source

Les médiocres avaient pris le pouvoir

    Les lanceurs d’alerte ne manquaient pas, mais on étouffait leurs voix. Le pouvoir ne voulait voir qu’une seule tête et n’entendre que le son de cloche de la pensée Unique, dont les préceptes avaient été érigés en mantras, répétés, martelés à l’infini dans les médias. Les citoyens lambdas qui n’avaient accès qu’aux sources habituelles de l’information étaient soumis à ce matraquage permanent, plus anesthésiant qu’abrutissant car il les coupait de leur ressenti quotidien. La réalité démentait pourtant chaque jour les propos tenus par les héraults du mensonge généralisé! Faute d’être en mesure de déconstruire la parole officielle, les gens retournaient, hélas, leur colère contre des boucs-émissaires (chômeurs, migrants…) et se laissaient embobiner par les promesses du Front national… Les médiocres avaient pris le pouvoir et traquaient impitoyablement quiconque ne jouait pas le jeu sans craindre de faire le lit de l’extrême-droite. Certes, chez nous, on ne coupait pas les têtes comme en Arabie saoudite! Le monstre totalitaire avait pris une apparence tellement inoffensive que s’en prendre à lui disqualifiait d’office, dans les démocraties occidentales, l’auteur-e de la moindre critique, qui passait, au choix, pour un-e fo(lle)u dangereu(se)x, un-e gauchiste invétéré-e, ou un-e terroriste en puissance! On ne faisait pas carrière dans l’audiovisuel si on ne rentrait pas dans le rang, et France avait perdu plusieurs fois son job avant de se résigner à travailler en free style et de collaborer à des publications issues de milieux associatifs indépendants. Cette période de sa vie professionnelle avait été la meilleure. Elle avait été une fois de plus prise au piège de l’optimisme en pensant que le nouveau monde de l’Internet, en mettant à la disposition de n’importe qui la possibilité de fabriquer de l’information, et en rendant celle-ci accessible à tous en tout lieu et à tout moment, ouvrait enfin une ère d’émancipation qui permettrait la construction intelligente d’une vie sociale équilibrée, respectueuse des gens en eux-mêmes et dans leur environnement. Le pire n’était pas certain, le meilleur paraissait possible dans un avenir proche grâce aux actions conjuguées de tous les acteurs en mesure de résister au Système grâce aux leviers fournis par la révolution numérique!… Le web redistribuait les cartes. Son fonctionnement participatif et gratuit donnait la possibilité aux invisibles d’apparaître dans le paysage monochrome édulcoré de la politique formatée, à tous les illustres inconnus d’apporter leur pierre via les débats organisés dans les réseaux sociaux…

Au commencement

Atelier d’été Tiers Livre 2019

     Fragilité du bâtonnet friable, cassable, tenu entre le pouce et l’index en prolongement des doigts, comme un crayon, un stylo ou un pinceau, pour extérioriser la pensée et le désir d’exprimer le monde, les couleurs du monde, l’éclat du monde, la beauté du monde, le premier matin du monde, les fragilités du monde, les petites constructions humaines blotties dans les interstices du monde, l’immense du monde et son mystère insondable, ses sources de lumière et ses zones obscures, la neige éternelle au sommet des montagnes, le surgissement infini des vagues de l’océan, les vastes prairies, les nuages dans le ciel, les moindres variations de la lumière reproduites par la fine poussière crayeuse des bâtonnets de pastel!… A la source de l’enfance, les premières craies du tableau noir, blanches ou de couleur, les doigts qui dessinent des formes ou tracent des lignes d’écriture en tapotant le support rigide, l’éponge qui efface, les frises de lettres tracées au crayon de bois sur les pages du premier cahier, mots initiaux, premiers pas de l’écriture, le moi se découvre agissant sur le monde en écrivant-dessinant, couple indissociable de l’écriture-dessin, magie de la phrase ou de l’image se faisant-défaisant, les mots et les couleurs re-créent le monde, émotion première de l’enfant émerveillé qui ressaisit l’adulte quand ses craies de pastel déposent leurs pigments sur le support granulé qui les accroche… Le dessin ou le texte en devenir suspendu dans le vide d’une page blanche ou d’un support monochrome se couvre peu à peu d’assemblages de mots ou de poussière colorée, un nouveau monde est en gestation, des étoiles, des planètes et des soleils prennent forme, un vent intersidéral fait valser la poussière, du chaos émerge des harmonies de sons ou de couleurs dévoilées par la danse d’un simple bâtonnet tenu entre les doigts…

