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Je est un personnage de roman

    Eté 2016: l’atelier d’écriture de François Bon

      Je me lève tôt. Je bois du thé. Je regarde souvent le ciel. J’aime sentir la pluie ruisseler sur mon corps. J’aime écouter le ruissellement de l’eau dans les gouttières. J’aime entendre les gouttes de pluie tambouriner contre la fenêtre ou sur les trottoirs. J’aime la pluie. J’aime l’eau. J’aime. J’aime aimer. Je n’aime pas les fortes chaleurs. J’aime sentir le vent dans mes cheveux. J’aime me déplacer à vélo. Je rêve beaucoup. Je rêve éveillée. Je marche beaucoup. Je fais de longues promenades à pied. Je me sens légère. Mon poids sur la terre est léger. Je pourrais m’envoler. Les ailes des oiseaux ont la forme d’un livre ouvert. Je voudrais ressembler à un livre. Je ne vis pas seulement dans ma tête. La vie pourrait ressembler à une fête. Écrire m’est nécessaire. J’écris comme je respire. Le souffle de l’écriture est vital. Vivre ivre. Ivresse des sommets. Planer au-dessus de la vie. Narration-Dieu, tout voir, tout savoir. Je ne sais rien. Je sais que je ne sais rien. Je m’amuse d’un rien comme une enfant. J’ai soixante ou dix ans, peut-être soixante-dix ans. Je n’ai pas d’âge. Je suis une femme sans âge. Je ne suis pas une sage-femme. Je ne suis pas philosophe. Je n’accouche pas les âmes. Je voudrais être sage. Le soir, j’arrose les fleurs du jardin. Avant de m’endormir, je contemple les étoiles, la lune ou le déplacement rapide des nuées dans le ciel. J’apprends à jouer du piano. Parfois, je fais un dessin. J’apprends à m’émerveiller. Les corvées matérielles m’absorbent. Je lave, je frotte, je recommence. La vie est un éternel recommencement. Les tâches du quotidien sont répétitives. Mon corps s’use. Le dos fait mal. Les bras s’ankylosent. Je ne fais pas assez de sport. Je m’occupe mal des autres. Je me fais attendre, rarement prier. Je suis assez désespérée. J’essaie de garder quelques illusions. La vie est un grand écart permanent. Le décalage est un art. Dans une autre vie, j’aurais pu être mathématicienne. J’aime que 2 + 2 fassent 4. Je suis carrée. L’art est exigeant. Mes sentiments me définissent mieux que mes actions. Mes gestes sont lents. Je me fatigue vite. J’ai un gros défaut de vision. J’espère pouvoir écrire et dessiner jusqu’à la fin de mes jours. Je voudrais mourir sans m’en rendre compte. J’ai de moins en moins de mal à m’endormir. J’aime que les oiseaux me réveillent. J’aime me sentir éveillée. Je suis simple. Ma vie ne l’a pas été. Ma vie pourrait faire l’objet d’un roman, elle n’a pas été un long fleuve tranquille. Les relations sociales sont compliquées. Mon caractère n’est pas adapté. Le personnage simple de ma vie romancée serait doublé d’un alter ego complètement décalé…

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Impressions du jour

Texte écrit en alternance avec Isabelle Pariente-Butterlin, que je remercie

de m’avoir proposé ce nouvel échange.

     « Il y a quelque chose qui se joue dans notre échange, autour de la vérité des jours, qui ne pouvait naître que […] de la sincérité de l’écriture dans l’échange. Il nous emmène très sûrement dans l’inexploré. »

     I.P., 2 mars 2015

23 mars

     On guette les signes, on espère, on attend le renouveau annoncé par les fleurs de cerisiers, on ne peut pas s’empêcher d’anticiper des jours meilleurs, de souhaiter le temps à venir des cerises, c’est ainsi, l’espoir est enraciné en nous, désespérer serait déjà mourir… Même le gris et le noir se teintent des couleurs de l’espérance en ces jours obscurs qui voient monter les votes racistes et xénophobes. Les sans-voix veulent donner de la voix tandis que des hommes et des femmes sans scrupule brandissent pour eux un porte-voix qui dénature leurs véritables propos, ceux-ci n’étant en réalité que protestation contre l’injustice qui les prive des moyens de bien vivre. L’indifférence de la gent politique qui occulte ou minimise depuis des lustres les difficultés des plus pauvres conduit malheureusement ceux-ci à se tourner presque de bonne foi vers des meneurs de foule qui leur désignent des boucs émissaires. Ainsi courons-nous probablement au désastre dans l’irresponsabilité générale. Mais le pire n’est jamais certain, les bourgeons bourgeonnent et les fleurs fleurissent, la promesse des lendemains qui chantent est dans ces fleurs immenses qui s’ouvrent dans le temps pour accueillir l’ami(e)…

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25 mars

     Et puis tu sais, il y a la mer, on la retrouve, il y a la mer, toujours, on oublie ce qu’elle est, on oublie son bleu, l’immense, on oublie trop facilement l’immense, et puis on la retrouve, on la croise, on la voit de nouveau, on se gorge de bleu, on l’absorbe, comme une plante absorbe la pluie, on absorbe l’immensité bleue, dont on ne revient pas, quand bien même elle serait seulement derrière la vitre d’un avion, derrière un carré de lumière, simplement cela, derrière un carré de lumière, double épaisseur, on devine un peu de givre, mais la mer, immense, bleue, et quelque chose de l’éternité qui nous parvient comme une effluve des possibles. Même si on ne peut pas enlever ses chaussures, poser ses pieds sur le sable frais, courir vers elle, même si… il y a la mer, on y revient, on la retrouve, on se sent comme une fleur tropicale sous la pluie, se gorgeant du monde de nouveau possible.

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