cauchemar

Âge d’or

(fiction en cours d’écriture)

     Sylvain, Xavier, Lina, Daniel, Nicolas, Julie, Jordan, Ambre, Louis, Martine, Bill, Ghali, Norman, Abigail, Mia… nous ne sommes qu’un tout petit groupe d’humains échoués ici dans ce territoire perdu, au milieu des étoiles qui continuent de briller ou de s’éteindre comme s’il ne s’était rien passé!… Nos cauchemars et nos rêves sont peuplés d’histoires enracinées dans un monde qui n’est plus le nôtre mais qui continue, lui, de nous habiter, auquel nous ne cessons de nous référer… Les questions de survie mobilisent toute notre énergie, tous nos gestes et la moindre de nos actions visent à nous réaménager un espace rudimentaire pour subvenir à nos besoins vitaux, pour avoir simplement la possibilité de boire, manger et dormir, mais nos réflexes instinctifs nous ramènent inmanquablement, comme à un âge d’or, à ce monde qui était le nôtre il y a si peu de temps encore, avant que ne bascule dans le chaos le quasi paradis dans lequel nous vivions… la vie courante semblait si facile pour les plus privilégiés d’entre nous!… les contraintes matérielles avaient été réduites au minimum, tout n’était parfois que luxe, calme et volupté

     Écrit depuis l’avenir

     2064

Sachant ce que je sais

Dix octobre 2045,

     Je me sens comme suspendu entre deux ou plusieurs mondes, ce que je pressens est terrifiant. A qui me confier? Ici, on me prend pour un vulgaire espion capable de tous les mensonges. Ma vérité est incroyable, ce que j’ai à dire ne peut pas être entendu. Il y a bien cette Elsa, qui semble bienveillante… Mais la ficelle est trop grosse. Elle est chargée de gagner ma confiance pour débusquer les failles par lesquelles les autres rêvent de m’anéantir. Leurs livres d’Histoire me font horreur. Leur lecture est un véritable cauchemar. En même temps que je découvre mon appartenance à cette Humanité, je me mets à la détester. Je ne veux pas trahir les miens, même en sachant ce que je sais maintenant. Notre imposture n’est-elle pas préférable à leur cruauté? Etrange mélange de lumière et de ténèbres, leur civilisation ne repose-t-elle pas, elle aussi, sur le déni de l’altérité? Combien de massacres et de destructions à leur actif ? J’aurais voulu les considérer comme des frères, mais je ne veux pas me regarder dans leurs miroirs. Je me sens désespéré, je ne vois pas d’issue.

     Drôle d’Histoire

     2055

Pauvres vies inutiles

     Je voudrais me réveiller, pouvoir arrêter ce cauchemar, sortir de ce mauvais scénario, rembobiner le film, tout recommencer, réinventer, réécrire, refaire le monde au sens propre, remonter le temps, changer complètement de vie, opérer d’autres choix, éviter le pire, mettre un terme au désastre, vivre ou revivre, retrouver le temps perdu avec tous les gens que j’aime, être Dieu, aimer l’humanité, la sauver ! Ô Luc et ses sarcasmes ! Mon sur-moi est fait de ses remarques situées, déjà, au temps de nos amours égoïstes, à mi-chemin entre la colère contre la bêtise dont il me croyait malheureusement atteinte et l’apitoiement sur mon état mental ! Il me reprochait en vrac ma propension pourtant timide et peu compromettante à défendre la veuve ou l’orphelin, des vélléités droits de l’homistes, une réticence à regarder la réalité en face accompagnée de la peur de nommer les choses, qu’il identifiait comme une tendance trop romantique ou trop féminine à privilégier les ornements du langage plutôt que la crudité des mots, lui qui se réclamait des philosophes cyniques de l’Antiquité, qui voulait me bousculer, me sortir de ma gangue, me libérer des faux-semblants, des conventions stériles, et surtout, je crois, d’un style qui restait trop ingénu à son goût malgré mes efforts pour le rejoindre dans une forme de cynisme moderne consistant à se moquer de tout par peur, sans doute, de céder à la moindre illusion. Mais je ne suis pas sûre qu’avoir fait table rase des bons sentiments fût une preuve de lucidité… Que faire aujourd’hui? Il est trop tard, ce type de réflexion n’a plus de sens. Nous sommes des insectes écrasés par le malheur du monde, des cafards essayant de se mettre à l’abri dans une anfractuosité de la terre pour sauver pendant quelque temps encore, un temps dérisoire, leurs pauvres vies inutiles. Nous ne sommes depuis toujours que des vers de terre voués à la pourriture, un accident de la Création, somme toute une aberration; l’Humanité est en train de s’éteindre comme jadis les Dinosaures, il n’y a pas de quoi fouetter un chat…

