zone

L’injustice environnementale

Nous étions si fragiles…

    Le scandale de l’eau empoisonnée de Flint était un cas flagrant d’injustice environnementale. L’accès à un air respirable, à une eau potable ou à des aires de jeu sûres pour les enfants, était un droit que les groupes sociaux favorisés, aux Etats-Unis, tenaient pour acquis, mais pour les citoyens les plus pauvres et issus des minorités, il n’y avait pas d’accès assuré aux parcs, à l’éclairage public ou à l’eau potable, pas plus que de droit au logement! Il n’y avait pas d’impartialité pour les citoyens pauvres. Et quand les habitants de Flint s’étaient plaints de cette eau impure qui sortait de leurs robinets, on avait pensé qu’après tout, ce n’était pas grand-chose et qu’ils pouvaient bien s’en accommoder… Cette attitude conduisait à faire des quartiers où vivaient les populations défavorisées de véritables zones environnementales sacrifiées dans lesquelles étaient concentrées les installations polluantes. Comme les habitants y supportaient déjà les usines et les incinérateurs, un peu plus de pollution ne semblait sans doute pas devoir faire une grande différence aux yeux des décideurs, à la fois juges et partie puisqu’eux-mêmes habitaient dans des quartiers favorisés peuplés de familles qui n’hésitaient pas à mobiliser une armée d’avocats et d’experts à la moindre tentative d’implantation chez eux d’une infrastructure ou d’un équipement entraînant un quelconque désagrément…

Panique

Nous étions si fragiles…

    Les premières déclarations des Autorités s’étaient voulues rassurantes mais, en réalité, aucun plan de secours ne semblait avoir été prévu, malgré la centaine d’attentats nucléaires déjà commis dans le monde. Les pompiers n’étaient pas équipés pour ce type de catastrophe et les hôpitaux non plus! Des soldats patrouillaient avec de drôles de scaphandres qui auraient pu figurer dans des films du siècle dernier, l’armée fédérale appelée en renfort mettait en application des protocoles qui dataient de la guerre froide! Les gens ne comprenaient pas ce qui leur arrivait et le désarroi des professionnels du secours aggravait leur angoisse. La police avait du mal à canaliser les scènes de panique. Tous ceux qui le pouvaient partaient à l’autre bout du pays, vers le sud ou vers l’ouest. Pour les autres, il fallait mettre sur pied des campements de fortune et les approvisionner en eau et en nourriture. Une amie américaine journaliste m’envoyait quotidiennement une copie de ses articles avec des photos qui montraient des situations de détresse incroyables que personne n’aurait imaginé possibles en Occident en plein vingt-et-unième siècle! Il y avait bien une certaine mixité sociale à l’œuvre dans le South End, mais les conséquences de l’attentat nucléaire de Boston dévoilaient le gouffre qui séparait les composantes aisées de la population de ses fractions les plus pauvres, jeunes au chômage, gays, femmes seules avec enfants, minorités ethniques. Les plus riches avaient quitté au plus vite les zones contaminées, tandis que les plus pauvres s’entassaient dans les camps dressés à la hâte. Les hommes, les femmes et les enfants que photographiaient ou filmaient les reporters accourus des quatre coins de la planète sur les lieux du drame avaient le plus souvent la peau noire ou basanée! Le vrai visage des Etats-Unis ainsi révélé ne correspondait pas aux belles images hollywoodiennes que continuait de véhiculer, bon an mal an, le mythe d’une Amérique unie et prospère offrant sa chance à quiconque voulait la saisir…

