roseau

Une vie

     C’est un pôle, un aimant, une orientation, un Occident, un couchant, un penchant, une pente, une glissade, une reculade, un au revoir, un souvenir, une tristesse, un regret, un à venir, une promesse, un horizon, un Orient, un soleil, un océan, un continent, une île, une colline, un nuage, un mirage, un mirador, un mur infranchissable, une citadelle, une cité interdite, un paysage de brume, une traversée fantasmagorique, une hallucination, un voyage initiatique, un voyage inutile, sans but, sans téléobjectif, sans visée panoramique, une image floue, le désir fou d’un livre non écrit, quelques mots sur une page blanche ou quelques pas dans la neige, le tapotement de la pluie contre une vitre, l’abri que personne ne peut trouver, un refuge contre vents et marées, une solitude peuplée, un subterfuge, la rêverie d’un promeneur solitaire, le monde de l’imaginaire, les grains de sable qui coulent entre les doigts, le brin d’herbe contre les lèvres pour siffler, le roseau de la première flûte, l’aube du monde, l’émerveillement de la première fois, le sentiment de posséder l’Univers entre les doigts refermés sur un galet dans le creux de la main, l’ombre d’un arbre, le parfum d’une fleur, la caresse du soleil, le chant d’un oiseau, le murmure de l’eau, le souffle d’un vent léger, la rosée du matin, le ciel au-dessus des toits, la mer au-delà des dunes, l’oasis après le désert, la joie après la peine, l’aboutissement d’une quête, un retour à l’enfance, un dessin sur une page, une île au trésor, une cabane en planches, trois cailloux ramassés sur un chemin, un coquillage, l’appel de la mer, le chant d’un départ, l’ailleurs et le nulle part, la coïncidence de l’instant, l’ici et le maintenant, le réel déréalisé, la réalité transfigurée, l’au-delà du monde, le saut dans l’impossible, la mise en jeu de tous les motifs qui mettent en mouvement le désir, l’invention des mots manquants, le carnet de voyage, les notes semées sur la page comme les cailloux du Petit Poucet, le trois fois rien plus important que la description géographique, le point de départ, le point d’arrivée, le canevas des va-et-vient, le réseau des interactions, le dédale de tous les chemins qui s’ouvrent, le doute, l’hésitation, la peur de se perdre, le froid, la faim, les cauchemars de la nuit, l’extrême solitude, le face à face avec soi-même, la déception, la désillusion, la traversée d’un désert, la fuite en avant, le point de non retour, le Graal ou la malédiction, la vie ou la mort, le cœur oppressé, les pensées délirantes, le but ultime qui se dérobe, le désespoir, les hordes de fantômes et les maisons hantées, la nostalgie, le retour impossible, les mots blancs d’un livre qui ne s’écrit pas, le viatique des pages vides serrées contre la poitrine, le chagrin de se retrouver sans forces, le corps échoué sur un banc de sable ou la pente d’un talus, aussi ballotté qu’une algue par les vagues ou un brin d’herbe par le vent… le renoncement, l’acceptation, l’inscription du voyage sur les rides du visage, l’image qui surnage à la surface de la mémoire, un ponton flottant, une barque rouillée, la corde qui la retient, l’absence de rames, les chiens qui aboient au loin, les roseaux entre lesquels le regard scrute la rive, le clapotis, l’attente, les ronds qui se forment à la surface de l’eau…

   (Texte écrit dans le cadre des ateliers d’écriture de François Bon. Merci à lui!)

Ce que disent les objets

LA REVENANTE

Récit écrit au cours de l’été 2018

pour l’atelier d’écriture de François Bon sur Le Tiers Livre (suite)

     Les objets sont posés en éventail sur la toile cirée qui recouvre la table. Des photos, quelques cartes postales, une pile de lettres, des coupures de journaux, un petit objet en cuivre muni d’une loupe, une fine baguette de bois souple, de la colophane, un livre de poche au dos décollé, une vieille montre, un brassard, un calot de soldat… Les pages du livre sont gondolées, les couleurs de la couverture sont presque effacées, on devine la photo d’un poilu sous le nom de l’auteur, Henri Barbusse, Le feu… Sur la toile usée du brassard, une croix rouge… Rouge également l’inscription d’une adresse sur une enveloppe blanche, les autres adresses de la pile de lettres sont libellées à l’encre violette sur de vieilles enveloppes bleues; les cartes postales sont jaunies et tachées; sur une photo en noir et blanc aux bords dentelés, un chasseur alpin sourit à l’objectif avec un mouton entre les bras; sur une autre photo, en couleur et relativement récente, un homme d’une soixantaine d’années pose devant des rouleaux de toile… Le petit objet en cuivre dont les côtés articulés se déplient est un quart de pouce, sa loupe servait à compter les duites… La baguette de chef d’orchestre est une tige de roseau fine et assez courte, enduite de couleur blanche… La boîte en fer qui contient la colophane est ronde comme le cadran de la vieille montre-bracelet, mais plus large que celle-ci, bien que peu volumineuse… Tout en haut d’un beffroi, sur une carte postale abîmée par des pliures horizontales qui ont cassé son glaçage, une horloge circulaire semble regarder la ville qu’elle surplombe… une autre carte postale représente la façade ornementée du « nouvel » Opéra de Lille, inauguré en 1923 après l’occupation allemande ; au dos, quelques lignes de texte retracent l’historique de sa destruction-reconstruction à la suite d’un incendie survenu en 1903… Les adresses inscrites à l’encre violette sur les vieilles enveloppes bleues mentionnent des lieux situés dans le Nord de la France, en Angleterre ou en Allemagne… dans le paquet de lettres, des pages ont été écrites au crayon rouge sous les bombes… La plus grande des coupures de journaux, en format double, retrace la campagne de mai 1940 à l’aide d’une carte détaillée de la ligne de front et du mouvement des troupes dans la plaine du Nord… Sur de toutes petites coupures datées de 1936, 1938 et 1947, des noms de lauréats ont été listés par spécialité instrumentale en face des œuvres proposées aux concours par le Conservatoire national de musique de Lille…