télévision

Boston, ville morte

Nous étions si fragiles…

    Boston, en l’espace de quelques heures, était devenue une ville morte. A seulement trois cents et six cents kilomètres du drame, New-York et Washington craignaient les retombées radioactives et la contagion de la panique. Le monde entier était une nouvelle fois plongé dans la sidération, et pendant plusieurs jours, comme en 2001, les premières images du drame ont tourné en boucle sur les écrans de toutes les chaînes de télévision traditionnelles et de tous les sites d’information qui s’étaient créés depuis sur la Toile. Les réseaux sociaux étaient saturés et la téléphonie mobile débordée par les appels. Des bouchons monstrueux ralentissaient ou interrompaient pendant de longs moments les échanges véhiculés par Internet. La vie se pétrifiait… les spectres d’Hiroshima et de Nagasaki étaient dans toutes les têtes… La bombe atomique était revenue frapper comme un boomerang la puissance américaine déclinante, mais personne n’aurait songé à faire remonter jusqu’à elle la chaîne des responsabilités de ce massacre nucléaire qui était la pire épreuve de son histoire récente…

Destin collectif

Nous étions si fragiles…

    Mon arrière grand-mère Marie-Thérèse, la mère de France, née après la première guerre mondiale, aurait eu cent ans le 13 septembre de cette année-là. Elle avait connu la généralisation de l’électricité dans les foyers, l’arrivée du gaz et de l’eau courante, assisté au développement du cinéma et de la radio, à l’essor fulgurant de la téléphonie, de l’aéronautique et de l’automobile (même si elle-même n’avait jamais eu le téléphone chez elle ni voyagé en avion ou conduit de voiture), et elle avait pu également suivre à la télévision les premiers pas d’Amstrong sur la lune. Mais, morte en 1974, elle n’avait pas eu la moindre idée des nouvelles technologies, du Minitel français, de la micro-informatique et de l’Internet, et, quoique contemporaine du largage de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, elle ignorait tout des centrales nucléaires civiles productrices d’électricité et ne savait pas que le territoire français allait se couvrir de réacteurs. A son décès, le monde allait mieux. Les guerres coloniales et la guerre froide s’éloignaient, la prospérité de l’Europe consolidait une paix qui semblait s’installer durablement, les lois sociales de l’après-guerre avaient amélioré les conditions de vie des populations laborieuses, les progrès accomplis dans la fabrication d’objets utiles à la vie de tous les jours devenaient accessibles à tous, and last but not the least, les femmes étaient devenues dans la loi les égales des hommes. Certes, la vie personnelle des gens continuerait de connaître des hauts et des bas, mais le destin collectif était prometteur, et la mère de France avait eu le sentiment, en quittant le monde, que celui-ci accueillerait sa descendance comme jamais auparavant l’humanité n’avait pu y vivre, à l’abri des pires fléaux…

Un autre monde était possible

Nous étions si fragiles…

    Xavier avait été ingénieur agronome. Il aidait Sylvain dans ses expérimentations agricoles. Lui aussi, au cours de sa vie antérieure, avait milité pour un autre modèle économique et d’autres pratiques de développement, respectueuses des ressources de la planète. Ils avaient tous deux l’expérience des modes de fonctionnement autogestionnaire des petites communautés libertaires qui s’étaient développées dans le monde entier dans la foulée du mouvement des indignés, après les grands rassemblements de l’année 2012. Les démocraties, à cette époque, étaient déjà très malades. Les représentations parlementaires trahissaient en permanence l’expression de la volonté populaire, les pouvoirs intermédiaires étaient incapables d’assurer la transmission, les partis politiques étaient complètement sclérosés, les médias diffusaient un bougli-bougla insipide destiné à occuper les esprits tout en les privant de réflexion. L’époque, plus que toute autre, aimait le divertissement, qui lui était désormais offert non plus seulement sur les écrans de télévision classique, mais aussi sur toutes sortes de supports connectés, nomades et tactiles. Les professionnels de la politique usaient et abusaient des sondages et des techniques de communication pour devancer l’opinion et l’orienter dans le sens qu’ils souhaitaient. Mais les réseaux sociaux étaient nés, facebook, twitter, et ce dernier surtout permettait un échange d’informations partout et à tout moment à l’instant même où un événement se produisait, où se tenait une réunion, un rassemblement, où se faisaient les discours. L’échange était théoriquement limité (à cette époque) par l’obligation de condenser les messages en 140 caractères (pas un de plus!), mais cette contrainte était contournée par l’ajout de liens qui renvoyaient les interlocuteurs vers des sites, blogs, journaux électroniques, qui procuraient aux auteurs l’espace nécessaire pour développer leurs idées, au grand dam de la presse traditionnelle qui voyait se lever devant elle des citoyens lambda qui faisaient oeuvre de journalisme, et de l’intelligentsia admise dans les palais de la République dont la pensée à la mode était brillamment contestée par des anonymes qui faisaient preuve d’une rigueur intellectuelle dont elle n’avait plus l’habitude et qui aurait dû lui faire honte…

