effet

Le réchauffement s’accélérait

Nous étions si fragiles…

    L’opinion publique était restée relativement indifférente à la question du climat jusqu’au moment où les dérèglements produisirent des effets si violents qu’ils balayèrent les doutes sur le réchauffement en cours. Car les climato-sceptiques n’avaient pas manqué de répandre de fausses informations prétendument scientifiques pour démolir le travail des chercheurs qui alertaient le monde depuis plusieurs décennies! D’année en année, les étés de plus en plus chauds faisaient tomber les records de température. La canicule européenne de 2003 avait provoqué en France une crise politique grave par manque d’anticipation des ministres partis tranquillement en vacances sans se préoccuper des conséquences de la chaleur excessive sur les écosystèmes et surtout sur la santé des personnes les plus fragiles, malades et population vieillissante. L’année 2010 avait été marquée par de multiples catastrophes survenues partout dans le monde, sécheresses, feux de forêts, cyclones, tsunamis. Les pluies torrentielles de la mousson avaient provoqué des inondations d’une ampleur inégalée depuis le Déluge biblique, et des millions de Pakistanais avaient dû évacuer leurs villages en marchant contre la force du courant, avec de l’eau jusqu’à la poitrine, dans les champs inondés à perte de vue, leurs pauvres baluchons portés à bout de bras! A Moscou, le ciel estival avait été plombé par les fumées toxiques de gigantesques feux de forêt qui rendaient l’air irrespirable. En France, une brusque montée des eaux provoquée par la tempête Xynthia et une marée haute exceptionnelle avait piégé les habitants de La Faute-sur-Mer, en Vendée, qui n’avaient pas eu le temps de fuir pour échapper à la noyade… A ces catastrophes dites naturelles alors que leur cause fondamentale était due à l’impact des activités humaines sur l’écosystème terrestre, s’ajoutaient de plus en plus fréquemment, avec des conséquences de plus en plus irréversibles, des cataclysmes d’origine industrielle, comme la marée noire qui avait dévasté le Golfe du Mexique en mai 2010, ou la fusion des coeurs de réacteurs et l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima en 2011… Le réchauffement s’accélérait et les ruptures d’équilibre dans les écosystèmes déstabilisaient partout l’équilibre fragile de la paix. Le contrôle de l’eau était devenu un enjeu plus crucial que jamais, capable de déclencher une guerre. La sécheresse contraignait les populations à quitter les terres qui ne les nourrissaient plus et le nombre toujours plus élevé de réfugiés climatiques s’ajoutait aux chiffres de l’exode provoqué par les guerres locales ou régionales. Les questions de survie à plus ou moins long terme provoquaient des réflexes identitaires, nationalistes ou pseudo patriotiques qui entretenaient un état d’esprit agressif non seulement dans les pays les plus touchés par les difficultés mais aussi dans les pays encore relativement protégés de l’Occident, prompts à dresser des murs pour se protéger de l’immigration. Le cynisme ou l’absence de courage de la plupart des responsables politiques les poussait à privilégier la recherche de boucs émissaires plutôt que de s’attaquer à la racine des problèmes. La France, ex-pays des Lumières, avait elle-même cédé assez facilement aux sirènes nationalistes.

