embrasser

Vivant…

Nous étions si fragiles…

    Je n’écris évidemment pas pour Luc, je n’écris pour personne…. Est-il possible d’être encore vivant?… Moi, je fais semblant. Et les autres? En fuyant à sauve-qui-peut sur les routes, plusieurs d’entre nous ont sauvé des enfants. Ils sont dix-neuf, âgés de trois à dix-sept ans. Les plus petits sont désarmants. Ils se donnent tout entiers à leurs jeux, rient, pleurent, se laissent consoler, nous font confiance. J’ai les faveurs d’une petite Marie… quand elle m’embrasse, je dois retenir mes larmes…

Damnés de la terre

Nous étions si fragiles…

    Comment transformer l’or en plomb?! Nous l’avons fait, nous avons réussi cette métamorphose diabolique! Nous étions les élus, nous sommes devenus les damnés de la terre… Je voudrais tant me réveiller, ou mourir en dormant et renaître dans un rêve, vous embrasser, vous, tous ceux et celles que j’aime, France, ma grand-mère chérie, et cette arrière-grand-mère que je n’ai pas connue mais qui revivait si bien dans les mots de France, France qui continuait d’y croire malgré tout, qui ne désespérait de rien, que j’ai vue mourir en 2036 dans une relative sérénité… Que savait-elle vraiment? Que pensait-elle au fond d’elle-même? Je l’avais regardée avec les yeux d’une enfant et continué de l’écouter à travers le filtre de son amour pour moi. Elle ne se dérobait pas et je croyais qu’elle ne me cachait rien car ses paroles étaient toujours vraies, je ne savais pas qu’il était possible de chercher à protéger ses proches en gardant pour soi les aspects les plus durs de la réalité… Elle déployait à mon égard une pédagogie bienveillante qui m’avait mise en confiance depuis ma toute petite enfance, mais il y avait bien plus que cela dans le lien qui m’unissait à elle, bien plus que l’ascendant exercé sur moi par une adulte de cette qualité, bien plus que la relation naturelle entre une petite fille et sa grand-mère… Au sein de cette évidence que constituait l’affection que nous avions l’une pour l’autre, il y avait comme une sorte de mystère… Comment expliquer l’amour?

Éclats de vie

Puissent mes pensées s’épanouir et faner
Comme les pétales des corolles de fleurs
Légères et graciles, belles sans nécessité
Aimant le soleil, ouvertes à tous les bonheurs
Et semer à tous les vents des graines d’amour
Depuis la première heure à la tombée du jour

Puissent-elles, le soir venu, embrasser la nuit
Sans craindre l’obscur, en écoutant les étoiles
Froufrou lumineux dans le ciel, tomber en pluie
De perles dorées sur le lit de mort nuptial
De la vie qui me fuit, et se joindre gaiement
Au chant éternel qui scintille au firmament

Et les autres?

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     Je n’écris évidemment pas pour Luc, je n’écris pour personne…. Est-il possible d’être encore vivant?… Moi, je fais semblant. Et les autres? En fuyant à sauve-qui-peut sur les routes, plusieurs d’entre nous ont sauvé des enfants. Ils sont dix-neuf, âgés de trois à dix-sept ans. Les plus petits sont désarmants. Ils se donnent tout entiers à leurs jeux, rient, pleurent, se laissent consoler, nous font confiance. J’ai les faveurs d’une petite Marie… quand elle m’embrasse, je dois retenir mes larmes…

     Le piano de Louis 

     2064

Si tu savais comme je m’en veux d’être adulte …

Isabelle Pariente-Butterlin

 

… et parfois, ces grosses larmes dont toi seule a le secret, elles commencent à couler, sans qu’on comprenne toujours pourquoi, sans même qu’on ait le temps de réaliser ce qui vient de se passer, ce qui t’a touchée en plein cœur. Si tu savais alors, les reproches que je me fais, et comme je me sens maladroite et brutale, quand ces larmes énormes et transparentes se suivent les unes après les autres, sur l’arrondi de ta joue, soudain en feu.

J’ai des excuses et je n’en ai pas.

Tu sais, c’est toujours comme ça, je rentrais de loin, j’étais fatiguée, je titubais de sommeil, tu étais contente de me revoir, nous avions tardé, repoussé dans les lointains le sommeil, raconté des histoires, encore une autre, toi d’abord, ensuite moi, ri, toutes les trois, échangé des secrets, puis, pourtant je le savais, l’heure avançait, soudain elle m’a rattrapée, je m’étais rendue compte que le jour m’échappait, le monde adulte m’a saisie, avec cette emprise froide et angoissante qu’il sait opposer à tous les élans, parfois, je le sens, quelque chose se resserre, et il n’y a plus moyen de faire autrement, il y avait encore des choses à faire, je ne te raconte pas cela de la vie d’adulte, mais elle est aussi tissée de ces mouvements contradictoires et inverses qui s’annulent et s’éteignent, c’est comme ça, la vie d’adulte, je déteste,

ce n’est pas une excuse.

Je suis partie faire ces choses idiotes qui usent le jour jusqu’à la corde, et qui s’inscrivent dans la série continue des « il faut », « il faut … », opérateur modal de la vie adulte, toute phrase introduite par « il faut » est la phrase asservie d’un adulte qui plie l’échine devant la vie, je les déteste et je déteste plus encore m’entendre les prononcer, et me les opposer toute la journée, là j’en étais à un « il faut » absurde qui devait être de l’ordre « il faut faire la vaisselle et ensuite il faudra que je réponde à mes mails et après il faudrait pas que je me couche trop tard », parce que en général ils ont la perversité de se contredire et de tendre des pièges dans lesquels on tombe.

Et quand je suis revenue, un peu plus tard, parce qu’il y avait des petits bruits que je ne comprenais pas, que je n’identifiais pas, tu m’es apparue, toute petite, minuscule, perdue dans la nuit dont je pensais qu’elle t’enveloppait doucement, ton petit visage dévoré de larmes et crispé sur les oreillers creusés et qui commençaient à être humides, m’a saisie, il est venu se graver dans ma mémoire. Tu pleurais à chaudes larmes, parce que je ne t’avais pas embrassée.

Si tu savais comme je m’en veux d’être adulte …

 

Isabelle Pariente-Butterlin _ Licence Creative Commons BY-NC-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2012.