Les mots ne faisaient pas de cadeaux. Ils dépassaient ou rétrécissaient ma pensée. Ils aiguisaient exagérément ou amollissaient mes sentiments. Ils freinaient mon inspiration à moins que ce ne fût l’inverse… Ce rêve que j’avais entrepris de raconter était peut-être dérisoire, il offrait trop peu de matière pour les mots compliqués du dictionnaire, ma vie et les expériences qu’elles engendraient étaient bien trop simples pour faire l’objet d’un texte… Les grands écrivains relataient toujours des choses extraordinaires, même Zola que mon père citait souvent quand il évoquait la vie de ses parents et de ses grands-parents… Nous, nous ne vivions plus comme au temps de Zola, la preuve, puisque j’étais en train de me battre avec des mots, dans l’enceinte d’une école, pour raconter un rêve. Mais comme nous n’étions pas non plus des châtelains et que je ne vivais pas au milieu des princes, je n’avais pas plus de citrouille à transformer que de carrosse, et je sentais qu’à mon rêve le plus cher il manquait du piquant. J’avais pris le parti de la sincérité et le sujet au pied de la lettre. Je racontais vraiment mon rêve le plus cher. Je n’avais pas imaginé une seule seconde qu’il m’était loisible de l’inventer, de le créer de toutes pièces et d’affabuler totalement en me prêtant gratuitement pour une heure, le temps de les écrire, les désirs les plus fous, les plus délirants et les plus écrivant, fauteurs d’écriture et créateurs délictueux de songes et de mensonges magnifiques, qui auraient eu le pouvoir de déclencher dans mon encrier une bénéfique tempête, une frénésie d’inspiration époustouflante, un raz-de-marée de mots inouïs encore jamais écrits qui auraient tonné sur le papier au point de réveiller, d’étonner et de faire se lever les morts… Debout les mots! Je n’avais pas compris que les sujets de la maîtresse n’étaient que des prétextes. Je passais à côté de la littérature…
Littérature
Toi minuscule et colorée
Te regardant, je perçois en toi, des strates de toi bien plus anciennes que celle dans laquelle tu te déplaces actuellement.
Je me souviens, dans un gymnase surchauffé, de toi jonglant avec des balles de couleurs. Toi minuscule et colorée, passant d’un ainsi dénommé atelier à un autre. Tes mèches blondes ébouriffées accompagnaient tes mouvements et tes joues rougissaient de l’effort. Toi, toute à ta joie et à ton labeur, faisant tourner en ce qui aurait sans doute pu être des cercles concentriques qui s’affaissaient, se déplaçaient, s’amollissaient, s’esclaffaient, un immense ruban arc-en-ciel. Tes gestes étaient appliqués et tu avais dans le regard toute la concentration dont seuls les enfants sont capables.
Et ta main gauche, pendant toute cette concentration et cet effort que tu menais de haute lutte, était abandonnée à son immobilité, inutile, reposant dans l’air, doigts légèrement écartés, comme autrefois, c’est déjà devenu autrefois, à une époque où elle ne te servait à rien.
Il arrive encore, par hasard, que tu superposes des gestes archaïques à ceux que tu as appris à déployer dans le monde social des adultes. Ils apparaissent sans que je sois en mesure de les prévoir et ont une grâce très différente et émane des lointains de toi, de moments de vie qui ne nous appartiennent pas, et sur lesquels le langage vient échouer, puisque toi-même, alors, ne l’écoutait que comme une musique lointaine qui te berçait.
Tu as conservé longtemps cette étrange superposition en toi, je parviens toujours à la percevoir, et moi qui te regarde être avec constance, tentant de te déplacer le moins possible de ton axe, espérant parvenir à te laisser être, faisant le moins de bruit possible, je les reçois en ma mémoire comme des indices de toi.
Je crois que j’ai définitivement pris ton parti contre le monde des adultes. Mais ce n’est pas à toi que je peux le dire. Il faut que je fasse comme si. Je t’apprends seulement, sans que personne ne s’en rende compte et pas même toi, la négociation, et des techniques pour rester toi dans ce monde de faux-semblants que je leur abandonne. Le monde des adultes n’est rien d’autre qu’une vaste cour de Louis XIV qui aurait perdu son roi et vibrionne d’angoisse, palpite d’attente, chacun cherchant le roi, s’espérant roi, pauvres rois sans couronne désorientés et perdus dans une cour immense.
Ensuite ton prof de sport est arrivé, et le moment, sous son regard, a volé en éclats. Mais ça n’a pas d’importance.
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mars 2012.
Paumée, le blog de Brigitte Célérier
Brigitte Célerier brode la toile du net avec les mille petits riens qui font la saveur de sa vie quotidienne, celle-ci devenant partie intégrante de la nôtre au fil des lectures. Ah, l’écriture inquiète de Brigitte Célérier! Elle avance sans en avoir l’air, d’un pas hésitant mais patient, d’une plume qui doute mais qui trace, accompagnée de photographies qu’elle prétend souvent ratées mais qui illustrent pertinemment l’objet de son propos (qui n’est pas tant de montrer une perfection achevée que l’accompli imparfait, les modestes travaux des jours…), et se demande sans cesse s’il convient de continuer à nourrir Paumée (tout un programme!), son blog.