     Drôle d’Histoire

     2055

Nés du Mensonge

Cinq avril 2045,

     Commencer un journal est pour moi une forme de résistance… Peut-être une bouteille à la mer… Pour rien… Pour tout… Motivation semblable à celle des hommes préhistoriques qui laissaient l’empreinte de leurs mains sur les parois des cavernes, rituel profane ou sacré, je ne sais. Ecrire, même n’importe quoi, n’importe comment, n’est jamais anodin… Les mots aideront mon esprit à se structurer malgré lui… Et à résister… A toutes les formes de pression, douces, sournoises, menées d’une main de fer, dont je fais l’objet ici, dans un quartier de haute sécurité de la police française, depuis déjà plusieurs semaines… Je suis fou d’angoisse pour Walter… Ils ont pris tous mes objets personnels dont les trois photos que j’avais emportées de toi, douce Sylvia, et celle de nous deux enlacés derrière le petit arbre de vie que nous venions de planter avec l’aide de Walter, qui avait tenu à immortaliser la scène… Nous utilisions alors des mots dont nous ne connaissions pas la substance et nous accomplissions des gestes pour rire car nous étions nés du Mensonge… C’est ici, de ce côté du monde, que je l’ai compris, d’abord sans vouloir le croire, et puis brutalement, sans retour en arrière possible, hélas… Je me sens au coeur d’une affaire grave, qui me dépasse bien plus que tu ne pourrais l’imaginer. Le désir obscur qui nous avait poussés à quitter clandestinement le territoire de l’Etat, Walter et moi, comme si nous avions des ailes et en riant comme des enfants, est devenu un cauchemar dans lequel je m’enfonce non sans me débattre, mais le pire est peut-être à venir … Je veux apprendre de ton souvenir, Sylvia, la patience ou l’oubli de tout en attendant de te revoir un jour, je l’espère de toutes mes forces, car il faudra bien que cette folle histoire trouve son dénouement?… Une impression étrange progresse ou descend en moi comme ce rai de lumière à travers le vasistas aménagé en haut de ma cellule, à la limite du plafond, comme si rien d’autre n’avait d’importance, et que toute mon aptitude à aimer se laissait concentrer dans le cadre de cette petite ouverture qui laisse passer un rayon de soleil où valsent quelques grains de poussière…

     Drôle d’Histoire

     2055

Litanie

rien
qu’une brise légère
qu’une fleur éclose
que le vol d’un papillon
qu’une abeille qui butine
que le bourdonnement de l’été
que la fraîcheur de l’ombre
que la chaleur du soleil
que le gazouillis d’un oiseau
que le tam-tam lointain de l’orage
que trois gouttes de pluie
que le vent qui se lève
puis se rendort
rien qui ne presse
qui ne pèse
qui ne fâche
qui n’importe
qui ne vaille la peine
que l’on coure
que l’on souffre
que l’on affronte le monde
que l’on meure
rien
que ton sourire
que ton bonheur
que tes rêves
que tes espoirs
que ta dignité
que ton espérance
que la joie qui serait tienne si tout
ce qui t’a poussé sur les routes
ce qui t’a fait traverser les mers
la guerre
la faim
la misère
l’intolérance
la torture
les persécutions
n’était plus qu’un cauchemar à jamais révolu
car auprès de nous toi le Migrant
tu aurais trouvé des frères
et ce que tout être humain recherche

la paix et la sérénité

Sollicitude

Le train était vide et sans conducteur

long

sinueux comme un serpent

la tête chercheuse

la brume amortissait ses sifflements préhistoriques

comme pour absorber la mort

ou enfouir la peur

vers le visage d’un voyageur assis en face

ma main, timide

esquissa un geste

comme pour essuyer son cauchemar