répétition

Le point de non-retour

Nous étions si fragiles…

    Les fortes turbulences ne semblaient pas empêcher la France et le reste du monde de continuer leur course cahin-caha. Mais le choc monstrueux de l’attentat nucléaire de Boston déclencha une tempête hors norme. L’année 2040 marqua le point de non-retour de la dérive autoritaire amorcée depuis longtemps par les démocraties occidentales. Les populations tétanisées prirent conscience de leur vulnérabilité, reprochèrent à leurs dirigeants de ne pas être capables d’assurer leur sécurité, de manquer d’anticipation, d’être trop laxistes avec les individus qui pouvaient être des terroristes potentiels, réclamèrent des têtes, cédèrent à la panique, cherchèrent des boucs émissaires et des hommes ou des femmes décidés à les protéger sans états d’âme. En France, les attentats récents de 2037 avaient rendu l’opinion peu regardante sur les méthodes de surveillance de l’Etat et les détentions abusives que dénonçaient les associations de défense des droits humains, toujours actives malgré la multiplication des procédures judiciaires déployées contre elles pour les empêcher d’exercer leur contre-pouvoir citoyen. L’effroi suscité par l’attentat de Boston étouffa leurs protestations et délivra au gouvernement un blanc-seing pour prendre toutes les mesures qu’il jugerait utiles pour empêcher la répétition d’une telle horreur. C’est dans ce contexte que Martens avait été arrêté à Paris, dans un squat, pendant une patrouille de police banale (les gens s’étaient habitués aux allers et venues des uniformes dans les rues), avec une poignée de sans-abris que le voisinage immédiat ne supportait plus. Désignés à la vindicte, les clochards étaient considérés comme des délinquants en puissance qu’il fallait mettre hors d’état de nuire sans autre procès. Martens était dans le lot, pris dans la nasse. Il était sale et mal rasé comme les autres, mais avait fait l’objet d’un signalement particulier dès le premier rapport de police, en raison de son allure bizarre et parce qu’il y avait dans son dossier beaucoup de zones d’ombre. L’examen de son cas avait alors gravi tous les échelons de l’instruction jusqu’à ce que le dossier atterrisse sur le bureau du chef des services secrets, qui ne tarda pas à découvrir que le visage de Martens et le portrait-robot transmis quelques mois auparavant par la police mexicaine pour la filature d’un trafiquant de drogue semblaient avoir été faits l’un pour l’autre. L’attentat de Boston mobilisait toutes les forces des services de renseignement, et Jean-François Dutour n’eut aucun mal à faire passer Martens du statut de vraisemblable trafiquant de drogue à celui de terroriste potentiel. La peur d’une réplique accélérait les enquêtes, levait certains freins, mais on ne réussissait pas à trouver contre lui le moindre début de preuve. C’est alors que Jean-François eut l’idée de faire de moi une espionne pour débusquer l’espion (ou le terroriste) en m’autorisant à lui rendre visite dans sa cellule…

Une monumentale somme d’erreurs

     J’écrivais dans un grand journal parisien. Comme tout rédacteur, je recherchais la clarté, que mes articles puissent être lus et compris par le plus grand nombre, mais il fallait aussi ne jamais oublier le second degré, utiliser et manier (manipuler?) les références, répondre aux exigences d’un lectorat cultivé appartenant aux catégories socio-professionnelles dites supérieures (sous quel angle?!)… Loin d’être naïf, mon style se conformait aux canons en vigueur, il en allait de la longévité de mon emploi, ma carrière était en jeu. Ecrire n’était pas innocent, ne l’a jamais été. A-t-on jamais dit clairement qu’écrire, penser, parler, sont des actes? De véritables actes au même titre que les actions concrètes, qui en entraînent d’autres dans une chaîne implacable de cause à effet? Un enchaînement d’incitations, de forces, de poussées dont la somme nous pousse inéluctablement vers tel ou tel résultat, telle ou telle situation. C’est mathématique, scientifique, ce sont les lois de la physique qui l’expliquent, et nos paroles, nos écrits, nos pensées, obéissent aussi aux lois de la physique, l’opposition entre la réflexion et l’action n’a pas de sens, l’absence de réflexion est un crime, le vide de la pensée est monstrueux. La mise en commun de nos intérêts et de nos égoïsmes personnels, une sorte d’équivalent de l’entité appelée par Adam Smith la main invisible du marché, aura donc eu pour conséquence cette somme monumentale d’erreurs qui nous ont conduits au suicide collectif! Avec leurs dizaines de millions de morts, les deux guerres mondiales du vingtième siècle n’avaient été que des répétitions générales avant la tragédie finale : « L’extinction de l’Humanité ». Triste histoire que la nôtre. Sa conclusion achève de montrer que l’émancipation de la condition animale ne nous avait pas principalement dotés d’intelligence, mais surtout de sottise et de haine…

« Je » s’endort

Incohérence assoupissement mots couverts mots brouillés mots rouillés

ouvertures barrées faux sens faux souvenirs labyrinthe des sens

souvenir du souvenir conscience de l’oubli oubli de la vie souvenir de la mort

la vie dans un sommeil vie fatiguée vie mortifère je m’endors

entre les fils emmêlés démêlés de ma vie empêtrée empêchée

Je  s’échappe   Je  ne peut pas se retenir   Je ne retient rien

pensées incohérentes glissent dans un trou noir tourbillon

mes yeux se ferment répétition dernières pensées

Je

se meurt…