écrans

Anonymes et citoyens lambda

(fiction en cours d’écriture)

     L’époque, plus que toute autre, aimait le divertissement, qui lui était désormais offert non plus seulement sur les écrans de télévision classique, mais aussi sur toutes sortes de supports connectés, nomades et tactiles. Les professionnels de la politique usaient et abusaient des sondages et des techniques de communication pour devancer l’opinion et l’orienter dans le sens qu’ils souhaitaient. Mais les réseaux sociaux étaient nés, Facebook, Twitter, et ce dernier surtout permettait un échange d’informations partout et à tout moment à l’instant même où un événement se produisait, où se tenait une réunion, un rassemblement, où se faisaient les discours. L’échange était théoriquement limité par l’obligation de condenser les messages en 140 caractères (pas un de plus!), mais cette contrainte était contournée par l’ajout de liens qui renvoyaient les interlocuteurs vers des sites, blogs, journaux électroniques, qui procuraient aux auteurs l’espace nécessaire pour développer leurs idées, au grand dam de la presse traditionnelle qui voyait se lever devant elle des citoyens lambda qui faisaient oeuvre de journalisme, et de l’intelligentsia admise dans les palais de la République dont la pensée à la mode était brillamment contestée par des anonymes qui faisaient preuve d’une rigueur intellectuelle dont elle n’avait plus l’habitude et qui aurait dû lui faire honte…

     Ecrit depuis l’avenir

     2064

Drôle d’Histoire…

     La Russie n’en finissait pas de vivre au temps de Boris Godounov, l’Occident surfait tout entier sur la Toile, l’Orient continuait de se déchirer dans des guerres de religion qui ne donnaient pas tort à Malraux, des catastrophes écologiques avaient commencé de ravager la planète, mais les écrans d’ordinateur et de télévision crachaient tous des images de paradis terrestre. Un serpent à l’apparence inoffensive tendait obligeamment à des humains jeunes et beaux les pommes concoctées par les multinationales toutes-puissantes qui possédaient les vitrines du monde entier. Les vieux, les malades, les miséreux, d’une certaine façon, n’existaient plus, ils ne figuraient jamais sur les belles images diffusées par les écrans, leur présence gênait, ils faisaient tache et se sentaient indésirables, on pensait vraisemblablement qu’ils feraient mieux de débarrasser le plancher… Ce que les puissants n’avaient pas prévu, c’est que les masses de laissés pour compte, les chômeurs et précaires de toutes sortes qui avaient grossi le nombre des misérables dans les pays dits riches, finiraient par se soulever et par faire vaciller l’ordre établi. Drôle d’Histoire… Qui ne dit jamais son nom quand elle se présente… On la croit toute petite, insignifiante, inoffensive, elle a l’air si touchante, si jeune, si belle, si amusante, oui, d’une certaine façon, à cette époque-là, on s’amusait beaucoup, enfin ceux comme moi qui le pouvaient, c’était, oserais-je dire, en soi, une très belle époque… Ce qu’il y a de terrible, vous voyez, c’est que l’on n’est jamais quitte!… On a payé très cher pour des fautes qui, d’un certain point de vue, n’étaient que vénielles… Comment voulez-vous savoir à l’avance ce qui sera grave? Nous avions une très grande envie de vivre. Vivre, n’est-ce pas cela, au fond, qui est très grave? Nous avions tellement envie de vivre à notre façon insouciante que nous n’avons rien vu venir. Nous n’avons pas voulu voir, voilà notre faute impardonnable.

     Drôle d’Histoire

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