Émeutes raciales

Nous étions si fragiles…

    Les failles de la société américaine, mal colmatées ou camouflées par les classes dominantes, apparaissaient sous une lumière crue et cruelle… Les Etats-Unis étaient le plus inégalitaire des pays riches, mais riches, tous les Américains du Nord étaient loin de l’être! Moins de dix pour cent des actifs y accaparaient plus de la moitié des revenus. Les inégalités avaient explosé au point de menacer la cohésion du pays car la population hispanique et surtout noire en subissait les plus lourds effets, et les grandes luttes raciales du vingtième siècle avaient été réactivées une trentaine d’années auparavant… Les Noirs accusaient les forces de l’ordre de faire peu de cas de leur vie. Des chercheurs avaient calculé, en effet, que le risque d’être tué par un policier était deux fois plus important pour un Noir sans arme que pour un Blanc désarmé. Cette nouvelle ère de turbulences raciales avait commencé avec les émeutes de Ferguson à la suite de l’affaire Michael Brown, un jeune afro-américain de dix-huit ans non armé au moment des faits, abattu de six coups de feu par le policier blanc Darren Wilson le 9 août 2014. La veillée funèbre organisée le 10 août avait débuté pacifiquement mais une partie de la foule laissa libre cours à sa colère en s’adonnant à des pillages de magasins, à des destructions, à des provocations envers les forces de l’ordre et à des jets de projectiles. La situation dégénéra et les affrontements se multiplièrent pendant plus d’une semaine. Le 24 novembre, la décision prise par le grand jury de ne pas inculper le policier déclencha de nouvelles flambées de violence qui conduisirent à la proclamation de l’état d’urgence par le gouverneur du Missouri. Le 10 août 2015, un an après la mort de Michael Brown, la ville de Ferguson était de nouveau au bord du gouffre… Ces émeutes avaient révélé au monde les échecs récents de l’american way of life. La population blanche vieillissante, durement frappée par la crise financière de 2007, se tenait sur la défensive, tentée par le repli sur soi. Par ailleurs, si les habitants de la côte Est et de la côte Ouest avaient fortement intégré et accompagné les changements sociétaux, ce n’était pas du tout le cas dans l’Amérique profonde. Un demi-siècle environ après l’adoption par le Congrès d’une législation historique sur les droits civiques, la fracture entre Blancs et Noirs n’avait jamais été aussi béante. Les relations étaient tellement dégradées qu’en juillet 2016 des policiers blancs avaient été pris pour cibles et abattus de sang-froid par des snipers noirs, d’abord à Dallas, puis, quelques jours plus tard seulement, à Bâton-Rouge. Ces meurtres inauguraient une période de tension et de suspicion qui devaient empoisonner pendant longtemps la société américaine…

Symbole

Nous étions si fragiles…

    L’effondrement des tours du World Trade Center new-yorkais avait fait vaciller l’ensemble du monde occidental. Daech, comme Al Quaida, tétanisa l’Occident en accomplissant l’inimaginable. La nouvelle circula en un temps record et satura tous les réseaux. On avait d’abord cru à un gag, à une plaisanterie de mauvais goût. Une bombe atomique avait explosé dans le parc du château de Versailles! Daech n’avait pas cherché à faire le plus grand nombre de victimes immédiates possible (la radioactivité répandue dans l’atmosphère prolongerait dans le temps les effets limités de l’attentat), le symbole avait compté davantage: la France, un joyau de son patrimoine architectural et culturel, le château du roi Soleil, le lieu de la signature des traités de 1783 et 1919, l’endroit où se réunissent les deux chambres parlementaires de la République française!… et surtout le mode opératoire: l’arme nucléaire à la portée des terroristes!… avec toutes les conséquences ultérieures effroyables qu’il était possible d’imaginer et qui allaient épouvanter les foules…

I would prefer not to

     Est-il nécessaire de remonter aussi loin dans le temps? La science historique n’avait pas mis les humains à l’abri de leurs erreurs fatales, ne les avait pas empêchés de continuer à s’entretuer en de multiples occasions. Les Lumières avaient eu tant de mal à briller!… Journaliste, je vivais dans l’immédiateté de l’événement qui suscitait toujours une certaine excitation d’ordre psychédélique, liée aux poussées d’adrénaline déclenchées pour faire face à l’imprévu… Mes confrères-consoeurs invitaient sur les plateaux de télévision des intellectuels médiatiques censés donner le recul indispensable, mais qui débitaient le plus souvent l’eau tiède de leur pensée enrhumée ou plus exactement grippée, coincée dans les rouages de la pensée unique distillée par les pouvoirs en place, qui empêchait tout débat sérieux, qui stérilisait d’office l’honnêteté intellectuelle. Il faut dire que les médias appartenaient au moins en partie aux marchands d’armes… Je n’en étais pas complètement dupe, je m’en accommodais comme sans doute la plupart d’entre nous. Le conservatisme consiste à penser que l’ordre actuel des choses, si imparfait soit-il, est préférable à une remise en question qui déboucherait vraisemblablement sur un désordre encore plus dommageable. Nous faisions le pari que le pire n’était pas certain si nous continuions notre route comme si de rien n’était. Pari perdu. La perte de nos valeurs et le vide de notre pensée ont creusé à nos pieds le gouffre qui nous a engloutis…

