réprimer

L’ombre de Victor Hugo

Nous étions si fragiles…

    L’agriculture de la France n’était plus la première en Europe depuis que la politique agricole commune avait cessé de subventionner les productions et laissé la libre concurrence fixer les prix. La dérégulation des marchés et les accords de libre-échange avec le Mercosour et le Canada avaient ruiné ou paupérisé les exploitants qui n’avaient pas eu les reins assez solides pour lutter contre le productivisme et le gigantisme des fermes allemandes et américaines. La France rurale profonde était exsangue. Ne prospéraient que les grandes cultures dans les plaines fertiles… Les statistiques officielles avaient beau être rassurantes – la situation économique de la France avant la crise de 2029 restait globalement stable – la perception que de nombreuses personnes avaient de leurs conditions de vie était désastreuse. Les trappes à pauvreté et le chômage continuaient d’aspirer vers le bas des millions de gens et leurs familles. Or, la misère et la précarité grandissante s’accompagnaient sur tout le territoire d’une augmentation des faits de petite délinquance. Ceux-ci avaient toujours été beaucoup plus sévèrement réprimés que la délinquance en col blanc, la fraude fiscale ou les malversations financières, mais la droite fascisante, qui avait besoin pour prospérer d’entretenir un climat de peur et d’insécurité, avait encore renforcé la répression. L’auteur du moindre vol à l’étalage ou dans les rayons d’un supermarché était traqué et condamné à des peines sans commune mesure avec les dommages causés à la collectivité! Bien loin de revenir sur les dérives du Rassemblement National de Marine Le Pen, le président Laurent Wauquiez, issu du parti dit Les Républicains (!), n’avait pas hésité à franchir un pas de plus dans l’abomination en élargissant la chasse aux réfugiés économiques étrangers sans papiers à toutes les personnes sans domicile fixe, dont un grand nombre de travailleur-euses pauvres ayant la citoyenneté française. La simple station assise dans une rue, l’installation d’un campement sommaire ou le stationnement prolongé d’une voiture pour y passer la nuit, était devenus passibles de prison. Dans une sorte de surenchère sécuritaire qui n’étonnait plus personne, tant l’extrême-droitisation de la politique française était avancée, un délit de déambulation sans but précis avait été créé en 2031, qui n’était toutefois verbalisé que si les personnes repérées portaient des vêtements sales ou inadaptés. Le promeneur du dimanche pouvait encore aller et venir à sa guise, mais la stigmatisation des pauvres et des SDF ne connaîtrait plus de répit. L’ombre épouvantée de Victor Hugo, revenu hanter Notre-Dame de Paris depuis l’incendie qui l’avait ravagée le 15 avril 2019, pleurait sur la France et ses Misérables…

Dramaturgie de la peur

Nous étions si fragiles…

    Comment étouffer les éclairs de lucidité qui traversaient les consciences? La dramaturgie de la peur avait fait ses preuves et le gouvernement de François Hollande ne manqua pas d’en abuser. La peur du nucléaire était justifiée, pas son détournement au profit de la manipulation fasciste des esprits. Le pouvoir hollandien qui n’avait plus rien de socialiste depuis belle lurette opéra un ultime retournement-reniement qui conduisit Marine Le Pen aux portes de l’Elysée. Celui qui l’avait d’une certaine façon dédiabolisée ou dédouanée en osant la mettre sur le même plan que Georges Marchais et le parti communiste des années 1970 lui ouvrit un boulevard en accréditant ses thèmes et ses méthodes dans tous les domaines autres que l’économique (Francois Hollande continuait de camper sur des positions néo-libérales TINA, there is no alternative…). La peur d’un nouvel attentat nucléaire paralysait les résistances et réveillait les pires instincts. L’état d’urgence, devenu permanent après les attentats de 2015 et gravé en 2016 dans la Constitution, autorisait tous les excès policiers. La droite poussait les Autorités à réprimer toujours plus, des milices prétendaient vouloir faire justice elles-mêmes, des chasses ignobles au faciès étaient organisées par des groupes fascistes sur lesquels le pouvoir fermait les yeux. La droite maurassienne des débuts du vingtième siècle renaissait de ses cendres. Les drapeaux bleus et blancs fleurissaient dans des manifestations improvisées qui dégénéraient toujours, à la tombée de la nuit, en bagarres crapuleuses et en casses sans que les Autorités ne parviennent jamais à identifier les commandos d’agitateurs téléguidés par l’extrême-droite, facilement repérables, pourtant, sur les vidéos filmées par des amateurs au milieu de la foule, alors que la police ne trouvait bizarrement sur son chemin que des manifestants estampillés « gauche radicale » et quelques écologistes désespérés qu’elle donnait en pâture à l’opinion. Le Front national embusqué attendait avec délectation le moment inéluctable où il récolterait les fruits du chaos. Triste fin d’un pouvoir dit socialiste qui n’en avait jamais eu que le nom, volé à la vraie gauche par une poignée d’imposteurs et une multitude de profiteurs…