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L’échec de la Troisième Voie

Nous étions si fragiles…

    En novembre 2020, Hillary Clinton avait été battue par le sinistre Trump parce qu’elle n’avait pas été capable de répondre au désespoir de cette partie de la population américaine de plus en plus acculée à la pauvreté, à la précarité ou à la grande misère. La trumpérisation des esprits, raison avancée par certains responsables politiques français redoutant de subir le même sort en 2022, ne pouvait suffire à expliquer l’échec de la présidente sortante, pas plus qu’un regain de mysoginie ou une concentration de cyberattaques russes. La vérité était que le puissant parti démocrate américain avait de nouveau utilisé tous les moyens possibles, y compris les plus contestables ou les plus malhonnêtes, comme en 2016 contre Bernie Sanders, pour empêcher l’émergence d’une aile gauche populaire – et non pas populiste – qui ne voulait plus de la ligne suivie par les héritiers de la Troisième Voie mise en œuvre dans le monde occidental au cours des années 1990 et 2000 par Bill Clinton, Gérard Schroeder et Tony Blair, et qui, en dérégulant les marchés, avaient accéléré la mondialisation de l’économie au détriment des couches les moins favorisées de la population, victimes de la baisse des salaires et du chômage. Cette politique avait ouvert les vannes de la finance et donné libre cours à tous les dérapages, conduisant à la formation de bulles financières gigantesques et de crises systémiques gravissimes qui avaient ruiné les États et propulsé dans la misère partout dans le monde des dizaines de millions de personnes qui ne maîtrisaient plus leur destin… Une majorité d’Américains devenus économiquement vulnérables ne voulait plus en entendre parler. En s’accrochant au pouvoir envers et contre tout, l’équipe d’Hillary Clinton, soutenue par tous ceux qui profitaient de la mondialisation des affaires, avait ruiné leurs espoirs de changement. Or, le désespoir social a toujours nourri les énergies les plus sombres, et donc les populismes de droite les plus cyniques, les plus sinistres. Faute de pouvoir trouver un débouché politique naturel dans le camp démocrate, les Américains les plus pauvres avaient découvert dans les discours de Donald Trump un écho suffisant à leurs souffrances pour croire que le programme présidentiel du milliardaire les replacerait dans la course. Ils avaient voté pour le concurrent d’Hillary Clinton parce qu’ils espéraient, sinon un retour aux années fastes de l’American way of life, du moins la sortie du tunnel dans lequel ils se trouvaient piégés. Ils avaient voté pour lui parce qu’ils espéraient de toutes leurs forces que le protectionnisme économique mis en avant par le candidat qui se réclamait du peuple leur permettrait d’échanger les petits boulots aléatoires et sous-payés qui étaient devenus leur seul horizon – quand ils avaient la chance (!) d’en avoir un – contre de véritables emplois dans les secteurs productifs, que Donald Trump promettait de redéployer sur tout le territoire national en commençant par les anciens bastions industriels du Nord.

Deux poids, deux mesures

Nous étions si fragiles…

    En étudiant l’histoire de la justice environnementale, soit quatre-vingts ans de gestion de crise, des inondations du Mississippi à la marée noire causée par British Petroleum en 2010 en passant par l’ouragan Katrina en 2005, Robert D. Billard, de la Texas Southern University, avait ainsi établi que les communautés les plus pauvres mettaient toujours plus de temps à se faire entendre, et que le gouvernement tardait immanquablement à intervenir quand les populations concernées n’étaient pas blanches. Au fur et à mesure des révélations sur cette affaire, il était en effet devenu évident que la communauté concernée n’avait pas été traitée comme il se devait, que tout s’était passé comme si les personnes en charge des contrôles ne croyaient pas les habitants ou ne se préoccupaient pas de leur santé. L’administration avait reçu des plaintes au sujet de l’eau courante de Flint dès le mois d’avril 2014; si les contrôleurs du bureau de la qualité environnementale des eaux du Michigan avaient eu à consommer cette eau marronnasse qui sortait des robinets ou à la faire boire à leurs enfants, ne l’auraient-ils pas immédiatement trouvée suspecte et impropre à la consommation?…