Impuissance des pouvoirs publics

Nous étions si fragiles…

    Ce premier attentat nucléaire survenu à Versailles, qui se situait pourtant dans une certaine logique des choses et qui n’avait rien d’absolument imprévisible, prenait tout le monde de court. Le plan de secours d’urgence local ne comportait aucune des mesures prévues dans les zones confrontées au risque radioactif en cas d’accident dans une centrale. Les premières réactions des pouvoirs publics furent beaucoup trop lentes. Chaque décision prise l’était avec un temps de retard. La consigne de rester confiné dans les logements ne fut donnée que bien après l’explosion. De même, comme il n’y avait pas de stock de pastilles d’iode sur place, leur distribution n’avait pas été immédiate, et ce décalage avait exacerbé l’angoisse de la population. Les habitants étant d’origine sociale plus privilégiée que dans d’autres communes de la région parisienne, une armée d’avocats s’était très vite levée pour dénoncer les carences de l’État et le déclarer à l’avance responsable des maladies qui seraient déclenchées par l’exposition à la radioactivité, ou des pertes financières que ne manqueraient pas de subir les propriétaires des biens immobiliers vidés de leurs occupants dans les secteurs sinistrés ou délaissés et dépréciés parce que trop proches de la zone finalement évacuée dans un cercle de trois kilomètres autour du château. Mais pourquoi trois kilomètres plutôt que deux, quatre, ou cinq?! Les enjeux financiers liés à l’indemnisation des victimes étaient considérables, de longues batailles juridiques allaient commencer…

Le fou et l’Apocalypse

Atelier d’écriture de François Bon

Mes contributions

     À l’Ouest, plus aucun train ne transite par Calais et l’écheveau de rails qui s’étirent inutilement derrière la gare d’Eurotunnel forme une sorte de queue de comète étrange collée à l’agglomération sans vie. Les ports retiennent les chalutiers et semblent implorer le ciel en dressant vers lui les bras de leurs grues immobiles. Les longues plages de sable fin sont désertées, on se demande s’il sera possible un jour de les décontaminer… Les villes sont abandonnées, aucun véhicule ne circule sur les routes qui ne desservent plus que des cadavres d’entreprises mortes brutalement en pleine activité… Les moules de Boulogne ne sont plus cueillies et les champs où poussait le blé, l’orge ou le houblon ne se couvrent plus de récoltes… Tous les habitants de Cassel ont fini par quitter leur cité, la mort dans l’âme, à l’exception d’un homme d’une cinquantaine d’années qui a depuis longtemps la réputation d’être fou; il passe ses journées à se promener sur les chemins de campagne en écoutant les oiseaux inconscients de la catastrophe et en observant les escargots indifférents à la fébrilité humaine, il prétend répertorier les espèces ou les variétés qui n’ont pas encore disparu du paysage… on s’approche parfois de lui en hélicoptère, il fait alors un grand salut de la main!… Des images d’Apocalypse prises pendant les survols du littoral et de l’arrière-pays sont diffusées en permanence sur les écrans du monde entier. Un grand débat divise les gens et déchaîne les passions au-delà des frontières. Faut-il sauver à tout prix les zones sinistrées?… Avant la catastrophe de Gravelines, la question se posait déjà de définir un montant de dépenses acceptable pour protéger les territoires côtiers de la montée du niveau de la mer… Le pôle économique de Dunkerque était un sujet de préoccupation majeur des plans de lutte contre les conséquences de la fonte des glaciers provoquée par le réchauffement climatique, et de la dilatation thermique des eaux qui gonflent inexorablement les océans depuis les débuts de l’Anthropocène, en les faisant déborder sur les continents. Les wateringues ont permis pendant longtemps de vivre au-dessous du niveau de la mer, mais ne suffisent plus à évacuer les flux toujours plus volumineux qui menacent d’inonder les terres. Il faudrait un nouveau système de pompage et de digues comme aux Pays-Bas, eux-mêmes obligés de renforcer leurs protections pour résister le plus longtemps possible à la montée des eaux. Le coût de ces investissements est considérable, et les autorités administratives du Nord de la France, qui ne s’estiment pas capables de les financer à elles seules, demandaient en vain jusqu’alors à l’Etat d’en faire une priorité nationale… Deux écoles s’affrontent. Les partisans d’un sauvetage inconditionnel de la zone sinistrée, et les tenants d’un réalisme financier qui met en balance les coûts d’une remise à niveau des wateringues ajoutés à ceux de la décontamination — qui ne peut être que longue et difficile — avec le bénéfice escompté qui, dans le meilleur des cas, ne serait tangible qu’au bout de plusieurs dizaines d’années… Les réalistes essaient de convaincre leurs adversaires de l’absurdité qu’il y aurait à décontaminer un territoire qui finirait tôt ou tard par être inondé, ou à renforcer des infrastructures destinées à protéger de la montée des eaux des zones qu’il serait vraisemblablement impossible de décontaminer complètement… Les populations des autres régions du monde menacées de submersion marine assistent avec effarement au bras de fer qui oppose les uns et les autres, à la résignation si rapide du camp des réalistes qui acceptent facilement l’idée qu’un bassin d’habitat soit rayé de la carte en laissant les eaux l’engloutir… L’ONU propose son arbitrage, le gouvernement Français refuse toute ingérence dans la gestion de ses problèmes intérieurs, la population des Hauts de France réclame un référendum…

