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L’Atlantide

Nous étions si fragiles…

    L’Atlantide avait été mentionnée pour la première fois par Platon dans les deux dialogues d’une trilogie inachevée, le Timée et le Critias, dont l’objet était de réfléchir sur l’origine du monde et sur la place de l’humanité dans l’univers. La pensée grecque était hantée par l’idée de déterminer la juste place de l’Homme dans le Cosmos! Les Atlantes auraient connu un âge d’or brutalement interrompu à l’issue d’une guerre qu’ils auraient perdue contre les Athéniens, plus de dix mille ans avant notre ère. Descendants de Poséidon, ils auraient vécu pendant plusieurs générations dans la prospérité jusqu’à ce qu’ils finissent par oublier leur origine divine et par abandonner les principes d’ordre et d’harmonie, de modération et de tempérance, qui régissaient jusqu’alors leurs relations entre eux et avec les autres en toutes circonstances, sans jamais se laisser enivrer par les délices de l’opulence ni vouloir accumuler les richesses, ou étendre indéfiniment leur puissance. Les dieux auraient décidé de les punir pour qu’ils retrouvent plus de sagesse. Le récit fait par Critias à Socrate s’inspirait d’une conversation que Solon avait eue avec un prêtre égyptien de la ville de Saïs, située dans le delta du Nil, dont la déesse protectrice Neïth n’était autre qu’Athéna. Interrogé par le grand législateur grec sur l’histoire des temps anciens, le prêtre lui révèle que les archives égyptiennes possèdent des documents qui remontent à plusieurs milliers d’années. Or, les contemporains de Solon ne connaissaient que l’époque évoquée par les poèmes d’Hésiode et d’Homère, quatre cents ans auparavant. Cette accumulation de documents aurait été possible, selon le prêtre, parce que le Nil, depuis la nuit des temps, protège l’Egypte des grands cataclysmes qui détruisent les autres civilisations. Les survivants, préoccupés avant tout de subvenir à leurs besoins vitaux, n’en transmettent plus la mémoire. C’est pourquoi les Athéniens ignoreraient tout du glorieux passé de leur cité et de la guerre qui l’avait opposée aux Atlantes, quand ceux-ci avaient voulu s’en emparer pour assurer leur domination en Méditerranée, avant que leur île ne sombre dans les tourbillons de l’océan et n’emporte avec elle l’armée grecque victorieuse…

Compte à rebours

Il lui avait demandé de répondre poste restante jusqu’à ce qu’il lui indiquât une adresse dont il aurait été sûr. Elle l’avait encore fait récemment pour lui donner des nouvelles de France dont il avait d’ailleurs eu vraisemblablement connaissance par le canal de l’organisation. Pierre Overney, abattu par un vigile devant la régie Renault, l’enterrement suivi par des centaines de milliers de personnes, la crainte d’une insurrection dans les milieux gouvernementaux et policiers… Pourquoi ce silence? Pourquoi cette absence qui ressemblait à une mort? Stéphane X, abattu par Y… De Tempelhof, il avait pu s’envoler pour n’importe où dans le monde. Il aurait pris un aller sans retour. Si l’organisation le lui avait demandé. Si la Révolution l’avait exigé. Mais aucun journal, aucune radio ne titrait sur Stéphane X ! La télévision ne le montrait pas retenu en otage dans une région perdue d’Amérique du Sud ou d’Afrique ; sur aucune photo, dans nul reportage, on ne voyait son visage émacié aux yeux brûlants ; et personne, selon toute vraisemblance, ne l’avait mis en joue pour détruire les idées que son front affichait. Cela n’empêchait pas le délire. Une avalanche de suppositions, un échafaudage d’hypothèses toutes plus invraisemblables les unes que les autres, le surgissement aléatoire des images du passé pour imaginer à rebours le scénario d’un film commencé à l’aéroport de Tempelhof le 9 octobre 1971, le cachet de la poste faisant foi.

Franz, le dernier témoin, venait de quitter la ville pour une destination qu’elle ignorait, et son successeur dans la petite maison qu’il squattait dans une courée de la vieille cité n’avait pas été plus explicite.

Franz disparu lui aussi, le bout de papier chiffonné qu’elle avait conservé comme la carte énigmatique d’un trésor, dont le sens ne pouvait être décrypté que par le scripteur ou son interlocuteur indirect tous deux évaporés, ce blanc-seing que Stéphane avait destiné à Franz pour la mettre sous sa protection, ce document unique et précieux qui était devenu l’ultime objet qu’il lui avait offert alors que le moteur du poids lourd s’était mis à rugir en couvrant sa voix, juste avant que la portière ne claque, ces quelques mots griffonnés rapidement contre la tôle qui vibrait, cette écriture tremblante et les paroles à peine audibles (« chic type », « ennuis ») qui avaient accompagné le geste de tendre vers elle ce morceau de feuille froissée, qui palliait les lettres qu’elle ne recevait plus, le roman qu’elle avait bâti à distance comme un pont entre leurs deux vies séparées, tout cela –  » le mot nu ment  » – s’effondrait, s’écroulait subitement, comme au réveil les songes des dormeurs, et l’inscription improvisée sur un support de fortune dans la fièvre du départ semblait avoir soudain, si Franz ne pouvait plus la faire vivre, la froideur d’une épitaphe…

L’avenir improbable