révolu

La vie devenait impossible

   

  Comment expliquer mon propre aveuglement à cette époque incroyablement révolue où les plus privilégiés d’entre nous pouvaient vivre avec insouciance? Il existait pourtant au sein même des pays riches des situations d’extrême pauvreté qui auraient pu nous aider à ouvrir les yeux, mais elles ne faisaient jamais la une des journaux et restaient relativement cachées sans jamais devenir la priorité des hommes et des femmes politiques. Les pays émergents évoluaient, sauf exception, comme les pays riches, avec une classe moyenne de plus en plus nombreuse qui réclamait sa part de richesse sans vraiment remettre en cause les fondements d’un système qui avait besoin, pour prospérer, d’exploiter les plus pauvres et de piller la planète. La vie devenait impossible pour des millions d’êtres humains qui ne trouvaient plus ni à manger ni à boire dans les endroits du monde que les conditions climatiques avaient toujours rendus difficiles et arides, mais que les pratiques ancestrales respectueuses de l’écosystème avaient pourtant presque toujours réussi, jusqu’alors, à apprivoiser. Des cohortes d’hommes, de femmes et d’enfants avaient commencé de migrer dès le début des années 2000 pour échapper à la famine et aux guerres que se livraient les populations pour tenter d’accaparer ce qu’il restait de ressources, mais les gens comme moi vivaient dans une cage dorée qui les rendait insensibles ou inconscients. J’en ai aujourd’hui terriblement honte et je voudrais pouvoir demander pardon. Pourquoi nos erreurs sont-elles irréversibles? Pourquoi la fatalité de nos comportements nous a-t-elle conduits à notre propre destruction? Les esprits forts s’étaient moqués des récits religieux sans parvenir à leur substituer une sagesse humaine universelle qui aurait pu nous protéger de nos errements. Orgueil suprême sans doute de penser que nous nous suffisions à nous-mêmes! Le chemin était étroit entre les illusions religieuses et l’intolérance qu’elles suscitent, et la croyance en notre toute-puissance. Pourquoi les humains se sont-ils comportés si souvent au cours de l’Histoire, mais d’une façon inégalée dans la dernière période, de façon aussi irrationnelle?

     Drôle d’Histoire

     2055

Litanie

rien
qu’une brise légère
qu’une fleur éclose
que le vol d’un papillon
qu’une abeille qui butine
que le bourdonnement de l’été
que la fraîcheur de l’ombre
que la chaleur du soleil
que le gazouillis d’un oiseau
que le tam-tam lointain de l’orage
que trois gouttes de pluie
que le vent qui se lève
puis se rendort
rien qui ne presse
qui ne pèse
qui ne fâche
qui n’importe
qui ne vaille la peine
que l’on coure
que l’on souffre
que l’on affronte le monde
que l’on meure
rien
que ton sourire
que ton bonheur
que tes rêves
que tes espoirs
que ta dignité
que ton espérance
que la joie qui serait tienne si tout
ce qui t’a poussé sur les routes
ce qui t’a fait traverser les mers
la guerre
la faim
la misère
l’intolérance
la torture
les persécutions
n’était plus qu’un cauchemar à jamais révolu
car auprès de nous toi le Migrant
tu aurais trouvé des frères
et ce que tout être humain recherche

la paix et la sérénité

Nostalgie

Ce texte, qu’elle avait conservé dans un cahier comme une fleur fanée, avait pris la fonction d’un fanal… Il balisait le passé… Quelques années seulement s’étaient écoulées, un siècle… Pire, ce passé récent était coupé du présent, séparé de lui par une frontière impitoyablement infranchissable : la continuité de la vie s’était brisée. Derrière, transformés en mythe, âge d’or, paradis perdu, les temps à jamais révolus avaient laissé quelques hiéroglyphes, des souvenirs jaunis, et cette impression désagréable de flotter à la surface d’événements qui n’avaient pas de profondeur…

L’avenir improbable