lac dans lequel, enfant, j’ai failli me noyer… sa substance est trompeuse, l’appui n’est pas solide…
11
La page est un étrange objet… l’étrangeté de la page est démultipliée par la tablette numérique… légère, elle ne pèse pas dans le creux de mon corps qui l’accueille… et il est rassurant d’appuyer les doigts au repos sur les bords de son cadre… aussi plate que les ardoises de mon enfance, son format l’apparente aux fins cahiers qui ont reçu mes premiers essais d’écriture…
12
Pouvoir de l’encre sur la page blanche, quand je voyais mes premières phrases avancer sur la page comme des vagues, avec le sentiment quasi religieux d’assister à la création du monde… pouvoir démultiplié de la tablette qui ajoute à l’écriture les couleurs et les formes des images, leurs mouvements, la musique des sons et des voix…
13
La page promettait déjà l’universel et l’éternel… elle attirait vers elle en les transformant en lignes d’écriture les ficelles des marionnettes ligotées à l’intérieur de nous, et propulsait nos véritables personnes à la lumière…
14
Les lignes d’écriture se continuent aujourd’hui du même geste, augmenté des pouvoirs de la tablette… les pages virtuelles se déroulent comme un papyrus ou de vieux parchemins dans le cadre rectangulaire de l’écran numérique… le haut et le bas qui autrefois se touchaient dans le rouleau refermé se rejoignent aujourd’hui d’un seul clic sur une commande de permutation qui permet le retour instantané vers le premier ou le dernier mot, l’alpha ou l’oméga… la page virtuelle est un esquif dans l’océan du web… elle est portée par des vagues de liens connectés à l’immense du monde… sa surface est agitée par la houle de ces mêmes liens qu’elle porte autant qu’ils la portent… ma tablette interconnectée fait de moi un être de réseau… dans l’eau glissante que ses bords encadrent…
Un astre mort
Martin possédait un secret que nous emporterons avec nous dans les ténèbres. Se pourrait-il que son mystérieux pays soit resté indemne ? Les habitants de cette enclave préservée seraient les héritiers de notre Terre en ruine. Une terre dévastée, polluée, irrespirable, radioactive, devenue en lieu et place de territoires qui avaient été si riches plus sèche et plus inhospitalière qu’un désert. Qu’en feraient-ils? Redécouvriraient-ils nos bibliothèques? L’état de leurs connaissances scientifiques leur permettrait-il de reconquérir les verts paradis perdus de la planète? Démiurges, mauvais génies, nous sommes à l’origine de dégâts irréversibles, du moins pourraient-ils vivre à l’abri de scaphandres ou dans des espèces de bulles semblables à celles qui s’étaient multipliées dans les parcs de loisir, au début du millénaire, pour les citadins stressés des classes moyennes qui cherchaient à se ressourcer dans un ersatz de nature… où à ces stations orbitales expérimentales dans lesquelles restaient confinés pendant plusieurs mois des astronautes volontaires pour tester la résistance humaine et préparer de futurs voyages au long cours dans la galaxie. Les humains modernes rêvaient de coloniser l’espace, leur planète est devenue un astre mort qui accueillera peut-être d’improbables explorateurs…
Monde parallèle
Leur écharpe se déploie dans la nuit comme une galaxie
écoute les mots blancs du silence
ils scintillent comme d’invisibles étoiles
qui danseraient avec ton âme