Brigitte Célerier cultive l’amour discret de l’humain, qui perdure en dépit de tout, la maladie, la malchance, les déceptions, les désillusions, les insuffisances, les limites des uns, des autres ou de soi-même. Ses sorties quotidiennes dans les rues d’Avignon sont l’occasion de cueillettes qu’elle nous fait partager dans les billets de son blog comme autant de pépites qui nous font admirer l’art avec lequel, mine de rien, elle promène son regard et son coeur sur le monde et sur les gens. C’est ainsi que, sur le chemin du retour vers ce qu’elle appelle « l’antre », chargée de cabas mais la tête dans les nuages, elle s’arrête soudain, « émerveillée par le coeur qui filait lentement, allongé dans le ciel, au dessus de ses [mes] pas » …
Evidemment, Brigitte Célerier nous fait profiter des merveilles qu’elle glane au cours du festival d’Avignon et, tout au long de l’année, à l’occasion des programmations du calendrier culturel de la ville, sans oublier le fruit de ses lectures, riches et denses, qui occupent le temps libre au fond de « l’antre ». Celui-ci devient ainsi – aussi – notre refuge. Et, dans le soir qui descend, nous faisons retour avec elle sur la journée écoulée, en tirons ce que pouvons, et nourrissons notre imaginaire de la cueillette du jour…
Le Jokari
Blog-littérature
Invitation à lire Francis Royo
Le soleil ne se regarde pas ou rend aveugle. Francis Royo est l’un(e) des rares à tenter et à réussir l’impossible. Les mots qu’il distille sont condensés jusqu’à la fulgurance du sens et le lecteur est comme frappé par la foudre. Il est donc possible de saisir l’éclair, de dire cela comme cela, avec des mots si justes, si justement choisis pour appréhender ce qui échappe?
Francis Royo dit la condition humaine, la condition commune, avec des accents hors du commun . Son regard est implacable, mais tendre. Il dit mieux que personne à quel point nous sommes inconsolables, enfants perdus que nous restons à jamais. Sa parole est d’or et de silence. Elle coule sur le sablier de l’existence. Le puits sans fond de l’exil où elle prend sa source lui donne des accents pascaliens, adoucis parfois, à la façon de Montaigne , par une méditation à la mesure de l’homme.
Sur les chemins, nous respirons avec Francis Royo les odeurs de la terre mouillée, et nous ressentons le poids de nos pas . Rimbaud n’est pas loin, et Verlaine.
Il lui arrive de céder à un rêve de bonheur.
Là derrière les soleils et les ombres sur les pentes frayées à coups d’épaule il y a toujours
cette merveille étrange qui n’a pas encore de couleur et qu’il faut inventer d’urgence
Bribes 5.2- 25 avril 2013.
Aux bords des mondes avec Isabelle Pariente-Butterlin
Se retirer aux bords des mondes est possible ici avec Isabelle Pariente-Butterlin. Loin de la fureur et du bruit. Y respirer et y vivre en vérité est à la portée de qui veut bien se laisser guider par sa main expérimentée, amie, qui fraie un passage dans les endroits les plus reculés de la conscience que nous avons de nous-mêmes, de l’univers et du langage. Aux bords des mondes est un lieu unique d’intelligence, de sensibilité et de beauté. Cet alliage ou cette alliance élève et rend heureux. Isabelle Pariente est une artiste qui polit ses phrases comme les galets de l’océan qu’elle aime tant. « Il importe sans doute pour moi… que je me souvienne toujours avoir eu comme jouet préféré le langage. » Elle « continue dans le langage ce geste qui a été celui de [mon] son enfance ». Chaque phrase est un fil tendu à la frontière poreuse des bords des mondes. Elle traque à chaque instant le point de fuite où se frôlent les extrêmes et l’impensable. Le geste d’écrire est celui d’un promeneur solitaire dont la seule certitude est d’avancer un pas après l’autre. Je s’inscrit dans le monde comme le point d’insertion fragile de la lettre en contact avec la page, point noir sur fond blanc, fond brillant de nos écrans numériques. Car la dynamique des bords des mondes ne serait pas la même sur un simple support papier. « La structure des bords des mondes, explique-t-elle ( link ), est, depuis que j’écris sur Internet, une structure dynamique. » « Par exemple, je ne savais pas que les images pour moi avaient une telle importance, je ne considérais pas que le sens de la vue était aussi central dans mon expérience du monde » (link )… Le carnet des images d’Isabelle Pariente est une merveille où se croisent et s’interpellent le dit et le vu, l’interprétation du réel et le réel imaginé, imaginaire. La logique interne au langage et à la pensée épouse le mouvement du monde dans l’apparence même qu’il nous livre. Aux bords des mondes est une immense pulsation, le battement d’un coeur qui devient le nôtre, un grand livre à lire et à relire sans discontinuer.