sanitaire

Les naufragés du nucléaire

Nous étions si fragiles…

    L’EPR de Flamanville venait d’exploser et de déclencher une catastrophe nucléaire qui dépassait l’entendement, l’information était sidérante et se heurtait à une sorte de refus instinctif d’en accepter la signification!… Les médias, en France comme à l’étranger, prenaient difficilement la mesure des conséquences de ce cataclysme, et les commentaires étaient encore empreints d’une relative retenue. Mais quand je suis rentrée quelques jours plus tard à Paris, à la demande de ma rédaction, il n’était plus possible de fuir la réalité… Tout le pays était en état de crise. Ce que je découvris sur les routes était hallucinant… je me trouvais confrontée à des drames humains comparables à ceux que j’avais dû couvrir dans des pays en guerre!… L’évacuation des habitants de la région Nord-Ouest, directement touchés par les dégagements de radioactivité, se heurtait à toutes sortes de situations imprévisibles que les services de l’Etat et des collectivités territoriales, qui menaient conjointement les opérations, avaient beaucoup de mal à régler malgré tous les plans qui avaient été officiellement mis en place, au moins sur le papier, en cas d’accident grave que les bons esprits s’étaient obstinés à considérer comme hautement improbable. Les naufragés du nucléaire étaient ballottés d’un endroit à un autre, dormaient dans des gymnases, mangeaient au hasard des distributions de nourriture, souffraient de mauvaises conditions sanitaires et surtout d’un manque de visibilité cruel sur leur devenir. Il n’y avait pas assez de psychologues et de cellules post-traumatiques pour les aider à surmonter l’épreuve! Leurs visages fatigués et ravagés par le stress, leur désespoir de quitter brutalement et pour toujours les lieux de leur vie intime et familiale serraient le coeur… Au cauchemar de cet exode s’ajoutait la crainte d’avoir absorbé des doses trop élevées de particules radioactives. La vie, leur vie, ne serait plus jamais comme avant!… Leur pronostic vital était vraisemblablement engagé, une menace de mort pèserait en permanence sur eux et sur leurs proches…

Le décor tenait encore debout

Nous étions si fragiles…

    De sombres nuages s’amoncelaient à l’horizon. C’est en 2022 sans doute que la tragédie planétaire dont le décor était planté depuis déjà plusieurs décennies noua ses derniers ressorts. Les nationalismes renaissants allaient dresser les pays les uns contre les autres. Le marchéisme sans retenue à l’œuvre dans le monde entier, et que le protectionnisme affiché par Donald Trump aux Etats-Unis ou Marine Le Pen en France n’entravait que très mollement, préparait une nouvelle crise financière encore plus destructrice que celle de 2007-2008; elle éclaterait cent ans seulement après le sinistre Jeudi Noir de 1929… L’entêtement de la France à perpétuer le nucléaire civil l’entraînait inexorablement vers une catastrophe que tous les gens de bon sens redoutaient en vain, et qui ajoutait ses funestes perspectives aux autres périls écologiques. Sur le continent américain, des feux de forêt gigantesques avaient commencé de ravager ce qu’il restait de grands espaces naturels en provoquant la panique de milliers, voire de centaines de milliers d’habitants des grandes villes voisines, contraints d’abandonner leur maison et de fuir sur les routes en n’ayant pu réunir pour tout bagage que quelques pauvres souvenirs. Au Sahel, la sécheresse provoquait l’exode de toute une population qui s’était battue avec le dernier courage pour continuer d’arracher au sol, malgré les difficultés croissantes dues au dérèglement climatique, la nourriture qui lui avait permis jusqu’alors de vivre sur les terres ancestrales. On ne souffrait plus seulement de la faim mais aussi de la soif, et des foyers de guerre pour le contrôle de l’eau, au Moyen-Orient et en Afrique, étaient entretenus par les grandes puissances pour assurer leur mainmise sur les dernières ressources minières et pétrolières encore exploitables de cette région du monde. En Amérique du Sud, l’alimentation en eau potable des mégalopoles devenait un cauchemar permanent pour tous les habitants, mais ce n’était pas mieux dans les régions montagneuses à l’écart des grandes villes. Même aux Etats-Unis, dans une ville comme Las Vegas, l’eau manquait cruellement et la toute-puissance Yankee n’y pouvait rien. Les mouvements de population provoqués par les bouleversements climatiques favorisaient le développement et la propagation de nouveaux microbes ou de nouveaux virus. Des maladies inconnues apparaissaient, qui n’épargnaient plus les ressortissants privilégiés des pays riches, car la pauvreté croissante des populations laborieuses les rendait vulnérables. Les dépenses de santé augmentaient mais les remboursements diminuaient, particulièrement en France où la Sécurité sociale, qui avait été à l’avant-garde de toutes les politiques de soins occidentales, subissait des coupes sombres de la part de dirigeants plus soucieux de prétendus déficits que du bien-être réel des malades. Un grand nombre de personnes n’avait plus les moyens de se soigner et fragilisait ainsi les barrières sanitaires mises en place par le corps médical… Toutes les bases de la vie sociale dans les pays riches et moins riches s’étaient mises à vaciller, et si le décor tenait encore debout, les plus lucides appréhendaient le moment où le château de cartes s’écroulerait sous les assauts conjugués des multiples catastrophes déjà en cours ou qui se préparaient…

