remettre en cause

On ne peut défier la chance impunément

Nous étions si fragiles…

    Mais Dieu allait abandonner la France… L’énergie électrique française était produite, depuis le dernier quart du vingtième siècle, par une cinquantaine de réacteurs dont plus de la moitié avaient dépassé depuis longtemps la limite d’âge prévue par leurs concepteurs, et que l’exploitant rafistolait tant bien que mal en dépensant des sommes inconsidérées pour assurer une sécurité de plus en plus aléatoire. Cette politique irresponsable n’avait jamais été remise en cause malgré les mises en garde timides mais récurrentes de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, l’opposition de plus en plus affirmée de la population, et les protestations des pays frontaliers qui craignaient un accident majeur dans l’une des centrales situées à quelques kilomètres seulement de leurs grandes villes. Deux accidents graves survenus en 2024 dans la centrale de Blaye, puis en 2033 dans celle de Nogent-sur-Seine, avaient déjà mis en danger les populations de Bordeaux et de Paris, qui en étaient restées traumatisées et se trouvaient depuis aux avant-postes de la contestation du nucléaire civil. Dans les deux cas, une panne des systèmes de refroidissement avait entraîné un emballement de la réaction nucléaire qui n’avait pu être maîtrisée qu’in extremis. A Blaye, les groupes électrogènes qui auraient dû prendre le relais des circuits électriques endommagés par la foudre avaient été submergés et noyés par des vagues de plusieurs mètres comme à Fukushima et comme ils l’avaient déjà été pendant la tempête de 1999; à Nogent-sur-Seine, la panne avait eu lieu pendant un été torride en raison d’une mauvaise appréciation de la situation, la décision d’arrêter le réacteur n’ayant pas été prise à temps alors que le débit du fleuve était trop faible et que les réserves d’eau situées en amont ne suffisaient pas à rétablir l’équilibre. Par bonheur, dans l’un et l’autre cas, il n’y avait pas eu de mortalité directe à déplorer, et les conséquences ultérieures sur la santé d’éventuelles retombées radioactives faisaient l’objet, sur tout le territoire national (puisque depuis Tchernobyl, tout le monde savait que les nuages se déplaçaient!), d’une surveillance spéciale censée calmer les inquiétudes. Le fait est que, malgré l’impéritie des décideurs, la compétence réelle des agents du nucléaire avait pu jusqu’alors éviter les catastrophes gravissimes que les gens conscients des risques redoutaient. Mais on ne peut défier la chance impunément. L’effroyable se produisit dans l’Ouest de la France le 8 août 2044…

A force de tricher

Nous étions si fragiles…

    Sylvain et Xavier étaient les héritiers de ces précurseurs qui avaient essayé en vain de faire bouger les lignes. Comment expliquer leur échec? Nous étions tous dans le même bateau, personne n’avait intérêt à le laisser couler!…

   Les médiocres avaient pris le pouvoir (La Médiocratie, d’Alain Deneault, éd. Lux, 2015)…

     Les gens étaient interchangeables au sein de grands ensembles de production qui échappaient à la conscience d’à peu près tout le monde, à l’exception de ceux qui en étaient les architectes et les bénéficiaires. Ce modèle entrepreneurial avait été érigé en modèle et l’action politique réduite à la recherche d’une solution immédiate à un problème immédiat, ce qui excluait toute réflexion de long terme fondée sur des principes, toute vision politique du monde publiquement débattue… Le médiocre devait avoir une connaissance utile qui n’enseigne pas à remettre en cause ses fondements idéologiques; l’esprit critique était redouté car s’exerçant à tout moment envers toute chose, ouvert au doute, toujours soumis à sa propre exigence. Le médiocre devait jouer le jeu, surtout ne rien déranger, ne rien inventer qui aurait pu remettre en cause l’ordre économique et social. Expression souriante et d’apparence banale, jouer le jeu voulait pourtant dire accepter des pratiques officieuses qui servaient des intérêts à courte vue, se soumettre à des règles en détournant les yeux du non-dit, de l’impensé qui les sous-tendaient, accepter de ne pas citer tel nom dans tel rapport, faire abstraction de ceci, ne pas mentionner cela, permettre à l’arbitraire de prendre le dessus. Au bout du compte, jouer le jeu consistait, à force de tricher, à générer des institutions corrompues. (cf l’ Entretien avec Alain Deneault, philosophe à l’Université de Montréal, paru dans telerama.fr, décembre 2015)

Les Maîtres de la Terre

Nous étions si fragiles…

    Il existait au sein même des pays riches des situations d’extrême pauvreté qui auraient pu aider les moins cyniques à ouvrir les yeux, mais elles ne faisaient jamais la une des journaux et restaient relativement cachées sans jamais devenir la priorité des hommes et des femmes politiques. Dans les pays émergents, une classe moyenne de plus en plus nombreuse réclamait sa part de richesse, mais sans vraiment remettre en cause les fondements d’une économie qui avait besoin, pour prospérer, d’exploiter les plus pauvres et de piller la planète. Alors que les pratiques ancestrales respectueuses des écosystèmes avaient réussi jusqu’alors à en obtenir le meilleur, la vie devenait impossible pour des millions d’êtres humains que la faim et la soif chassaient des endroits les plus arides. Des cohortes d’hommes, de femmes et d’enfants avaient commencé de migrer dès le début des années 2000 pour échapper à la famine et aux guerres que se livraient leurs pays dans le but d’accaparer ce qu’il restait de ressources. Mais l’égoïsme ou le cynisme rendait les maîtres de la Terre insensibles ou inconscients. Pourquoi les fautes sont-elles irréversibles?… Pourquoi cette fatalité inhumaine qui conduit sans possibilité de retour à la destruction et à la mort?… Les esprits forts s’étaient moqués des récits religieux sans parvenir à leur substituer une sagesse universelle qui aurait pu protéger les humains de leurs errements. Orgueil suprême sans doute de penser que nous nous suffisions à nous-mêmes! Certes, le chemin était étroit entre les illusions religieuses, l’intolérance qu’elles suscitent, et la croyance en notre toute-puissance… Mais pourquoi les humains se sont-ils comportés si souvent au cours de l’Histoire, et d’une façon inégalée dans la dernière période, de façon aussi irrationnelle?…