Selon que vous serez riche ou pauvre…

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     Le scandale de l’eau empoisonnée de Flint était un cas flagrant d’injustice environnementale. L’accès à un air respirable, à une eau potable ou à des aires de jeu sûres pour les enfants, était un droit que les groupes sociaux favorisés, aux Etats-Unis, tenaient pour acquis, mais pour les citoyens les plus pauvres et issus des minorités, il n’y avait pas d’accès assuré aux parcs, à l’éclairage public ou à l’eau potable, pas plus que de droit au logement! Il n’y avait pas d’impartialité pour les citoyens pauvres. Et quand les habitants de Flint s’étaient plaints de cette eau impure qui sortait de leurs robinets, on avait pensé qu’après tout, ce n’était pas grand-chose et qu’ils pouvaient bien s’en accommoder… Cette attitude conduisait à faire des quartiers où vivaient les populations défavorisées de véritables zones environnementales sacrifiées dans lesquelles étaient concentrées les installations polluantes. Comme les habitants y supportaient déjà les usines et les incinérateurs, un peu plus de pollution ne semblait sans doute pas devoir faire une grande différence aux yeux des décideurs, à la fois juges et partie puisqu’eux-mêmes habitaient dans des quartiers favorisés peuplés de familles qui n’hésitaient pas à mobiliser une armée d’avocats et d’experts à la moindre tentative d’implantation chez eux d’une infrastructure ou d’un équipement entraînant un quelconque désagrément!…

     Le piano de Louis 

     2064

Les consciences se réveillaient

     Le pouvoir prétendait qu’il n’y avait aucun lien entre ce type d’attentat et le fonctionnement d’une centrale, comme on avait pu dire en 2011 à propos de la catastrophe de Fukushima qu’il ne s’agissait pas d’un accident nucléaire mais d’un tsunami. Ce genre de discours, alimenté par les lobbys, n’était plus accueilli avec la même candeur. Il n’y avait pas eu de catastrophe naturelle à Versailles, la zone sinistrée et vidée de ses habitants disparaissait brutalement de la carte du seul fait de la radioactivité de la matière libérée au moment de l’explosion, le novlangue devait se reprendre, reformuler, reculer. L’aspiration des gens au débat démocratique semblait retrouver de la vigueur, les consciences se réveillaient, toutes les bonnes volontés réunies pouvaient encore faire échec au monstre doux qui tentait une nouvelle fois de les anesthésier et de les neutraliser.

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

Sombre période

     La France s’enfonçait à son tour dans une sorte d’obscurantisme qui recouvrait peu à peu l’ensemble du monde. Des guerres de Cent ans continuaient de nourrir les rancœurs et de diffuser leurs poisons au Moyen-Orient, en Asie, sur tous les continents. Le conflit israélo-palestinien venait de connaître une nouvelle escalade, l’Iran et l’Arabie saoudite rivalisaient à couteaux tirés pour imposer leur hégémonie sur leur zone d’influence commune, la Chine et le Japon se disputaient de plus en plus âprement la propriété des eaux territoriales des îles Senkaku-Diaoyu, les Etats-Unis * d’Hillary Clinton continuaient de ne pas vouloir reconnaître l’annexion en 2014 de la Crimée par la Russie, et celle-ci, malgré son tropisme européen, se laissait tenter de plus en plus ouvertement par un rapprochement avec la Chine. Le monde basculait de nouveau et plus que jamais dans la méfiance, la peur et la haine de l’autre. Le mur de Berlin tombé en 1989 réapparaissait partout comme si ce qu’il avait pu représenter n’avait pas été coupé à la racine et que des ramifications s’étaient déployées en silence dans le sol sans que personne n’y prenne garde, dans l’aveuglement général d’une époque béate qui avait réinventé, pour emprisonner les gens, un novlangue non moins pernicieux que les anciennes idéologies du vingtième siècle.

