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Panique

Nous étions si fragiles…

    Les premières déclarations des Autorités s’étaient voulues rassurantes mais, en réalité, aucun plan de secours ne semblait avoir été prévu, malgré la centaine d’attentats nucléaires déjà commis dans le monde. Les pompiers n’étaient pas équipés pour ce type de catastrophe et les hôpitaux non plus! Des soldats patrouillaient avec de drôles de scaphandres qui auraient pu figurer dans des films du siècle dernier, l’armée fédérale appelée en renfort mettait en application des protocoles qui dataient de la guerre froide! Les gens ne comprenaient pas ce qui leur arrivait et le désarroi des professionnels du secours aggravait leur angoisse. La police avait du mal à canaliser les scènes de panique. Tous ceux qui le pouvaient partaient à l’autre bout du pays, vers le sud ou vers l’ouest. Pour les autres, il fallait mettre sur pied des campements de fortune et les approvisionner en eau et en nourriture. Une amie américaine journaliste m’envoyait quotidiennement une copie de ses articles avec des photos qui montraient des situations de détresse incroyables que personne n’aurait imaginé possibles en Occident en plein vingt-et-unième siècle! Il y avait bien une certaine mixité sociale à l’œuvre dans le South End, mais les conséquences de l’attentat nucléaire de Boston dévoilaient le gouffre qui séparait les composantes aisées de la population de ses fractions les plus pauvres, jeunes au chômage, gays, femmes seules avec enfants, minorités ethniques. Les plus riches avaient quitté au plus vite les zones contaminées, tandis que les plus pauvres s’entassaient dans les camps dressés à la hâte. Les hommes, les femmes et les enfants que photographiaient ou filmaient les reporters accourus des quatre coins de la planète sur les lieux du drame avaient le plus souvent la peau noire ou basanée! Le vrai visage des Etats-Unis ainsi révélé ne correspondait pas aux belles images hollywoodiennes que continuait de véhiculer, bon an mal an, le mythe d’une Amérique unie et prospère offrant sa chance à quiconque voulait la saisir…

Plaisirs organisés

Nous étions si fragiles…

    Il n’y avait pas de mouvements contestataires et sans doute aucune raison de vouloir s’opposer à l’Etat, aucun motif important de mécontentement. Les besoins primordiaux étaient largement satisfaits, personne ne restait inoccupé, les distractions étaient nombreuses, les fêtes collectives officielles ressoudaient régulièrement la communauté. A cette occasion, les gens pouvaient se livrer à certains débordements qui restaient contrôlés et organisés. Ces fêtes populaires auxquelles Martens faisait allusion évoquaient nos carnavals. Les déguisements y autorisaient des comportements exubérants et fantasques qui servaient à évacuer la tension accumulée au quotidien. En dehors de ces fêtes, les responsables de l’Etat prenaient soin tout au long de l’année du mental de leurs administrés (la notion de citoyen ne figurait pas dans la liste du vocabulaire politique). Une sorte de banquet était organisé tous les dix jours par des administrateurs de quartiers. C’était l’occasion de mettre en valeur les initiatives réussies des uns ou des autres pour entretenir la cohésion sociale, et de récompenser les habitants qui s’étaient particulièrement investis. On leur attribuait des insignes en fonction de leurs mérites et des subventions pour faire aboutir leurs projets. Les plus passifs applaudissaient béatement tout en savourant les mets délicieux et les breuvages spéciaux qui circulaient en abondance, servis par une escouade de jeunes majordomes volontaires des deux sexes recrutés dans les familles. Les yeux brillaient, les mines réjouies arboraient toutefois les signes d’un état extatique anormal dont Martens s’était rendu compte depuis le jour où Walter et lui avaient décidé, sans savoir exactement quel objectif ils poursuivaient, de se mettre en marge de leur communauté pour en observer les rouages…