Le vrai visage des États-Unis

Nous étions si fragiles…

    L’état d’urgence sanitaire ne fut déclaré par le gouverneur que le 8 janvier 2016. Quelques jours plus tard, quand le président Obama déclara Flint en état d’urgence fédérale pour accélérer la distribution de filtres et de bouteilles d’eau minérale à la population, le scandale prit une ampleur nationale. Le monde entier découvrait les dessous de la prospérité américaine, par ailleurs déclinante… Pour le metteur en scène Michael Moore, natif de Flint, ce n’était pas « juste une crise de l’eau, mais une crise raciale, une crise de la pauvreté… un tel scandale ne serait jamais arrivé dans une ville aisée et blanche du Michigan!… » La gestion désastreuse de cette crise sanitaire, déclenchée qui plus est par la décision funeste des administrateurs de la ville de faire des économies dans un domaine crucial pour la santé de la population, était en effet révélatrice de la façon dont les citoyens les plus pauvres étaient traités de façon générale aux Etats-Unis…

Derrière le masque

     Les gens avançaient masqués, pas de façon métaphorique avec un visage insincère (qu’il n’était plus possible d’essayer de décrypter car il était caché), mais avec un morceau de tissu bien réel apposé contre le bas de leur visage, de la racine du nez au menton. Seule l’expression des yeux et leur mouvement permettaient de jouer à deviner ce que les personnes croisées ou côtoyées pouvaient avoir dans la tête. Des hélicoptères et des drones surveillaient les allées et venues de la population, qui retenait sa respiration au sens propre tout autant que figuré, pour se protéger d’un méchant virus apparu quelques mois plus tôt et dans l’attente anxieuse d’un avenir proche qui ne promettait rien de bon. Les événements prenaient en effet une mauvaise tournure. Mais Silvio, le serveur du bar italien qui venait de réaménager sa terrasse pour accueillir les clients dans le respect de la nouvelle réglementation sanitaire, savourait le moment présent en respirant les effluves du printemps de ce bel après-midi ensoleillé de la fin du mois de mai, et souriait derrière son masque. Debout derrière le comptoir, son patron Giovanni remplissait des colonnes de chiffres en soupirant et en se passant souvent une main dans les cheveux. Le report des charges, les subventions, les facilités accordées par la banque pour rembourser les prêts allégeaient momentanément le poids de ses soucis, mais si le virus ne disparaissait pas bientôt en rendant inutiles les précautions actuelles qui avaient pour conséquence la division par deux de la clientèle et donc du chiffre d’affaires, il redoutait de devoir mettre la clé sous la porte. En passant devant le bar, Élodie adressa un petit signe de tête à Silvio. Elle aussi souriait derrière son masque, mais Silvio, malheureusement, ne pouvait pas le voir. Elle marchait tranquillement en étant attentive aux sensations ressenties par son corps. Elle aimait sa famille, ses parents, son frère et sa sœur plus jeunes, mais la promiscuité imposée par le confinement lui avait été insupportable. L’annulation des cours et le report des examens l’avaient fortement contrariée, elle n’avait pas de temps à perdre. Elle compensait le faible montant de la bourse à laquelle elle avait droit par des petits boulots qui lui avaient fait défaut ces derniers mois. Et Giovanni n’était pas près, pensait-elle, de faire appel à elle pour aider Silvio à servir les pizzas! Son regard croisa celui d’une femme assise à une table de la terrasse située juste en face du bar italien. Ce n’était pas la première fois qu’elle la voyait installée là, prenant des notes sur un carnet ou tapotant sur un clavier, une sacoche à ses pieds. Quand elle l’apercevait en début de matinée ou d’après-midi, il n’était pas rare qu’elle la retrouve au retour à la même table avec la même attitude