accéder

Le monde de Martens

Nous étions si fragiles…

    Martens disait venir d’un monde où tout était lisse… Au fil de nos conversations, en réunissant les bribes d’informations qu’il me livrait, je m’efforçais de reconstituer cet univers bizarre dont il ne parlait qu’avec réticence. Personne n’y était laid, personne n’y était pauvre. Les magasins de Callipole étaient toujours approvisionnés, mais le commerce du luxe n’existait pas. Il n’y avait pas non plus de librairies ni de bibliothèques. Quelques livres numériques étaient disponibles gratuitement sur un site officiel et un journal unique, gratuit lui aussi, était distribué quotidiennement à tous les habitants, dans des messageries virtuelles qui leur étaient attribuées dès la naissance avec un numéro de code qui servait à l’identification des personnes en toutes circonstances, jusqu’à la mort. Celle-ci était présentée comme un passage initiatique, permettant d’accéder à des formes de vie dites supérieures. L’Etat était à l’origine d’une pensée métaphysique et philosophique sommaire dont l’objectif était d’apporter des réponses rassurantes aux interrogations et aux frustrations inévitables de la population, maintenue dans l’ignorance des humanités encore enseignées dans notre monde, et dont Martens paraissait s’abreuver depuis qu’il avait accès à nos bases de données… Dans les écoles de ce pays improbable, on apprenait selon Martens une langue et une culture dites «essentielles». Les enfants n’étaient ni notés ni classés. Ceux qui continueraient leurs études dans les institutions formant l’élite administrative étaient sélectionnés sur des critères de personnalité par des responsables éducatifs qui passaient dans les classes de façon aléatoire. Un corps d’élite scientifique recruté et formé dans une unité spéciale au fonctionnement secret était placé sous l’autorité directe du Chef de l’Etat. En tant que Chef suprême du maintien de l’Ordre, celui-ci arbitrait tous les dossiers sensibles ne relevant pas de la routine…

Trahisons

    Las… Elu sur un programme de gauche, le président *François Hollande avait immédiatement endossé les habits de la droite libérale. Sa promesse d’inverser la courbe du chômage, fléau moderne que tant de gens redoutaient, avait été prise en défaut avec autant de régularité que sa constance à la renouveler en dépit de tous les signaux alarmants qui montraient qu’il n’avait pas pris le bon chemin pour la tenir. Quand, pour séduire l’électorat de la gauche dite extrême ou radicale, il avait pris pour cible la finance dans son discours du Bourget de janvier 2012, ses propos avaient été perçus comme une déclaration d’hostilité envers les prédateurs à l’origine de la crise financière mondiale de 2008, et le signe que le candidat socialiste prenait au sérieux les problèmes et la souffrance des petites gens, appelés jadis par un ministre de droite « la France d’en bas ». Profondément déçus par Nicolas Sarkozy, les Français avaient élu François Hollande en mai 2012 parce qu’il avait promis le « changement », mais celui-ci ne vint jamais, ni sur le front de l’emploi, ni sur les autres sujets que les populations les moins favorisées considéraient comme primordiaux. Les banlieues dites difficiles continuaient de se vivre comme des territoires perdus de la République (le chômage y battait des records!), les campagnes se désertifiaient de plus en plus et les ruraux, qui ne bénéficiaient plus d’un accès direct aux services autrefois de proximité – il leur fallait parcourir de nombreux kilomètres pour se rendre chez un médecin ou dans un bureau de poste – se sentaient abandonnés. En renouvelant le mandat de *François Hollande en mai 2017, les électeurs ne lui avaient pas renouvelé leur confiance, ils avaient seulement choisi d’éviter le pire en empêchant le Front national, arrivé en tête au premier tour avec 32% des voix, d’accéder au pouvoir suprême. Le barrage républicain avait tenu, il cèderait cinq ans plus tard, le sursis accordé n’avait pas été mis à profit pour redresser les erreurs passées de professionnels de la politique qui ne se sentaient jamais tenus de respecter leurs promesses…

     * Dans ce récit, François Hollande a été réélu à la présidence de la République française en 2017 et le quinquennat d’Emmanuel Macron a été décalé en 2032/2037, après un mandat de Marine Le Pen en 2022/2027, et de Laurent Wauquiez en 2027/2032.

Un univers lisse

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     Martin disait venir d’un monde où tout était lisse… Au fil de nos conversations, en réunissant les bribes d’informations qu’il me livrait, je m’efforçais  de reconstituer cet univers bizarre dont il ne parlait qu’avec réticence. Personne n’y était laid, personne n’y était pauvre. Les magasins de Callipole étaient toujours approvisionnés, mais le commerce du luxe n’existait pas. Il n’y avait pas non plus de librairies. Quelques livres numériques étaient disponibles gratuitement sur un site officiel et un journal unique, gratuit lui aussi, était distribué quotidiennement à tous les habitants, dans des messageries virtuelles qui leur étaient attribuées dès la naissance avec un numéro de code qui servait à l’identification des personnes en toutes circonstances, jusqu’à la mort. Celle-ci était présentée comme un passage initiatique permettant d’accéder à des formes de vie dites supérieures. L’Etat était à l’origine d’une pensée métaphysique et philosophique sommaire qui devait apporter quelques réponses, dans la mesure du possible, aux interrogations et aux frustrations inévitables… Dans les écoles, on apprenait une langue et une culture dites « essentielles »… Les enfants n’étaient ni notés ni classés. Un responsable de l’enseignement passait dans les classes pour sélectionner ceux qui continueraient leurs études dans les institutions formant l’élite administrative…

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

Destin

Elle avait essayé d’oublier et de vivre dans l’instant, n’être, naître que pour une étincelle de temps. Elle s’en était révélée incapable. Pitoyablement accrochée aux chaînes tentaculaires du souvenir, qui étendent leur ombre maléfique sur n’importe quel projet bon à phagocyter. Incapable d’accéder à cette liberté d’or bleu qui se fait désirer comme le seul et singulier bonheur d’aurore possible. Et sous la verrière qui protégeait des intempéries la ruelle discrète comme un passage secret où elle se trouvait toujours assise, sur ce vieux banc aux pieds de fonte qui s’enfonçaient lourdement dans le sol comme dans les profondeurs de leur propre mémoire d’objets, il lui semblait qu’elle commençait à comprendre, à accepter l’idée qu’elle n’échapperait pas, quoiqu’elle pût faire ou décider, ni à la pesanteur du passé ni à ses lois tortueuses et incertaines, et que, paradoxalement, de cette masse compacte et froide qui surplombait sa vie comme une menace permanente, jaillirait un jour un rayon de lumière inconnue, un signe, un souffle, un éclair, qui feraient imploser le monstre volcanique qui vitrifiait chacun de ses instants, les empêchant d’éclore…

L’avenir improbable