aide

Quand les élites prennent peur

Nous étions si fragiles…

    La grande crise de 2029, survenue pendant le quinquennat de Laurent Wauquiez, avait réitéré le scénario du film de 2007-2008 mais dans des proportions et à une échelle inégalées, le pays affaibli par cinquante ans de politiques marchéistes n’ayant plus les leviers qui lui auraient permis d’en atténuer les conséquences. Le chômage avait crevé tous les plafonds et touchait au moins un quart de la population, bien que le gouvernement déployât des trésors d’inventivité statistique pour comprimer les chiffres et tenter de dissimuler au moins en partie la triste réalité… En dépit du fichage et de la répression, des rassemblements de chômeurs et de travailleurs précarisés continuaient d’avoir lieu en province et à Paris, et de bons esprits voulurent endiguer la menace que faisaient peser sur la République ces hordes de sauvages! C’est ainsi que fut votée la loi du 10 février 2031 qui frappa d’interdiction toute manifestation dans le centre des villes, suivie dans la foulée par une loi qui faisait écho à la poor law anglaise votée en 1834 pour supprimer les aides aux indigents et instituer les workhouses, des « Maisons du Travail » qui étaient de fait des établissements pénitentiaires dans lesquels étaient enfermés les pauvres de façon à ce qu’ils restent invisibles de la bonne société… La peur des élites devant la colère d’une partie de plus en plus importante de la population déterminée à défendre son aspiration à mieux vivre les poussa au comble du cynisme! Les député-e-s arguèrent d’un droit à la seconde chance pour justifier la création de centres de relégation à la périphérie des villes qu’ils baptisèrent Maisons Neuves dans de nobles discours et de grandes envolées lyriques, vantant le Nouveau Départ qu’elles étaient censées offrir aux « accidentés de la vie », mais ils n’abusaient que ceux et celles qui n’avaient pas à souffrir de leur statut dans la société, et qui ne souhaitaient pas regarder en face l’exclusion de leurs concitoyens… L’État ne cessait de clamer que les caisses étaient vides, il trouva pourtant les moyens de financer en un temps record la construction de plusieurs milliers de ces nouveaux centres de rétention destinés aux citoyens français indigents, qu’il déclara d’utilité publique sous couvert de solidarité nationale envers les plus pauvres… La Novlangue continuait avec succès son entreprise de perversion du langage courant, commencée une cinquantaine d’années auparavant avec la reprise en main de la politique par les milieux d’affaires, qui n’avaient eu de cesse de s’attaquer aux principes égalitaires de la République française. Celle-ci était moribonde, sa devise toujours affichée au fronton des mairies ou des écoles y était inscrite en lettres mortes…

Déambulation dans les allées du passé

LA REVENANTE

Récit écrit au cours de l’été 2018

pour l’atelier d’écriture de François Bon sur Le Tiers Livre (suite)

     À vol d’oiseau, l’usine était située à quelques centaines de mètres seulement du centre-ville. Elle avait été remplacée par un supermarché. Deux ou trois SDF — on ne dit plus des clochards — étaient postés près des caddies emboîtés les uns dans les autres et proposaient leur aide pour en décrocher un. Il y avait du monde, mais ce n’était pas la foule des hypercentres commerciaux. Un haut-parleur faisait de la réclame pour des promotions et diffusait une musique sans doute formatée pour plaire à la majorité des client-e-s. Déambuler dans les allées n’était pas désagréable, mais devenait vite ennuyeux… Le vieil homme avait les yeux rêveurs et l’air un peu triste, semblait ici et ailleurs, prenait un produit dans un rayon et le remettait en place, recommençait le même manège avec un autre produit, faisait semblant de s’intéresser aux étiquettes, s’arrêtait de marcher sans raison, remuait les lèvres comme s’il parlait en silence, regardait vers le faux plafond, clignait des yeux en toussotant, prenait un mouchoir pour essuyer son visage, parcourait les allées plusieurs fois de suite comme s’il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait, partait enfin vers la caisse avec un paquet de pâtes ou un paquet de café, jetait encore un regard en arrière, saluait parfois quelqu’un de la main, le plus souvent un vieil homme comme lui, ses yeux s’embuaient, il ne voyait pas bien les pièces de son porte-monnaie (il lui en avait toujours manqué quelques-unes à cause des quelques centimes d’augmentation de son salaire horaire toujours refusés par le patron qui ne se trouvait jamais assez riche… il aurait tellement aimé que la famille ne manque de rien!), il revoyait défiler sa vie de travail (toutes ces années pendant lesquelles ses rêves s’étaient effilochés…), et ne pouvait s’empêcher, à chaque fois qu’il faisait les courses dans le supermarché, de visualiser l’ancien état des lieux — ses métiers à tisser entre les surgelés et les produits laitiers, le bureau du contremaître dix mètres plus loin à la place des fruits et légumes, la grille par laquelle arrivaient les nuages de vapeur pour humidifier le fil, fixée au-dessus des articles de vaisselle… — et d’entendre comme autrefois dans ce qui avait été son atelier le bruit assourdissant des fouets qui relançaient les navettes, resté gravé dans sa mémoire comme sur le sillon d’un disque qui tournerait sans jamais s’arrêter…

La République en Marche arrière

Liste des reculs

2017

Juin/Juillet

Pouvoir :

  • Mise en place d’un mode de gouvernance monarchique avec un Président qui a les pleins pouvoirs et une majorité passive à l’Assemblée Nationale; convocation du Congrès de Versailles où seule compte la parole du Président…

Ecologie :

  • Abandon par l’Europe, à la demande de la France, de la Taxe sur les Transactions Financières, qui devait financer la lutte contre le réchauffement climatique.
  • Aval de la France pour un texte européen peu contraignant sur les perturbateurs endocriniens, en recul par rapport au projet qu’elle soutenait antérieurement.

Droits humains :

  • Réduction de l’aide au développement (climato-compatible…) des pays pauvres, alors que le PR se dit conscient (?!) que la lutte contre le terrorisme se joue aussi sur ce front!…
  • Distributions d’eau et de nourriture aux migrants interdites!!!

Retraités et fonctionnaires :

  • Gel du point d’indice des fonctionnaires et rétablissement du jour de carence (que les grandes entreprises ne pratiquent pas) en cas d’arrêt maladie.
  • Augmentation de 1,7% de la CSG accompagnée d’une baisse de 3,5% des cotisations salariales dans le secteur privé (le gain de pouvoir d’achat est d’autant plus important que le salaire est élevé!), mais sans compensation pour les fonctionnaires et les retraités, dont les revenus diminuent de facto.

Fiscalité :

  • Cantonnement de l’ISF aux seuls biens immobiliers (coût pour l’Etat: 4 milliards, mais gain de 2 milliards pour les 3000 ménages français les plus riches!).
  • Instauration d’un Prélèvement Forfaitaire Unique de 30% sur les valeurs mobilières (coût pour l’Etat: 3 milliards, mais gain de 1,3 milliard pour les 3000 ménages français les plus riches!).

Travail :

  • Novlangue: le « compte pénibilité » est rebaptisé compte de prévention mais se voit privé de 4 de ses piliers (contact avec les produits chimiques, charges lourdes, postures pénibles, vibrations…) et le départ en retraite anticipé ne sera possible qu’en cas de maladie professionnelle déclarée…

A suivre