d’étudiante vieillie qui sirote un café en travaillant ses cours. Les hélicoptères bourdonnants ainsi que les drones bénéficiaient d’une vue plongeante sur la ville. Leur œil omniprésent enregistrait la totalité des faits et gestes des habitants, faisant d’eux les personnages d’un roman qui s’écrivait à leur insu dans les circuits électroniques des appareils de l’Etat. Isabelle Vrignod, qui consignait dans ses notes des détails de la vie réelle telle qu’elle la voyait se dérouler autour d’elle dans le but d’alimenter un projet d’écriture qu’elle souhaitait enfin mener à bien, suivait des yeux leur ballet pétaradant en rêvant d’accéder comme eux à une vision panoramique. Au bout de la rue, immobile devant le flux des voitures en attendant que le feu passe au vert, Ali se sentait mal à l’aise. L’escouade volante rompait la tranquillité du moment. Ce remue-ménage dans le ciel ne lui plaisait pas, et machinalement, il avait enfoncé sa casquette sur le bas de son front. De là-haut, le moindre déplacement insignifiant pouvait prendre une importance capitale! Il n’avait pas envie de vivre en se méfiant tout le temps de tout et de tout le monde…

     François se disait, en regagnant son bureau, qu’il était un extra-terrestre. Il ne parvenait pas à s’intéresser aux enjeux de pouvoir qui rythmaient la vie quotidienne de son environnement de travail. Il en subissait pourtant les effets et aurait dû au moins se protéger des retombées délétères que cette ambiance suscitait ! Les petits chefs l’agaçaient au plus haut point. Bruno, par exemple… il était plutôt beau gosse et se croyait super intelligent, alors qu’il était insupportable et souvent ridicule! Marc était encore pire. Derrière son air innocent de fils de bonne famille, il se comportait avec un cynisme et une méchanceté inégalée! Cette scène où, à la suite d’une réorganisation des services, on lui avait demandé de voir avec une employée handicapée comment elle pourrait s’intégrer dans l’équipe… il ne lui avait pas laissé le temps de s’expliquer, n’avait pas demandé l’avis de ses collaborateurs, s’était lancé dans une tirade sur la façon dont il concevait le travail : pas de place pour les mi-temps ou les horaires aménagés, pas question d’investir pour acheter du matériel de bureau adapté ou agrandir les ouvertures de portes ! Demain soir, il partait en week-end… loin de la ville et de ses miasmes, loin de l’ambiance déplorable du bureau, loin de lui-même et de ses problèmes, sans doute, mais quelle marge de manœuvre avait-il en réalité?… Il avait envie de se donner une seconde chance, de se donner les moyens, cette fois, de réussir sa vie… Qui n’avait jamais rêvé de tout quitter?… De tout recommencer?… Était-ce vraiment utopique ou si fou que cela ?… Ne serait-il pas absurde, au contraire, de s’accommoder d’une existence qui devenait de plus en plus insupportable?… Évidemment, demain soir, son échappée n’excèderait pas les cent kilomètres autorisés depuis la fin du confinement. Échapper aux contrôles et embarquer incognito dans un avion devait être plus difficile en ce moment que pour Carlos Ghosn quand il s’était enfui du Japon!… Demain soir… il préparerait le grand soir! Celui de son grand départ, du début de sa nouvelle vie, de sa libération, de sa renaissance, de la réalisation de ses rêves, de son envol, de son retour dans une patrie qu’il n’aurait jamais voulu quitter (et ce ne serait pas un Impossible retour car personne ne pourrait plus jamais le garder prisonnier!), il prendrait la clé des champs, la poudre d’escampette, quitterait la file des assignés à résidence qui se croisent dans la ville à tous les coins de rue avec des airs lugubres, il mettrait un terme à la comédie de son existence et de la vie sociale à laquelle il était contraint, pour lui, ce ne serait plus jamais, avec ou sans masque collé sur le nez, métro-boulot-dodo!…