Vie antérieure

Atelier d’hiver de François Bon

Mes contributions

     Trente ans!… Quelle tranche de vie!… Comment avait-elle eu connaissance de l’adresse?… Incroyable… Quel fabuleux hasard!… Mais n’était-il pas écrit qu’elles se retrouveraient?… Comment avaient-elles pu rester sans nouvelles l’une de l’autre pendant aussi longtemps?… Elles n’avaient pas changé… On aurait dit qu’elles s’étaient quittées la veille!… Tu te souviens?… Vraiment?… Oui, elle était heureuse d’être venue, d’avoir répondu à cette invitation de l’amie qui lui avait téléphoné ce jour-là à la suite d’un concours de circonstances incroyable, le frère qu’elle reconnaît dans une rue de R., leur conversation, les adresses échangées, les fils qui se renouent, les voix qui s’appellent et se répondent après trente ans de silence!… C’est l’été, la soirée est douce, on s’attarde dans le jardin en écoutant les cigales… Les deux amies sont intarissables. Ou plutôt, l’une garde le silence pendant que l’autre parle… Cette vie te plaît ?… Cette grisaille, cette monotonie sans fin, cet horizon morne qui borne ton quotidien?… Tu ne sens pas en toi une énergie créatrice qui pourrait rompre les digues?… Tu ne cherches pas à t’enfuir de ta prison, métro-boulot-dodo?… Je ne te reconnais pas… Tu n’es plus… Est-il possible de renoncer à ses désirs?… Quel gâchis !… La voix est belle, modulée, ondoyante et chaleureuse, elle atteint sa cible, elle emporte la conviction, la voix n’a pas changé… Les silences de l’amie ne sont pas moins éloquents… Curieuse amitié que cette alliance des contraires!… Quand on voyait l’une, on voyait l’autre… Différentes, mais inséparables… L’une plus spontanée que l’autre, plus gaie, plus enjouée, à l’aise en toute situation, affranchie de toute contrainte, merveilleusement libre… Les mots de l’amie sont durs, mais sans doute nécessaires, salvateurs?… On entend les notes claires d’une eau rafraîchissante qui s’écoule dans un jardin voisin… Il faudrait pouvoir remonter le temps, revenir boire à la source!… Tu ne dis rien?… Elle rit, elle élude, lève la tête vers le ciel, montre l’étoile du berger… Tu ne changeras jamais?… Tout change, rien ne change, quelle importance?… L’amie lui prend la main et la serre avec force, intensité de l’émotion ressentie hic et nunc, point d’insertion dans l’espace-temps de leurs deux poings réunis, l’instant fera date dans le calendrier des souvenirs!… Elle est venue le temps d’un week-end… Mouvement de pendule du voyage-retour, la rame du TGV l’emportera bientôt à mille lieues, au sens propre du terme, de cette séquence soustraite au continuum de l’existence… Dans quelques heures, elle sera loin, très loin, à des années-lumière de ces retrouvailles troublantes, surgies de sa vie antérieure…

Eau vive

(D’après une photo d’Isabelle Pariente-Butterlin)

pastels

Étrange allégresse

La pluie pianote à peine

tintement cristallin de la source

les larmes sont douces

lumière perlée de l’automne

derrière la vitre trois bouquets rouges

triste grisaille du jour

les couleurs rougissent en s’effaçant

 

 

 

 

Condition humaine

Bouddha compassionnel
sourire
de la Joconde énigmatique
mystérieux visages
qui nous dévisagent
miroirs de nos douleurs, de nos laideurs
oasis, source, eau vive des yeux tristes de l’artiste

statue, tableau, simulacres, joies et peines absurdes, étincelles

étoiles scintillantes dans une nuit sans nom

rêves de beauté, de bonté, révolte, cris vains de l’écrivain muet

d´horreur

aujourd´hui, à l’instant, horribles nouvelles du jour

Le Sacre du Printemps

Des ondes primordiales vibrent en moi et j’en deviens la source.