moyens

L’opinion publique manipulée

Nous étions si fragiles…

    Comme d’habitude, le pouvoir avait cherché à manipuler l’opinion en lui cachant les aspects de la réalité qui le gênaient, à commencer par les failles pourtant manifestes des services de renseignement qui auraient dû prévoir et déjouer ce type d’attentat (l’augmentation du budget de la sécurité engagée en 2016 avait surtout profité aux policiers, les moyens alloués à la justice comme à la prévention avaient stagné…). Le lobby nucléaire, qui avait si bien réussi en France à neutraliser les tentatives d’instauration d’un débat national sur la nécessité de sortir du piège mortifère de la production d’électricité par la fission de l’atome, était aux abois. La société distributrice d’électricité ENEDIS, ex-EDF, qui avait déjà sauvé de la faillite quelques années auparavant l’ancien fleuron de l’industrie nucléaire française Areva, devenu Orano, s’apprêtait à le faire une deuxième fois à la suite des rebondissements du scandale UraMin, en se précipitant à son tour dans le mur, le crash, à plus ou moins long terme, était prévisible… Comme l’État et le lobby nucléaire ne faisaient qu’un, l’argent des contribuables pouvait être facilement ponctionné pour renflouer les caisses! Or, malheureusement pour le pouvoir, les citoyens contribuables étaient aussi des électeurs souverains capables de le sanctionner, et la gestion calamiteuse du nucléaire commençait à apparaître au grand jour. L’opinion publique risquait de s’emparer des questions liées à l’attentat pour les relier à celle, plus vaste, du choix de société auquel elle avait consenti par omission depuis si longtemps, faute d’informations et de débat, depuis la construction des premiers réacteurs civils et le commencement de leur mise en service en 1976…

Conscientisation

Il lui semblait bizarrement que tout restait possible et pourtant, d’une certaine façon, que l’avenir était déjà verrouillé. Pourquoi cette sensation d’une barrière invisible et sournoise construite à son insu par elle ne savait quelles puissances obscures?… N’était-elle pas responsable de cette espèce de dérive qui, insensiblement, avait éloigné d’elle Stéphane?… Il était limpide, elle se jugeait compliquée. Il s’exprimait toujours avec une lucidité confondante et une logique irréfutable, la poussait au bout de ses retranchements, parvenait à lui démontrer la justesse de sa position, réussissait à obtenir au moins son adhésion rationnelle, mais n’arrachait pas les dernières réticences, les hésitations, les résistances, qui restaient accrochées au fond d’elle-même comme des ronces. L’école capitaliste en France… il ne fallait pas devenir prof… Les paroles obsédantes de Stéphane résonnaient sourdement comme le bruit mat d’un échec. Sous les pavés, ce n’était pas vraiment la plage que recherchait Stéphane. Elle ne le suivait que jusqu’à un certain point. Le point de non-retour se situait quelque part entre la fin et les moyens. Prendre au sérieux la Révolution, la vraie, c’était l’assumer jusqu’à son accomplissement total, en acceptant par avance et les larmes et le sang. Or, elle se voulait résolument pacifiste, ce qui avait le don d’agacer Stéphane. Catherine n’avait pas ces scrupules. Elle était très jeune. Parmi les activités militantes de Stéphane, il y avait la distribution de tracts et la vente de journaux à la sortie des lycées. Catherine avait pris le tract, acheté un journal réalisé par le groupuscule révolutionnaire auquel appartenait Stéphane, et puis elle avait écouté sa belle voix chaude discourir sur le marxisme-léninisme. Alors il l’avait emmenée dans un café proche de son lycée pour continuer l’entretien. C’était banal. Le travail normal du militant de base.

L’avenir improbable