écluse

Souvenirs imaginés

A Z., dans les pas de Julien, elle longerait de nouveau le canal sur son autre berge, en sens inverse. Elle ferait cela plusieurs fois, de la fabrique qui de loin lui apparaîtrait dans sa totalité jusqu’au pont de l’écluse, et de l’écluse à la fabrique. Par association d’idée, à un moment donné, elle penserait à l’Ile des Ecluses et aux rives du Landwehrkanal où elle avait flâné en pensée aux côtés de Stéphane. Tous deux s’étaient arrêtés, au cours de ce voyage imaginaire, devant la plaque commémorant l’assassinat dont Karl Liebniecht et Rosa Luxemburg (leurs corps avaient ensuite été jetés dans le Landwehrkanal) avaient été victimes dans les jardins du Tiergarten…

L’avenir improbable

Aller à Z.?

On lui avait dit que l’usine battait de l’aile… Dans ce cas, comme toutes celles qui avaient déjà baissé pavillon, elle présenterait tous les stigmates de l’abandon, vitres cassées, rouille, pans de murs qui s’effritent, et dans la cour, sur l’ancienne plate-forme de chargement, un chariot renversé les bras en l’air, un éparpillement d’outils semés comme des fleurs sauvages, un lot de toile pourrissante – de la bâche (dans cette usine-là, on ne faisait pas dans la dentelle), un wagon immobilisé sur des rails qui s’arrêteraient bizarrement juste au bord du canal, quelques bidons, des pneus de poids lourd, et plus loin, adossée auprès d’une porte sur laquelle on lirait encore en épaisses lettres blanches « ATELIER », une machine compliquée qu’elle aurait l’impression d’avoir déjà vue fonctionner, dans le vacarme des navettes domptées par le claquement sec des fouets, à l’occasion d’une visite, d’une fête, d’un départ en retraite, d’une remise de médaille du travail, un métier à tisser sur lequel lui ou un autre aurait fabriqué le dernier rouleau de toile, de la bâche en train de pourrir à quelques mètres de l’atelier, parce qu’elle aurait raté le dernier chargement… Elle irait alors jusqu’au canal. Elle lèverait la tête pour apercevoir la haute cheminée de la fabrique qui avait usiné la vie de son père. Elle marcherait sur le chemin de halage. Elle ne saurait pas vraiment ce qu’elle serait en train de chercher. Elle irait jusqu’à l’écluse et traverserait le pont en face de l’ancien estaminet ; peut-être serait-il encore debout, et peut-être serait-il possible encore de lire son enseigne : « A L’HABITUDE »

L’avenir improbable