Un espion venu du froid

Nous étions si fragiles…

    Les déclarations étranges de Martens, son comportement décalé, la capacité qu’il avait de s’abstraire subitement d’une conversation comme s’il s’envolait dans un ailleurs inconnu à des années-lumière de notre monde, permettaient de brosser un portrait de lui qui ressemblait fortement à celui d’un extra-terrestre, et certains médias friands de sensationnel n’avaient pas hésité à en faire effectivement un espion venu du froid des grandes profondeurs galactiques, franchissant ainsi le pas, pour le plus grand plaisir de leurs lecteurs avides d’histoires qui les sortaient d’un quotidien morne et triste, de la science-fiction… Pour ma part, j’avais forgé quelques hypothèses moins farfelues mais in fine non moins étonnantes que Jean-François avait balayées d’un immense éclat de rire quand j’avais essayé de lui faire partager les éléments sur lesquels reposait ma réflexion quant à ce mystérieux pays d’où venait Martens… Il n’empêche, tout aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’est pas impossible que… mais peut-être Jean-François avait-t-il par la suite exploré cette piste sans m’en parler (secret défense!) ?… J’ai sans doute rêvé toute cette histoire, le charme de Martens aurait opéré sur moi une sorte de fascination capable de donner vie à des simulacres et de faire émerger du néant des mondes fantasmagoriques? Etrange pouvoir de la séduction exercée par un homme particulièrement beau que les foules ne parvenaient pas à diaboliser malgré les circonstances de son arrestation?… D’une certaine façon, nous étions tous fous… embarqués dans la machine infernale d’un monde détraqué dont plus personne n’était capable de tenir la barre! Les mêmes postures et les mêmes impostures issues d’une Matrice dont plus personne ne connaissait l’origine se dupliquaient à l’infini d’un bout à l’autre de la planète en engendrant partout le même type de réponse surréaliste à des situations réelles qui confinaient au désastre! La Parole de la pensée Unique diffusait ses drogues anesthésiantes dans le corps entier de l’Humanité qui ne trouvait plus en elle assez de force pour lutter contre son anéantissement…

Déambulation dans les allées du passé

LA REVENANTE

Récit écrit au cours de l’été 2018

pour l’atelier d’écriture de François Bon sur Le Tiers Livre (suite)

     À vol d’oiseau, l’usine était située à quelques centaines de mètres seulement du centre-ville. Elle avait été remplacée par un supermarché. Deux ou trois SDF — on ne dit plus des clochards — étaient postés près des caddies emboîtés les uns dans les autres et proposaient leur aide pour en décrocher un. Il y avait du monde, mais ce n’était pas la foule des hypercentres commerciaux. Un haut-parleur faisait de la réclame pour des promotions et diffusait une musique sans doute formatée pour plaire à la majorité des client-e-s. Déambuler dans les allées n’était pas désagréable, mais devenait vite ennuyeux… Le vieil homme avait les yeux rêveurs et l’air un peu triste, semblait ici et ailleurs, prenait un produit dans un rayon et le remettait en place, recommençait le même manège avec un autre produit, faisait semblant de s’intéresser aux étiquettes, s’arrêtait de marcher sans raison, remuait les lèvres comme s’il parlait en silence, regardait vers le faux plafond, clignait des yeux en toussotant, prenait un mouchoir pour essuyer son visage, parcourait les allées plusieurs fois de suite comme s’il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait, partait enfin vers la caisse avec un paquet de pâtes ou un paquet de café, jetait encore un regard en arrière, saluait parfois quelqu’un de la main, le plus souvent un vieil homme comme lui, ses yeux s’embuaient, il ne voyait pas bien les pièces de son porte-monnaie (il lui en avait toujours manqué quelques-unes à cause des quelques centimes d’augmentation de son salaire horaire toujours refusés par le patron qui ne se trouvait jamais assez riche… il aurait tellement aimé que la famille ne manque de rien!), il revoyait défiler sa vie de travail (toutes ces années pendant lesquelles ses rêves s’étaient effilochés…), et ne pouvait s’empêcher, à chaque fois qu’il faisait les courses dans le supermarché, de visualiser l’ancien état des lieux — ses métiers à tisser entre les surgelés et les produits laitiers, le bureau du contremaître dix mètres plus loin à la place des fruits et légumes, la grille par laquelle arrivaient les nuages de vapeur pour humidifier le fil, fixée au-dessus des articles de vaisselle… — et d’entendre comme autrefois dans ce qui avait été son atelier le bruit assourdissant des fouets qui relançaient les navettes, resté gravé dans sa mémoire comme sur le sillon d’un disque qui tournerait sans jamais s’arrêter…

Impropre pour les uns, bonne pour les autres

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     Au fur et à mesure des révélations sur cette affaire, il était en effet devenu évident que la communauté concernée n’avait pas été traitée comme il se devait, que tout s’était passé comme si les personnes en charge des contrôles ne croyaient pas les habitants ou ne se préoccupaient pas de leur santé. L’administration avait reçu des plaintes au sujet de l’eau courante de Flint dès le mois d’avril 2014; si les contrôleurs du bureau de la qualité environnementale des eaux du Michigan avaient eu à consommer cette eau marronnasse qui sortait des robinets ou à la faire boire à leurs enfants, ne l’auraient-ils pas immédiatement trouvée suspecte et impropre à la consommation?…

     Le piano de Louis

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