métaphore

Le ciel

LA REVENANTE

Atelier d’écriture de François Bon

Mes contributions

     Le ciel est l’espace blanc de la page et l’obscurité de la nuit, la présence amicale de la lune et la fantaisie des nuages, la lumière qui se déploie en prenant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, le voyage de ceux-celles qui ne partent jamais, le refuge ultime des exilés, le seul espace de liberté des prisonniers, le prolongement infini de nos vies, le miroir de nos chagrins, la métaphore de nos tourments, le puits sans fond de nos questionnements, le point de fuite de toutes les espérances, le vent qui gonfle les voiles des navires, le roulement incessant des vagues de nuages, l’immensité insaisissable de la mer, l’envol d’un albatros, le labeur des marins, les labours de la plaine, les plaintes ou les prières des vivants, la foi du charbonnier, la noirceur des méchants, le feu rougeoyant de l’enfer, la damnation de Faust et le salut des Innocents, l’Apocalypse et la Jérusalem céleste, les visions prophétiques, les prévisions météorologiques, l’azur qui annonce l’arrivée des hirondelles et fait monter le chant des alouettes, la joie qui fuse, l’échappée d’un bateau ivre, le songe d’une nuit d’été, la clarté d’une faucille d’or, l’incandescence des étoiles, les spirales de Van Gogh et les lumières de la Ville, le soleil qui aveugle, la pluie qui transperce, le vent qui renverse, la tempête qui se déchaîne, l’orage qui foudroie, le désespoir qui gronde, le brouillard qui égare, la brume enveloppante, le havre d’un port, la silhouette d’une épave échouée, les voiles d’un vaisseau fantôme… Souvenirs ensevelis sous la neige de la mémoire brumeuse… émergence de l’image d’un ciel d’une tristesse infinie… tentures noires et grises déroulées du haut des toits le long des murs… mélopée intarissable de la pluie… reflets blafards sur les trottoirs mouillés et voilure monochrome de la lumière du jour… marche lugubre au son du glas dans les pas d’une mère éplorée, d’un frère effondré, d’un père raidi dans la douleur… accident ou suicide, on ne savait pas… la procession funéraire avançait dans un silence effroyable… une couronne formée par quelques faibles rayons de soleil filtrés par les nuages déchirés semblait suspendue au-dessus du corbillard… le regard hébété des vivants s’accrochait à la moindre lueur vacillante pour accompagner la jeune morte jusqu’au seuil de sa dernière demeure…

Liens

« Puisque personne ne me revendiquait sérieusement, j’élevai la prétention d’être indispensable à l’Univers. » Ces « mots » de Jean-Paul Sartre, qu’elle venait de relire, prenaient une signification troublante. En faisant siennes les certitudes marxistes-léninistes de Stéphane, en s’engageant dans l’organisation révolutionnaire où il militait sans rire, elle créerait ce lien qui leur manquait, elle occuperait à ses côtés la place qu’elle ne trouvait nulle part, dans un lieu précis qui lui procurerait une identité, et cesserait enfin de dériver dans un espace trop grand, trop vide, qui l’aspirait toujours plus loin ou plus profond comme pour mieux l’avaler, la noyer, l’anéantir… En même temps qu’elle s’attacherait ainsi solidement à Stéphane, elle donnerait à sa vie le poids d’une lourde mission qui l’empêcherait de s’envoler comme une baudruche. Elle serait aussi comme l’allumeur de réverbères de Saint-Exupéry, toujours à son poste, ponctuelle et consciencieuse, obéissante et zélée comme un petit soldat, pour une cause qui la dépasserait et la ferait se dépasser. Au contrôleur du train de l’existence qui lui réclamerait le justificatif de sa présence, elle présenterait non pas un mais deux passeports, qui cloueraient le bec à ce personnage macabre. Sur le premier, il serait écrit:  » Stéphane l’aime « , et sur le second:  » Recrutée pour la Révolution « … Et cette attente intérieure insupportable qui durait en fait depuis toujours, cette paralysie des sentiments et du désir dont elle avait cru au tout début de leur relation qu’il aurait pu la guérir, lui, l’homme des certitudes qui lui avait dessiné les contours d’un paysage dans lequel il lui avait montré sa place, auprès des prolétaires, ce désespoir discret et silencieux qui était forme creuse de l’espoir, espérance vide, cette impossibilité d’agir, de ressentir et de vivre s’évanouissait, se résorbait enfin, à la fin de ce scénario optimiste, qui avait l’avantage de l’empêcher de devenir prof, de mettre un terme à la trahison qui avait commencé lorsqu’elle s’était mise à détester son père, à s’éloigner de lui comme on s’éloigne de la terre ferme, à le réprouver, à le bafouer, avec ses manies, ses silences, ses gestes étriqués, sa petitesse physique et l’étroitesse de son esprit, son horizon borné de toutes parts, sa vie retranchée, recluse, repliée sur elle-même, qui avait trouvé dans le fléchissement de plus en plus accentué de son dos la plus parfaite des métaphores, comme le signe perceptible de sa résignation, voire de son attachement irrationnel à cette forme d’existence qui relevait de l’esclavagisme, mais où il paraissait voir, lui, les vertus supérieures de la fidélité aux siens, du courage et de l’humilité, ce qui, de sa part, était en fait, elle le savait maintenant, la plus impressionnante des manifestations d’orgueil…

L’avenir improbable