     Seul, enfin seul, enfin seul au monde devant la beauté du monde !… Il a planté sa tente face à la mer, dans le creux d’une dune, en prenant soin d’en camoufler le toit (pour le rendre invisible aux drones ou à tout autre appareil de surveillance volant) avec de longues tiges d’oyats entremêlées de giroflées, de panicauts ou de liserons des sables… Il se sent apaisé, en accord avec lui-même, dans une relation non conflictuelle avec le monde débarrassé des interactions humaines… Il habite l’instant présent, il coïncide avec tout ce qui l’entoure, il est la brise légère qui lui rafraîchit le visage, la lumière douce du soleil qui n’en finit pas de se coucher au soir d’une longue journée printanière, le sable qui coule entre ses doigts, l’oyat qui chatouille sa joue, l’oiseau qui gazouille non loin de son oreille, le vrombissement sourd des vagues mêlé aux cris des mouettes, l’odeur marine apportée par le vent… Plus rien n’a d’importance… Ses pensées se laissent absorber par le sable, emporter par le vent, dissoudre par la mer… La conscience qu’il a de lui-même se dilue dans les miroitements de l’eau… Il s’endort avant la nuit et se réveille au milieu des étoiles… Un grondement de tonnerre accompagne les claquements secs de la toile secouée par le vent et de grosses gouttes de pluie commencent à s’abattre sur la tente brinquebalante (il manquait des piquets); il n’avait pas consulté la météo ni prévu que la nuit serait fraîche et se sent soudain en colère contre lui-même et contre la terre entière… Il était arrivé au bureau, venait d’allumer son ordinateur, ne pouvait s’empêcher de sourire… ses rêveries l’emmenaient souvent dans ce genre d’impasse!… Demain, avant de partir, il vérifierait l’état de son matériel…

À suivre

   (Texte écrit dans le cadre des ateliers d’écriture de François Bon. Merci à lui!)

Une histoire de l’injustice environnementale

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     La gestion désastreuse de cette crise sanitaire, déclenchée qui plus est par la décision funeste des administrateurs de la ville de faire des économies dans un domaine crucial pour la santé de la population, était en effet révélatrice de la façon dont les citoyens les plus pauvres étaient traités de façon générale aux Etats-Unis… En étudiant l’histoire de la justice environnementale, soit quatre-vingts ans de gestion de crise, des inondations du Mississippi à la marée noire causée par British Petroleum en 2010 en passant par  l’ouragan Katrina en 2005, Robert D. Billard, de la Texas Southern University, avait ainsi établi que les communautés les plus pauvres mettaient toujours plus de temps à se faire entendre, et que le gouvernement tardait immanquablement à intervenir quand les populations concernées n’étaient pas blanches.

     Le piano de Louis 

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Les dessous de la prospérité

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     L’état d’urgence sanitaire ne fut déclaré par le gouverneur que le 8 janvier 2016. Quelques jours plus tard, quand le président Obama déclara Flint en état d’urgence fédérale pour accélérer la distribution de filtres et de bouteilles d’eau minérale à la population, le scandale prit une ampleur nationale. Le monde entier découvrait les dessous de la prospérité américaine, par ailleurs déclinante… Pour le metteur en scène Michael Moore, natif de Flint, ce n’était pas « juste une crise de l’eau, mais une crise raciale, une crise de la pauvreté… un tel scandale ne serait jamais arrivé dans une ville aisée et blanche du Michigan!… »

     Le piano de Louis 

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