Vanitas vanitatum !

(Récit en cours d’écriture)

     La situation n’était pas meilleure en Europe, et le désastre allait s’étendre aux pays émergents qui avaient réussi à décoller ainsi qu’aux pays les plus pauvres d’Afrique qui n’avaient pas besoin de cette ultime épreuve. Mais la fascination exercée par le spectacle de la misère au pays d’Hollywood était sans limite. Tous les rêves paraissaient s’écrouler en même temps que le rêve américain. On relisait Les Raisins de la colère, Le Bûcher des vanités, et les réseaux sociaux exhumaient des archives les vieux films que ces romans avaient inspirés. Ce n’était pas possible, on n’avait quand même pas régressé à ce stade!… Les journalistes et les intellectuels invités sur les plateaux de télévision de grande écoute rivalisaient de mauvaise foi et de bêtise. Leurs connaissances étaient superficielles, mais ils pouvaient bavarder avec beaucoup d’assurance pendant des heures, tandis que les politiques à bout de souffle reprenaient leurs analyses simplistes pour tenter de justifier leur action et d’expliquer l’inacceptable…

     Le piano de Louis 

     2064

 

Mon pauvre ami!

  Ce texte est ma contribution n°4 à l’atelier d’été 2017 de François Bon

     Creton! Vous ne connaissez pas l’histoire de Creton? Son « story-telling », comme on dit de nos jours? Je ne peux pas le croire!… Vous auriez échappé à la multiplication des interviews qui lui ont été accordées, aux émissions de télévision qui lui ont été consacrées? Est-ce possible?… Évidemment, vous connaissant… On aime se retirer à la campagne, à l’écart du monde, dans le calme et la solitude propices à la méditation! Ah, vous êtes incorrigible, mais nous vous aimons bien quand même, mon cher Alceste! Allez, nous allons vous raconter l’histoire de Creton. Non, pas Crétin! Creton! Vous ne savez donc pas que c’est l’homme le plus intelligent du monde? Cette particularité essentielle de notre personnage n’est même pas parvenue jusqu’à vos oreilles? Mon pauvre ami, mais vous êtes irrécupérable!… Remerciez-nous au moins, nous allons vous offrir un cours de rattrapage, vous aurez l’air moins sot dans les salons!  Creton est la coqueluche du Tout Paris. Et son pouvoir de séduction va bien au-delà! Il est désormais connu dans toutes les capitales du monde! Son nom est un Sésame. Dites « Creton » et toutes les portes s’ouvrent! Il a un « Je ne sais quoi », les femmes le trouvent très beau, savez-vous, non, vous ne savez pas, vous ne savez rien, mon pauvre ami… le fait est qu’il est charmant avec sa petite mèche bouclée qui lui retombe sur le front et ce sourire éclatant que les marques de dentifrice pourraient utiliser pour leur publicité! En fait, il réussit parce qu’il a tout compris. Il a saisi comme personne avant lui que nous vivions à l’ère du marketing et que tout s’achète! Par conséquent, tout se vend, comprenez-vous? Saisissez-vous ce qu’il y a de génial dans cette perception des relations humaines, de la vie sociale en général et de la politique en particulier? Et pourtant, il vient de loin, ce petit Creton! Il est presque né pauvre dans une région sinistrée du Nord de la France! Saviez-vous que c’est un provincial comme vous? Mais non, vous ne saviez pas, il faut tout vous apprendre!