     Luc est tombé sur des feuillets que j’avais oubliés près de l’imprimante. Il n’a pas pu s’en empêcher. J’ai eu droit à une démolition en règle. Il a pris les autres à témoin, fait circuler les feuilles. Grosse rigolade de sa part. Mon style est à pleurer. Je n’ai rien compris à rien. Je suis une pauvre demeurée. Il prétend que j’étais devenue amoureuse de Martens ! Dispute de cour d’école en pleine tragédie, oui, vraiment, c’est à pleurer. Mais nous n’en sommes plus là. Nous sommes tellement loin, désormais, perdus comme nous ne l’avions encore jamais été dans le cosmos, poussière d’étoiles à la dérive, en train d’assister à notre propre mort, situation inédite, dans quelques semaines, quelques mois, quelques années tout au plus – cela dépend de notre endurance ou de notre patience (l’azur a été recouvert de cendres) – l’Humanité aura cessé définitivement d’exister, comme auparavant les Dinosaures, non, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, surtout pour une question de style…

     J’écrivais dans un grand journal parisien. Comme tout rédacteur, je recherchais la clarté, que mes articles puissent être lus et compris par le plus grand nombre, mais il fallait aussi ne jamais oublier le second degré, utiliser et manier (manipuler?) les références, répondre aux exigences d’un lectorat cultivé appartenant aux catégories socio-professionnelles dites supérieures (sous quel angle?!)… Loin d’être naïf, mon style se conformait aux canons en vigueur, il en allait de la longévité de mon emploi, ma carrière était en jeu. Ecrire n’était pas innocent, ne l’a jamais été. A-t-on jamais dit clairement qu’écrire, penser, parler, sont des actes? De véritables actes au même titre que les actions concrètes, qui en entraînent d’autres dans une chaîne implacable de cause à effet? Un enchaînement d’incitations, de forces, de poussées dont la somme nous pousse inéluctablement vers tel ou tel résultat, telle ou telle situation. C’est mathématique, scientifique, ce sont les lois de la physique qui l’expliquent, et nos paroles, nos écrits, nos pensées, obéissent aussi aux lois de la physique, l’opposition entre la réflexion et l’action n’a pas de sens, l’absence de réflexion est un crime, le vide de la pensée est monstrueux. La mise en commun de nos intérêts et de nos égoïsmes personnels, une sorte d’équivalent de l’entité appelée par Adam Smith la main invisible du marché, aura donc eu pour conséquence cette somme monumentale d’erreurs qui nous ont conduits au suicide collectif! Avec leurs dizaines de millions de morts, les deux guerres mondiales du vingtième siècle n’avaient été que des répétitions générales avant la tragédie finale : « L’extinction de l’Humanité ». Triste histoire que la nôtre. Sa conclusion achève de montrer que l’émancipation de la condition animale ne nous avait pas principalement dotés d’intelligence, mais surtout de sottise et de haine…

     L’Humanité s’est détruite et notre petite communauté s’éteindra bientôt sans le réconfort de transmettre à des enfants un monde meilleur. La mort devait être douce quand, au soir de sa vie, il était possible de quitter les vivants avec le sentiment de leur avoir fait du bien! Si nos conditions de survie se compliquent trop, nous serons bien obligés d’anticiper et d’organiser notre retour vers le grand Tout, mais ce n’est pas urgent, nous pouvons tenir sans doute assez longtemps pour en apprivoiser l’idée. Il faut si peu de chose pour reprendre goût à la vie! Depuis hier soir, la lumière du jour est plus douce et, pendant la nuit, pour la première fois depuis que nous avons échoué ici, nous avons pu admirer les étoiles. Dans cette petite partie du ciel libérée des lourdes nuées, les points lumineux tremblaient comme des flammes de bougies qui auraient vacillé derrière une lucarne. Si nous ne sommes pas les seuls survivants, d’autres que nous les ont regardées, d’autres que nous les contempleront la nuit prochaine. Cette idée me plaît et suffit pour le moment à m’insuffler le désir très fragile de rester en vie. Si fragile que nous évitons entre nous les conversations qui évoqueraient nos proches, nos familles, nos amis. Le sujet est tabou. Chacun sait pourtant que l’autre en est habité jusqu’à l’obsession.

     Luc m’inquiète. Contrairement aux autres, il se contrôle de moins en moins et saisit tous les prétextes pour se défouler. Après avoir transformé en confettis les feuillets qu’il m’avait volés, il a tenté de casser l’imprimante. Marceau examinait les disques durs des ordinateurs de la base, il s’est levé d’un bond pour l’immobiliser et l’a fait sortir non sans mal de la salle. Bêtement, j’ai eu envie de pleurer. Luc était en train de s’effondrer et c’était le naufrage de toute notre vie qui en réalité s’accomplissait. Je pensais à Moby Dick, à Melville, I would prefer not to

