fonctionner

Effondrement

Nous étions si fragiles…

    L’explosion de l’EPR de Flamanville avait fait sauter les réseaux d’approvisionnement électrique de tout le quart Nord-Ouest de la France et privé l’ensemble du pays d’une part importante de sa production d’électricité. Les groupes électrogènes étaient affectés en priorité aux hôpitaux et, dans un certain nombre d’entrepôts frigorifiques privés de courant, la viande commençait à pourrir. L’entêtement des décideurs français à maintenir à tout prix l’industrie nucléaire avait empêché le pays de diversifier sa production par le développement des énergies renouvelables, qui manquaient soudain cruellement! L’électricité était indispensable à la vie de tous les jours, toute la vie économique en dépendait, et toute la vie sociale! Plus personne ne pouvait se passer des appareils de communication nomades dont le seul inconvénient était de fonctionner avec des batteries qui n’étaient pas inépuisables et qu’il fallait trop souvent recharger… la navigation sur le web était devenue pour (presque) tout le monde aussi naturelle que la marche à pied! Les réparations et la reconfiguration dans l’urgence des circuits de distribution prenaient beaucoup de temps et provoquaient d’autres séries de pannes. Pour compenser les défaillances, l’État sollicitait les gouvernements voisins pour qu’ils dirigent leurs surplus d’électricité vers les lignes à haute tension sous-alimentées, mais l’ambiance diplomatique n’était pas au beau fixe, les pays frontaliers voulaient du donnant-donnant, un peu d’électricité contre le pouvoir d’obtenir enfin de la France l’arrêt du nucléaire?… La vie économique, la marche des affaires, le fonctionnement des services administratifs et des Institutions, reposaient désormais entièrement sur les réseaux informatiques, les pannes entravaient la circulation de l’information, l’instruction des dossiers, mettaient en péril la sauvegarde des données. Cette vulnérabilité, notamment dans les ministères régaliens de la défense et de la Sécurité, aggravée par la menace de nouvelles cyberattaques massives analogues à celles qui avaient fait vaciller l’Etat juste après le déclenchement de la grande crise financière de 2029, fit sauter les derniers verrous qui protégeaient encore certains espaces de liberté démocratique dans l’Etat policier de la présidente de la République (?!!!) Marion Maréchal-Le Pen…

Les derniers feux

Nous étions si fragiles…

    La fin de l’Histoire était imminente, mais le marché néolibéral moribond et nauséabond réussissait encore, hélas, à donner le change. La municipalité de Boston se lança dans des projets de reconstruction pharaoniques destinés à montrer que la puissance américaine sortait intacte de l’épreuve! Les architectes les plus renommés furent sollicités pour imaginer des bulles transparentes destinées à protéger les gratte-ciel de l’atmosphère radioactive, et pour construire sur des îles artificielles, comme à Dubaï ou au Japon, les nouveaux quartiers qui devaient redynamiser la ville. Le défi le plus difficile à relever restait cependant celui de la décontamination. L’Etat fédéral en fit une grande cause nationale en demandant à la NASA et à tous les grands laboratoires du pays d’y consacrer tous les moyens disponibles. Les investisseurs commencèrent alors à s’intéresser aux innombrables chantiers de démantèlement de centrales nucléaires laissées jusqu’alors à l’abandon partout dans le monde, faute de financements et de solutions techniques. Le gisement était gigantesque car la vieille Europe n’avait pas saisi l’opportunité de s’emparer du problème quand la plupart de ses membres avaient décidé d’abandonner cette source d’énergie après la catastrophe de Fukushima survenue en 2011. Les Etats-Unis, à l’inverse, échafaudèrent un plan de bataille digne des plus grandes épopées pour débarrasser la Terre du Mal radioactif! Avec l’aide de la machinerie hollywoodienne remise au goût du jour, la Décontamination devint le nouveau mot d’ordre national, la nouvelle guerre à gagner, le nouveau territoire vierge de toute exploration humaine sur lequel le premier drapeau planté devait être américain, comme sur la lune en 1969! Après la chute vertigineuse des indices boursiers et la panique généralisée qui avaient suivi l’attentat de Boston en plongeant l’économie dans le chaos, Wall Street et le Nasdacq se remirent à parier sur les profits attendus de ce nouvel Eldorado. La Réserve fédérale alimenta la planche à billets et les capitaux affluèrent dans toutes les branches de la nouvelle industrie qui devait faire échec au monstre nucléaire enfanté au vingtième siècle par le monde occidental prométhéen! Les moteurs habituels de l’expansion économique se remirent à fonctionner à plein régime, et en quelques années, le modèle américain pourtant à bout de souffle réussissait une fois de plus, semblait-il, à renaître de ses cendres… Dieu n’avait donc pas encore abandonné l’Amérique?…