… Parfaitement, jusqu’à ce qu’il suive des études à Paris, c’était un provincial comme vous, mais, sans vous vexer, il a été capable, lui, de monter à Paris et de ne pas se satisfaire d’une petite vie misérable en suivant les traces, certes honorables mais très limitées, de sa famille! Il avait de l’ambition!… Comment? Que dites-vous? Il y a ambition et ambition?… Vous ne pouvez pas vous en empêcher, vous cherchez la petite bête, vous chipotez, vous dénigrez, vous êtes de mauvaise foi et vous m’agacez… Ouvrez les yeux! Regardez autour de vous! Nous vous aimons tellement, mon cher Alceste, faites un effort, que diantre!… Vous savez bien que le monde a changé et que nous avons besoin de sang neuf! Ce n’est quand même pas vous faire injure que de considérer que vos façons de penser sont périmées! Nous toutes et tous, ici, et sans vouloir vexer personne (surtout pas Elisabeth qui fait si jeune!) nous avons à peu près le même âge, or, il n’y a que vous, Alceste, pour refuser aussi furieusement de vous mettre à la page!… Ce n’est pas bien de vous fermer ainsi à l’intelligence de la modernité et de rester volontairement out, vous nous faites de la peine!… Acceptez de mettre votre logiciel à jour!… Vous verrez, ce petit Creton ira loin, il est in, lui!…

 

La foule des Innocents

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     La déroute du système financier s’accompagnait, hélas, comme toujours, de la destruction de tous les pans de la vie économique… et la foule des Innocents en payait le prix le plus élevé… Les journaux qui circulaient sur le web retransmettaient en direct les scènes de désespoir des familles qui se retrouvaient du jour au lendemain à la rue, avec, comme seul abri, les tentes que des associations de bienfaisance dressaient en toute hâte pour faire face à l’urgence humanitaire… La télé-réalité inventée à la fin du vingtième siècle inondait les écrans avec les séquences de vie filmées par des citoyens américains aux abois.

     Le piano de Louis 

     2064

Sidération

     A seulement trois cents et six cents kilomètres du drame, New-York et Washington craignaient les retombées radioactives et la contagion de la panique. Le monde entier était une nouvelle fois plongé dans la sidération… Les informations tournaient en boucle sur toutes les chaînes de télévision, les réseaux sociaux étaient saturés, la téléphonie mobile débordée par les appels, la navigation sur l’Internet ralentie par des bouchons monstrueux…

     Le piano de Louis 

     2064

 

Vie antérieure

  

(fiction en cours d’écriture)

    Xavier avait été ingénieur agronome. Il aidait Sylvain dans ses expérimentations agricoles. Lui aussi, au cours de sa vie antérieure, avait milité pour un autre modèle économique et d’autres pratiques de développement, respectueuses des ressources de la planète. Ils avaient tous deux l’expérience des modes de fonctionnement autogestionnaire des petites communautés libertaires qui s’étaient développées dans le monde entier dans la foulée du mouvement des indignés, après les grands rassemblements de l’année 2012.