Une monumentale somme d’erreurs

     J’écrivais dans un grand journal parisien. Comme tout rédacteur, je recherchais la clarté, que mes articles puissent être lus et compris par le plus grand nombre, mais il fallait aussi ne jamais oublier le second degré, utiliser et manier (manipuler?) les références, répondre aux exigences d’un lectorat cultivé appartenant aux catégories socio-professionnelles dites supérieures (sous quel angle?!)… Loin d’être naïf, mon style se conformait aux canons en vigueur, il en allait de la longévité de mon emploi, ma carrière était en jeu. Ecrire n’était pas innocent, ne l’a jamais été. A-t-on jamais dit clairement qu’écrire, penser, parler, sont des actes? De véritables actes au même titre que les actions concrètes, qui en entraînent d’autres dans une chaîne implacable de cause à effet? Un enchaînement d’incitations, de forces, de poussées dont la somme nous pousse inéluctablement vers tel ou tel résultat, telle ou telle situation. C’est mathématique, scientifique, ce sont les lois de la physique qui l’expliquent, et nos paroles, nos écrits, nos pensées, obéissent aussi aux lois de la physique, l’opposition entre la réflexion et l’action n’a pas de sens, l’absence de réflexion est un crime, le vide de la pensée est monstrueux. La mise en commun de nos intérêts et de nos égoïsmes personnels, une sorte d’équivalent de l’entité appelée par Adam Smith la main invisible du marché, aura donc eu pour conséquence cette somme monumentale d’erreurs qui nous ont conduits au suicide collectif! Avec leurs dizaines de millions de morts, les deux guerres mondiales du vingtième siècle n’avaient été que des répétitions générales avant la tragédie finale : « L’extinction de l’Humanité ». Triste histoire que la nôtre. Sa conclusion achève de montrer que l’émancipation de la condition animale ne nous avait pas principalement dotés d’intelligence, mais surtout de sottise et de haine…

Inégalités

Page sombre

(Récit en cours d’écriture)

     Les failles de la société américaine, mal colmatées ou camouflées par les classes dominantes, apparaissaient sous une lumière crue et cruelle… Les Etats-Unis étaient le plus inégalitaire des pays riches, mais riches, tous les Américains du Nord étaient loin de l’être! Moins de dix pour cent des actifs y accaparaient plus de la moitié des revenus. Les inégalités avaient explosé au point de menacer la cohésion du pays car la population hispanique et surtout noire en subissait les plus lourds effets, et les grandes luttes raciales du vingtième siècle avaient été réactivées une trentaine d’années auparavant…

    Le piano de Louis 

     2064

Ecrire, parler, penser sont des actes

(Fiction en cours d’écriture…)

     J’écrivais dans un grand journal parisien. Comme tout rédacteur, je recherchais la clarté, que mes articles puissent être lus et compris par le plus grand nombre, mais il fallait aussi ne jamais oublier le second degré, utiliser et manier (manipuler?) les références, répondre aux exigences d’un lectorat cultivé appartenant aux catégories socio-professionnelles dites supérieures (sous quel angle?!)… Loin d’être naïf, mon style se conformait aux canons en vigueur, il en allait de la longévité de mon emploi, ma carrière était en jeu. Ecrire n’était pas innocent, ne l’a jamais été. A-t-on jamais dit clairement qu’écrire, penser, parler, sont des actes? De véritables actes au même titre que les actions concrètes, qui en entraînent d’autres dans une chaîne implacable de cause à effet? Un enchaînement d’incitations, de forces, de poussées dont la somme nous pousse inéluctablement vers tel ou tel résultat, telle ou telle situation. C’est mathématique, scientifique, ce sont les lois de la physique qui l’expliquent, et nos paroles, nos écrits, nos pensées, obéissent aussi aux lois de la physique, l’opposition entre la réflexion et l’action n’a pas de sens, l’absence de réflexion est un crime, le vide de la pensée est monstrueux. La mise en commun de nos intérêts et de nos égoïsmes personnels, une sorte d’équivalent de l’entité appelée par Adam Smith la main invisible du marché, aura donc eu pour conséquence cette somme monumentale d’erreurs qui nous ont  conduits au suicide collectif.  Avec leurs dizaines de millions de morts, les deux guerres mondiales du vingtième siècle n’avaient été que des répétitions générales avant la tragédie finale : « L’extinction de l’Humanité ». Triste histoire que la nôtre. Sa conclusion achève de montrer que l’émancipation de la condition animale ne nous avait pas dotés d’intelligence, mais de sottise et de haine.

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     Ecrit depuis l’avenir