langage

Tu vas où tu veux, tu marches, c’est tout simple

Isabelle Pariente-Butterlin

 

Ta petite voix résonne dans ma tête comme un écho.

Je sais que tu veux un cadeau. Je sais aussi ce que tu veux, des petites choses colorées, pailletées, spectaculaires que l’on trouve dans les boutiques pour les touristes où je n’entre avec toi qu’à contre-cœur. Je sais. Sauf qu’ici, où je suis sans toi, entrer dans ces boutiques de souvenirs ne me pèse pas, parce que j’imagine facilement tes regards, et la tentation de ta main qui se tendrait. Et aussi, cette inflexion très particulière que tu as, quand tu vas demander quelque chose, et alors il sonne un « Maman … « , reconnaissable entre tous, suspendu dans l’air, un peu interrogatif, très légèrement plaintif, et aussi souriant et espiègle, et immédiatement je sais que tu vas me demander une horreur colorée qui me fera protester.

Sauf qu’ici c’est moi qui les cherche.

Je sais bien, je les ai repérés dès le premier jour, j’irai te chercher quelque chose à ton goût, et puis aussi je mélangerai tout, tu sais, comme je sais faire et comme je voudrais t’apprendre à le faire. Tu as de bonnes bases, déjà, avec les soupes dans lesquelles tu mélanges tous les ingrédients qui te tombent sous la main et que je balance dans les fleurs en été (je ne sais jamais quel effet ça va leur faire).

Je te rapporterai des images d’ici et des impressions.

Je te raconterai un autre monde possible. Et la possibilité du départ. Il y a d’autres choses que je voudrais te rapporter d’ici, des possibles, et des attentes, une autre saveur de la vie, un espace, un air, tu sais, j’imagine le froid et les grandes plaines, et les routes immenses, tu sais, ici, on pourrait aller voir les baleines quand elles remontent du sud, on pourrait voir des arbres immenses, et je te promets qu’il y a des écureuils dans les rues, même si ici on ne les aime pas, ça n’a pas d’importance, ce sont quand même des écureuils, et tu trouverais à ton goût la confiture de myrtilles.

On pourrait mélanger tout un tas de choses, comme tu m’as appris à le faire.

C’est loin et je m’y sens bien. Il y a des mots anciens qui affleurent dans le langage. Je ne les avais jamais entendus. C’est facile d’être bien. De prendre un café. De parler. C’est facile, ça vient tout seul. Tu vas où tu veux, tu marches, c’est tout simple, tu verras, et les perspectives s’ouvrent, et les lignes se déploient, comme dans ton regard.

Et c’est comme ça qu’on obtient le goût de la liberté.

 

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 27 avril 2012.

 

Cette part d’enfance… dans toute fascination douce et calme pour le langage

Isabelle Pariente-Butterlin

 

Tu sais, ce sont ces mots, ou plutôt, cet étrange lien avec le langage que certains mots nous apprennent. Il y a quelque chose qui se tisse ici, que je voudrais aussi te laisser aux bords des mondes.

Je me souviens, et c’est cela seulement que je cherche aux bords des mondes, je me souviens de la force magnétique de certains mots autrefois. Je me souviens de certains mots, qui déployaient une force magnétique. Il suffisait de les invoquer, et de les répéter pour qu’ils exercent leur intense pouvoir de rêverie.

Quelques mots, égrénés dans ma mémoire …

Que je ne comprenais pas. Il est si clair que les souvenirs et les fascinations et les bonheurs de l’enfance voltigent et se fixent sur le mystère profond et transparent du monde, transparent comme ton regard.

Métamorphose … Oh, ce mot … Métamorphose … Qui lui-même métamorphique revient dans les strates de la conscience comme des pépites, aurifères et éclatantes. Éclatantes et éclatées. Pépites, éclatantes et éclatées. Et lieu aussi, dessinant des espaces et des mesures, et les mesures de ces lieux. Dans la belle absorption en spirales que seul un mot peut emporter par son mouvement immobile.

Et psychique aussi, comme une effervescence, je n’y comprenais rien. En explosion.

Et pantagruélique. Ces mots-là, enfant, on ne les comprend pas, on n’en saisit pas le sens, mais on en suit la ligne mélodique. Et l’esprit s’ouvre. Immensément.

Le langage est un jeu. Et cette extension lui est demeurée. Il est, de ce monde, la seule chose qui ait gardé le sérieux immense et souriant des jeux de l’enfance. C’est cela que je cherche aux bords des mondes, et sans doute aussi, et en quelque manière, je cherche aux bords des mondes cette part d’enfance qui demeure, dans toute fascination douce et calme pour le langage.

 

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 3 avril 2012.

 

Ce lien très essentiel de nos phrases avec le monde

Isabelle Pariente-Butterlin

 

Aussi loin qu’il soit possible, je trouve, aussi loin qu’il soit possible de remonter, une accroche de langage avec le silence du monde. Une accroche de langage avec le silence de l’être. Ma main dans la tienne, nous marchions, selon les méandres du minuscule chemin des pommes, et nous trouvions des noisettes vertes et des pois de senteur, et des rimes et sans doute aussi les froissements des envols.

La voix est une caresse.

Tremblement de l’air, vibration de l’être, réunies dans un même élan : la voix. Et dans la voix, l’attention accueillante, l’air tremble, l’être vibre. Les inflexions, qu’on peut suivre. Lignes mélodiques montantes et descendantes, lignes entrecroisées dans le contrepoint du lien qui se tisse entre le monde et soi. Entre soi et le monde. Fibre du cœur et du monde, à l’unisson. Comprendre, avant même de comprendre le sens et la signification, et les concepts, et les idées, comprendre, le geste même de cette accroche.

La tessiture de la voix entoure, de la texture des liens qu’elle crée avec le monde, entoure l’être, le retient, entoure, oriente, oriente les pas et le regard, et les gestes, et le sourire. Accroche du langage sur le silence du monde, sans elle, immensément silencieux et traversé seulement parfois, d’échos incompréhensibles, accroche de la voix, ici, au cœur de l’être.

Sans quoi la dérive silencieuse, et vaine, à quoi, nous serions réduits, tous, dérive des fortunes de mer.

Puis le silence devient rien de plus qu’une pause dans le phrasé du monde. Le monde est un phrasé. Revenir en soi, se replier, revenir en soi, silence, se retrouver, te retrouver, il y aura bien un jour où je ne pourrai plus te retrouver que dans le silence de mes impressions, mais ce phrasé là je l’étends sur le monde, je le tisse, je ne l’abandonne pas, ce lien très essentiel de nos phrases avec le monde, je ne l’abandonne pas, je me tiens à lui.

Comme je me suis tenue à ta main.

 

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 8 avril 2012.