Soliloque

Nous étions si fragiles…

    Le blog que je tenais dans les pages web du journal pour lequel je travaillais fonctionne encore. Depuis quelques jours, je rédige des articles sur notre vie ici. Je les poste en espérant qu’ils suscitent le miracle d’un commentaire… Pourquoi continuer ce triste monologue? Le temps qui passe nous enferme dans une solitude radicale et confirme si besoin était le degré de destruction du monde…

Mon blog

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     Le blog que je tenais dans les pages web du journal pour lequel je travaillais fonctionne encore. Depuis quelques jours, je rédige des articles sur notre vie ici. Je les poste en espérant qu’ils suscitent le miracle d’un commentaire… Pourquoi continuer ce triste monologue? Le temps qui passe nous enferme dans une solitude radicale et confirme si besoin était le degré de destruction du monde…

     Le piano de Louis 

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Données fantômes

  

   O lecteur improbable, tu ne recevras sans doute jamais cette lettre (récit? confession?) que j’écris pour toi. Les batteries de nos quelques ordinateurs peuvent  encore être rechargées sur des prises qui reçoivent le courant d’une petite centrale électrique autonome qui alimente la base où nous avons trouvé refuge. Martine, qui était physicienne, et Alain, ingénieur en électronique, parviennent à la faire fonctionner. Mais quand le matériel tombera en panne ou sera usé, plus rien ne nous reliera au mode de vie qui était le nôtre avant la série de cataclysmes qui ont dévasté le monde. Tout au fond des océans, des câbles de fibre optique véhiculent sans doute encore des données fantômes qui proviennent d’un univers mort. Ma boîte mail paraît même fonctionner et j’envoie des messages comme autant de bouteilles à la mer! L’esprit humain était ainsi fait, jadis, quand tout semblait encore évolutif, que l’espoir pouvait se faufiler dans le moindre interstice… Mais non. Le comble de l’irrationalité serait de croire que mon récit me survivrait. Une sorte d’instinct me pousse cependant (comment l’expliquer?) à imprimer au fur et à mesure ce que j’écris avec le matériel de bureau intact et les blocs de feuilles que nous avons trouvés dans les bâtiments de la base. Je ne fais que mettre en œuvre un système de réflexes qui n’ont plus de sens aujourd’hui, mon esprit le sait, mon corps ne l’a pas encore admis et tente de repousser comme il peut les affres de l’angoisse en s’adonnant à l’apparence d’une activité familière qui était celle de mon job de journaliste. Les deux plus jeunes du groupe, Julie et Jordan, se sont mis à s’aimer d’amour tendre, ils sont touchants… Bizarrement, moi, je ne me laisse plus approcher par Luc… Les autres se débrouillent comme ils peuvent avec leurs sentiments et leurs pulsions… Je les regarde d’un œil lointain, à travers la vitre de ma propre anxiété… Tous, nous essayons cependant de faire attention. Le moindre dérapage pourrait déclencher entre nous des tempêtes inouïes…

     Drôle d’Histoire

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