interstice

Le manuscrit

Atelier d’hiver de François Bon

Mes contributions

     Selon la rumeur, la maison était vide et peuplée de fantômes. En attestaient les sons étranges perçus par les passants qui en longeaient les murs. Les plus audacieux essayaient d’identifier les bruits en collant une oreille à la porte ou scrutaient les interstices des volets dans l’espoir de découvrir un signe de présence… Avant-guerre, les propriétaires donnaient de grandes fêtes dont se souvenaient quelques vieillards, mais on ne les avait plus jamais revus…

     Selon la rumeur, les anciens habitants avaient disparu sans laisser de traces excepté quelques pierres empilées dans ce qui avait dû être un jardin ; elles formaient une sorte de sculpture autour de laquelle on se rassemblait pour invoquer l’esprit des lieux…

     Selon la rumeur, le monde avait connu mille ans de grande prospérité avant d’être anéanti par les dieux. Quelques vieillards évoquaient cet Eden comme s’ils l’avaient eux-mêmes connu, mais sans doute ne faisaient-ils que transmettre des récits qu’ils avaient entendus ou lus…

     Selon la rumeur, le cataclysme n’avait laissé derrière lui qu’un empilement de pierres en forme de totem, au pied duquel avait été retrouvé un manuscrit dont la première et la dernière page avaient été malheureusement arrachées. Il y était question d’un Procès. En l’étudiant, les sages espéraient découvrir les clés de l’Univers et comprendre l’origine de leur malheur…

Données fantômes

  

   O lecteur improbable, tu ne recevras sans doute jamais cette lettre (récit? confession?) que j’écris pour toi. Les batteries de nos quelques ordinateurs peuvent  encore être rechargées sur des prises qui reçoivent le courant d’une petite centrale électrique autonome qui alimente la base où nous avons trouvé refuge. Martine, qui était physicienne, et Alain, ingénieur en électronique, parviennent à la faire fonctionner. Mais quand le matériel tombera en panne ou sera usé, plus rien ne nous reliera au mode de vie qui était le nôtre avant la série de cataclysmes qui ont dévasté le monde. Tout au fond des océans, des câbles de fibre optique véhiculent sans doute encore des données fantômes qui proviennent d’un univers mort. Ma boîte mail paraît même fonctionner et j’envoie des messages comme autant de bouteilles à la mer! L’esprit humain était ainsi fait, jadis, quand tout semblait encore évolutif, que l’espoir pouvait se faufiler dans le moindre interstice… Mais non. Le comble de l’irrationalité serait de croire que mon récit me survivrait. Une sorte d’instinct me pousse cependant (comment l’expliquer?) à imprimer au fur et à mesure ce que j’écris avec le matériel de bureau intact et les blocs de feuilles que nous avons trouvés dans les bâtiments de la base. Je ne fais que mettre en œuvre un système de réflexes qui n’ont plus de sens aujourd’hui, mon esprit le sait, mon corps ne l’a pas encore admis et tente de repousser comme il peut les affres de l’angoisse en s’adonnant à l’apparence d’une activité familière qui était celle de mon job de journaliste. Les deux plus jeunes du groupe, Julie et Jordan, se sont mis à s’aimer d’amour tendre, ils sont touchants… Bizarrement, moi, je ne me laisse plus approcher par Luc… Les autres se débrouillent comme ils peuvent avec leurs sentiments et leurs pulsions… Je les regarde d’un œil lointain, à travers la vitre de ma propre anxiété… Tous, nous essayons cependant de faire attention. Le moindre dérapage pourrait déclencher entre nous des tempêtes inouïes…

     Drôle d’Histoire

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