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

Pensée grippée

    (fiction en cours d’écriture)

     Est-il nécessaire de remonter aussi loin dans le temps? La science historique n’avait pas mis les humains à l’abri de leurs erreurs fatales, ne les avait pas empêchés de continuer à s’entretuer en de multiples occasions. Les Lumières avaient eu tant de mal à briller!… Journaliste, je vivais dans l’immédiateté de l’événement qui suscitait toujours une certaine excitation d’ordre psychédélique, liée aux poussées d’adrénaline déclenchées pour faire face à l’imprévu… Mes confrères-consoeurs invitaient sur les plateaux de télévision des intellectuels médiatiques censés donner le recul indispensable, mais qui débitaient le plus souvent l’eau tiède de leur pensée enrhumée ou plus exactement grippée, coincée dans les rouages de la pensée unique distillée par les pouvoirs en place, qui empêchait tout débat sérieux, qui stérilisait d’office l’honnêteté intellectuelle. Il faut dire que les médias appartenaient au moins en partie aux marchands d’armes… Je n’en étais pas complètement dupe, je m’en accommodais comme sans doute la plupart d’entre nous. Le conservatisme consiste à penser que l’ordre actuel des choses, si imparfait soit-il, est préférable à une remise en question qui déboucherait vraisemblablement sur un désordre encore plus dommageable. Nous faisions le pari que le pire n’était pas certain si nous continuions notre route comme si de rien n’était. Pari perdu. La perte de nos valeurs et le vide de notre pensée ont creusé à nos pieds le gouffre qui nous a engloutis…

     2055

     Ecrit depuis l’avenir

 

Compte à rebours

Il lui avait demandé de répondre poste restante jusqu’à ce qu’il lui indiquât une adresse dont il aurait été sûr. Elle l’avait encore fait récemment pour lui donner des nouvelles de France dont il avait d’ailleurs eu vraisemblablement connaissance par le canal de l’organisation. Pierre Overney, abattu par un vigile devant la régie Renault, l’enterrement suivi par des centaines de milliers de personnes, la crainte d’une insurrection dans les milieux gouvernementaux et policiers… Pourquoi ce silence? Pourquoi cette absence qui ressemblait à une mort? Stéphane X, abattu par Y… De Tempelhof, il avait pu s’envoler pour n’importe où dans le monde. Il aurait pris un aller sans retour. Si l’organisation le lui avait demandé. Si la Révolution l’avait exigé. Mais aucun journal, aucune radio ne titrait sur Stéphane X ! La télévision ne le montrait pas retenu en otage dans une région perdue d’Amérique du Sud ou d’Afrique ; sur aucune photo, dans nul reportage, on ne voyait son visage émacié aux yeux brûlants ; et personne, selon toute vraisemblance, ne l’avait mis en joue pour détruire les idées que son front affichait. Cela n’empêchait pas le délire. Une avalanche de suppositions, un échafaudage d’hypothèses toutes plus invraisemblables les unes que les autres, le surgissement aléatoire des images du passé pour imaginer à rebours le scénario d’un film commencé à l’aéroport de Tempelhof le 9 octobre 1971, le cachet de la poste faisant foi.

Franz, le dernier témoin, venait de quitter la ville pour une destination qu’elle ignorait, et son successeur dans la petite maison qu’il squattait dans une courée de la vieille cité n’avait pas été plus explicite.

Franz disparu lui aussi, le bout de papier chiffonné qu’elle avait conservé comme la carte énigmatique d’un trésor, dont le sens ne pouvait être décrypté que par le scripteur ou son interlocuteur indirect tous deux évaporés, ce blanc-seing que Stéphane avait destiné à Franz pour la mettre sous sa protection, ce document unique et précieux qui était devenu l’ultime objet qu’il lui avait offert alors que le moteur du poids lourd s’était mis à rugir en couvrant sa voix, juste avant que la portière ne claque, ces quelques mots griffonnés rapidement contre la tôle qui vibrait, cette écriture tremblante et les paroles à peine audibles (« chic type », « ennuis ») qui avaient accompagné le geste de tendre vers elle ce morceau de feuille froissée, qui palliait les lettres qu’elle ne recevait plus, le roman qu’elle avait bâti à distance comme un pont entre leurs deux vies séparées, tout cela –  » le mot nu ment  » – s’effondrait, s’écroulait subitement, comme au réveil les songes des dormeurs, et l’inscription improvisée sur un support de fortune dans la fièvre du départ semblait avoir soudain, si Franz ne pouvait plus la faire vivre, la froideur d’une épitaphe…

L’avenir improbable