     * Voir l’Avertissement en préambule à ce récit.

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

Sidération

     La population était sidérée. Tout ce qui concernait le nucléaire avait été enfoui dans l’inconscient collectif. Cet attentat qui se situait pourtant dans une certaine logique des choses et qui n’avait rien d’absolument imprévisible prenait tout le monde de court. Dans le cadre du plan Orsec, rien n’avait été prévu dans un tel cas de figure à Versailles!… Les premières réactions des pouvoirs publics furent lentes, trop lentes. Le cafouillage des premières heures détruisit le peu de confiance qui existait encore envers le gouvernement. On décida de distribuer aux gens des pastilles d’iode mais il n’y en avait pas sur place. Chaque mesure prise l’était avec un temps de retard et l’angoisse de la population exposée grandissait. Ainsi du confinement dans les maisons ou appartements, puis de l’évacuation d’une zone de trois kilomètres (pourquoi trois plutôt que deux ou quatre ou cinq?…) autour du château! Les habitants étant d’origine sociale plus privilégiée que dans d’autres secteurs de la région parisienne, une armée d’avocats se leva très vite pour dénoncer les carences de l’État et le déclarer à l’avance responsable des maladies qui seraient déclenchées par l’exposition à la radioactivité, ainsi que des pertes financières que ne manqueraient pas de subir les propriétaires de biens immobiliers, définitivement vidés de leurs occupants ou délaissés et dépréciés parce que trop proches de la zone évacuée…

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

La toxicité diabolique du plutonium

 
le pire est non tant l’aveuglement sans connaissance que l’aveuglement dans la connaissance

Un système devenu fou !

     Le documentaire se termine, je n’ai rien appris, j’ai fait le tour du sujet depuis si longtemps. Je regarde cette émission pour me rendre compte si les mentalités ont changé, changent… si le regard posé sur l’électricité nucléaire devient plus lucide, se libère de la chape de plomb du secret dont elle a toujours été entourée. Surprise : pour une fois, il n’est pas question des centrales elles-mêmes et des catastrophes produites par leur dysfonctionnement comme à Tchernobyl ou à Fukushima. Car, le plus souvent, les émissions sur le nucléaire effleurent le sujet, s’en tiennent à la surface, traitent le problème comme un avatar des risques habituels de l’industrie lourde. Pour une fois, nous sommes au coeur du sujet, pas seulement au coeur de la centrale. Et le coeur du sujet, l’énorme problème du nucléaire, le monstre dont les centrales accouchent, ce sont les déchets radioactifs, dont la capacité de nuisance, c’est-à-dire le pouvoir de mettre un terme à la vie, dure des milliers, des dizaines ou des centaines de milliers, voire des millions d’années ! Comment l’esprit humain a-t-il pu envisager de faire proliférer un tel monstre ? C’est pourtant ce que la France a entrepris de faire depuis plus de cinquante ans avec aujourd’hui 58 réacteurs qui produisent notamment du plutonium, le plus dangereux des produits radioactifs, pour lequel a été construite l’usine de retraitement de La Hague. Le retraitement – joli mot qui pourrait laisser penser que les déchets redeviennent propres – consiste en réalité à isoler le plutonium des autres entités radioactives pour le réutiliser comme combustible. Toutes ces manipulations de substances radioactives sont éminemment dangereuses. Et les déchets résiduels sont conditionnés dans des récipients pas toujours étanches qui sont entreposés sur des zones de stockage provisoires, en attendant la validation de projets d’enfouissement qui, pour toute solution, proposent de cacher la poussière sous le tapis!… La France, ce beau pays, est à la pointe de cette formidable industrie dont l’ultime étape est la radiation de la vie ! Aux dernières nouvelles, aucun responsable politique aux commandes de l’Etat ou susceptible de le devenir n’envisage de sortir de cette folie.